Interview de Hassoumi Massaoudou Le ministre de l’Intérieur du Niger répond aux critiques

A cinq mois des élections, le ministre de l’Intérieur du Niger, Hassoumi Massaoudou répond aux accusations de l’opposition.

Paris Match. L’opposition qui vous accuse d’avoir manipulé les fichiers électoraux, que lui répondez-vous?

Hassoumi Massaoudou. Si nous avons constitué de nouvelles listes, c’est à la demande de l’opposition. J’aurais préféré garder l’ancien fichier qui a servi pour les élections de 2011. Nous aurions pu le réactualiser, cela aurait fait gagner du temps. Cela a fait l’objet d’un débat au sein du Conseil national du dialogue politique (CNDP). Le Premier ministre qui préside le CNDP a tranché en faveur de l’opposition. Nous avons donc mis en place un Comité du fichier qui, au delà des équipes techniques, comprend des représentants de la majorité et de l’opposition. Sur tous les sites où le recensement a eu lieu, deux agents étaient présents, l’un issu de la majorité et l’autre de l’opposition, y compris dans les ambassades pour les Nigériens de l’étranger. Je ne vois pas comment dans ce contexte nous aurions pu manipuler les fichiers. Je rappelle qu’en plus tout ce qui a trait à l’organisation du scrutin est géré par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) qui comme son nom l’indique est une structure indépendante.

Selon le responsable associatif Ali Idrissa, il y aurait dans certains endroits plus d’électeurs recensés que d’habitants?
C’est absurde ! Monsieur Idrissa milite pour l’opposition. Il appartient au «Front patriote et républicain» qui n’est pas comme il le prétend une émanation de la société civile, mais un outil politique. Il fait partie de cette opposition qui, faute d’offre politique crédible, n’a eu de cesse depuis trois ans de chercher à soulever la rue pour créer un état insurrectionnel. En l’occurrence, Ali Idrissa confond les chiffres. Il évoque les résultats de la simulation informatique calculée sur la base du recensement de 2012 qui donne le nombre d’électeurs potentiels. C’est un chiffre théorique. Le nombre d’électeurs n’est dans aucun cas supérieur au nombre d’habitants !

Dans la région de Tawa, d’où est originaire le Président Issoufou, un responsable associatif, Mahmoud Sagodum, a critiqué l’incohérence des chiffres.
C’est une région nomade où le recensement est difficile et se fait le plus souvent par voie de témoignages. Auparavant, une seule personne pouvait donner une liste avec autant de noms qu’il le voulait. Aujourd’hui ce n’est plus possible. Nous avons institué une nouvelle règle qui limite le nombre d’électeurs par témoignage à cinq. Voilà pourquoi les chiffres qui ont toujours été gonflés ont été revus à la baisse.

D’autres membres de l’opposition prétendent que vous avez cherché à faire gonfler le nombre d’électeurs à l’étranger, notamment au Soudan où il aurait pu atteindre sept millions…
C’est un mensonge de plus qui traduit la mauvaise foi et le sens de l’imagination de certains opposants. L’instance indépendante chargée du fichier électoral a comptabilisé 4000 électeurs au Soudan et 3000 en Libye. Ceux qui font partie l’opposition aujourd’hui oublient qu’ils ont longtemps gouverné le Niger ! En 1993, quand ils ont vu que le parti le mieux représenté à l’étranger était le notre, ils se sont battus pour ne par faire voter les Nigériens de l’étranger. Ils ne sont pas les mieux placés pour donner des leçons de démocratie.

« Le Niger a plus de 1000 prisonniers de Boko Haram »

Quel a été l’objet de la visite du sous secrétaire d’Etat américain en juillet dernier à Niamey?
Nous travaillons avec Antony Blinken sur le dossier Boko Haram. Le Niger a plus de 1000 prisonniers de la secte et les combats se poursuivent dans le Sud du Pays. En juillet dernier, pendant que John Kerry était au Nigéria, il est venu nous voir. Nous préparons une réunion à l’Assemblée générale des Nations unies sur le sujet.

Est-il vrai qu’il a reproché au président Issoufou de couvrir un trafiquant dont les activités seraient aujourd’hui perturbées par la présence de l’armée française sur la base de Madama?
Pour nous, le terrorisme et le trafic de drogue sont toujours liés. Nous ne pouvons pas faire la guerre à l’un sans la faire à l’autre. Nous avons vu au Nord Mali qu’il existe une continuité entre les groupes armés type MNLA (Mouvement national de la libération de l’Azawad), les mouvements islamistes et les trafiquants de drogues. C’est vrai au Niger aussi. Tout service susceptible de nous apporter des informations sur des trafics nous intéresse. Si monsieur Blinken nous en avait données, nous aurions engagé des poursuites judiciaires. Je vous rappelle que c’est dans le cadre de la guerre contre les narcoterroristes que nous avons réclamé l’assistance de l’armée française. L’opération Barkhane a permis d’instaurer un verrou très efficace contre les trafiquants et terroristes. Il n’y a pas que les Français, dans la zone, des forcés spéciales américaines travaillent aussi à notre demande. D’ailleurs, la présence étrangère est d’ailleurs souvent critiquée par l’opposition.

L’un des fils Kadhafi, Saadi Kadhafi, a récemment été condamné à mort, ne regrettez-vous pas de l’avoir livré à la Libye un Etat que vous-mêmes qualifiez de «terroriste»?
C’est une question douloureuse. Le Niger, qui s’est toujours opposé à l’intervention militaire de l’Otan en Libye, a accueilli plusieurs «kadhafistes». Il y en a encore aujourd’hui. Nous les avons accueilli à condition qu’ils n’aient pas d’activité politique. Or, les Libyens accusaient Saadi Kadhafi de mener des opérations subversives visant la déstabilisation de la Libye. A l’époque, des kadhafistes menaient des opérations militaires spectaculaires dans le Sud du pays. Nous avons rétorqué aux Libyens que nous n’avions pas de preuve concernant Saadi Kadhafi. Ils sont venus nous les apporter. On le voyait donner des instructions, lancer des appels à l’insurrection. Quand votre voisin vous accuse de participer à une opération de guerre contre lui que faites-vous? Nous n’avions pas le choix.

« Si Hama Amadou revient au Niger, il sera arrêté »

N’aurait-il été possible de le confier à un tribunal international plutôt qu’à un «Etat terroriste»?
A l’époque du Premier ministre Ali Zeidan, le gouvernement libyen était reconnu par la communauté internationale. Nous avions assez de problèmes avec eux. Et je dois dire que depuis que Saadi Kadhafi a quitté Niamey, cela s’est calmé.

L’ancien président de l’Assemblée Hama Amadou, aujourd’hui en exil à Paris, est poursuivi dans une affaire de «supposition d’enfant». Le juge de la cour d’appel a décrété le 12 juillet le tribunal civil incompétent, est-ce le signe que l’affaire pourrait aboutir à un non-lieu?
Non pas du tout, c’est le signe qu’elle suit son cours. Le tribunal correctionnel va prendre la relève et monsieur Amadou sera jugé. Nous ne sommes pas maitre de l’agenda puisque la justice de notre pays fonctionne en parfaite indépendance. Sur cette affaire, elle a d’ailleurs été saisie comme pour une affaire criminelle ordinaire. Nous ne sommes pas intervenus.

Hama Amadou nous a fait savoir qu’il comptait revenir au Niger pour la campagne électorale, qu’en pensez-vous?
S’il revient, il sera arrêté. Ses avocats ont demandé la levée du mandat d’arrêt, ils ne l’ont pas obtenue.

Pourquoi l’ancien ambassadeur de France, Antoine Anfré, a quitté Niamey précipitamment en juillet dernier?
Je peux seulement vous dire que toutes les raisons qui ont été avancées dans la presse sont fausses.

Source : Paris Match