La conquête de l'Ouest: Niamey ( Niger)

La Françafrique enfin en déclin !

Le sous-développement chronique de l’Afrique et les guerres de l’OTAN se retournent contre nous, engendrant un monde de terres brûlées et de réfugiés économiques ou politiques. Ce modèle qui s’essouffle est le même que celui de la Françafrique. Il doit, au plus vite, laisser place à une politique d’entente et de coopération.

I – La Françafrique enfin en déclin !

En 2008, Des entreprises chinoises approchent Africarail et les États (…). Trois grands groupes chinois proposent un deal « minerais contre infrastructure ». (…) La China State Construction and Engineering, puis Sinohydro et enfin China Tiesiju Civil Engineering Group, multiplient les missives et les propositions de financement à travers le fonds de développement Chine-Afrique ou China Eximbank, la banque d’import-export de l’Etat chinois. Cette fois, Africarail alerte l’Elysée. Mamadou Tandja [président de la République du Niger, NDLA] sera renversé par un coup d’Etat et le rêve chinois d’emprise sur le rail (…) balayé. (…) Leur objectif était clair, à mon sens : mettre la main sur Areva. Soudainement la France s’est réveillée

commente Michel Rocard.

L’Elysée alerté, un président renversé ! Mais en quelle année sommes-nous ? 2010 !

C’est ce qui apparaît dans la tribune « Ligne Cotonou-Abidjan : Vincent Bolloré est en train d’essayer de nous voler », parue sur le site du Monde, le 3 septembre 2015. Elle répond à l’article publié sur ce même site quelques jours auparavant sous le titre « Bolloré lance un chantier de chemin de fer à 1 milliard en Afrique de l’Ouest. »

Après le coup d’Etat médiatique réalisé en France par la prise de pouvoir et le remaniement complet de Canal+ et iTélé, c’est bel et bien encore notre patron breton Vincent Bolloré qui est pris la main dans le sac. Mais qu’est-ce qui pousse donc M. Rocard à se mettre en colère publiquement contre la politique de Bolloré en Afrique ?

Genèse d’Africarail

Tout commence avec la proposition, dans les années 1990, d’un projet de développement pour l’Afrique : Africarail (voir carte). Ancien projet colonial du début du XXe siècle (!), ressorti des cartons par un ingénieur ferroviaire, Michel Bosio, ce projet devait, dans sa première phase, réaliser les liaisons entre Parakou (Bénin), Niamey (Niger) et Kaya (Burkina Faso), sur une distance de 1300 km. Le but était de désenclaver les pays de l’intérieur sahélien (Burkina Faso, Niger) et les régions limitrophes (sud-est du Mali et nord-ouest du Nigeria), pour former une zone économique couvrant plus de 55 millions d’habitants.

Ce désenclavement devait permettre d’exploiter les ressources agricoles et minières de l’intérieur, développer l’industrie et les échanges commerciaux et assurer – enfin ! – une desserte ferroviaire entre les ports de Lomé et Cotonou, par les Africains et pour les Africains. Une structure fut donc créée, dont Michel Rocard est le président d’honneur.

A l’époque, l’ancien Premier ministre socialiste voulait promouvoir une autre idée des relations entre la France et l’Afrique via le développement mutuel : « Cette idée est pour moi la clé absolue de la restructuration de ces Etats [situés] à près de 1000 km des côtes et l’enjeu est énorme, quasi civilisationnel. »

Quand tout déraille

Pourtant, à l’exception de Solidarité et Progrès qui l’inclut dans son « plan Marshall pour l’Afrique » dans les années 1990, ce projet retourne dans les cartons… jusqu’à ce jour de 2008 où la Chine l’exhume.

Entre-temps, c’est la logique du FMI et les plans d’ajustements structurels des années 1990 qui auront stoppé net la dynamique.

La ligne Ouagadougou-Abidjan est privatisée (au plus grand bonheur de Vincent Bolloré qui l’exploitera dès 1994 ! La ligne Cotonou-Parakou, jusque-là utilisée pour le transport de personnes et de marchandises, subit le même sort. Depuis, plus de passagers, un train partant avec quelques marchandises tous les dix jours environ et des déraillements constants !

Même logique pour le projet Bénirail version Bolloré, qui concerne la nouvelle ligne Niger-Bénin et la rénovation de la ligne Cotonou-Parakou. En l’absence d’investisseurs étrangers, comme le précise l’article du Monde, « l’actionnariat se maintiendra à hauteur de (…) 20 % pour les États [et] 80 % pour le groupe Bolloré ».

Aujourd’hui, seule la liaison Niamey-Gaya semble terminée (du moins pour ce qui concerne l’installation des rails), mais il reste encore à réhabiliter la ligne Cotonou-Parakou (438 km).

Et comme l’a déclaré un des superviseurs du projet : « On n’en est pas au point où un train pourra y rouler à 80 km/h ! » La ligne entre Ouagadougou et Abidjan, qui est la dernière ligne de chemin de fer fonctionnelle en Afrique de l’Ouest, relie les deux capitales en deux jours et deux nuits, à la vitesse moyenne de… 36 km/h !

Rassurons-nous : le groupe Bolloré vient d’investir 400 millions d’euros pour rénover la ligne et le matériel roulant, afin de doubler la vitesse du train…

C’est peut-être aussi cela qui met Michel Rocard en colère : non pas que la Chine tente de développer des partenariats stratégiques avec les pays d’Afrique, mais que la politique française d’hier et d’aujourd’hui ne soit pas capable d’offrir à ces États une autre perspective que celle de se tourner vers l’Asie pour se développer dignement…
Philanthropie ?

Comme le souligne également Mr Rocard dans sa tribune, ce qui intéresse surtout M. Bolloré, ce sont les matières premières : selon les critères économiques actuels, elles seules sont capables de « rentabiliser le projet ». Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) explique qu’il existe un « gisement de 1215 milliards de tonnes de fer d’une teneur de 44,9 %. Soit près de la moitié de la plus grande réserve de fer non exploitée au monde, au sud-est de la Guinée » Et où se trouve cette mine ? Non loin de Gaya, terminus de la ligne déjà créée !

Selon une publication de l’Institut français pour les relations internationales (IFRI), le Burkina Faso est le « quatrième producteur d’or du continent, le pays dispose en outre d’un potentiel gisement de manganèse de niveau mondial ainsi que de ressources en nickel, phosphate, fer, graphite, plomb, pyrite et antimoine. »

On parle même d’« explosion des creuseurs », ces nouveaux chercheurs d’or qui, au Burkina Faso, pourraient être près d’un million, dont peut-être 500 000 enfants (selon l’Unicef).

Dans un document interne sur sa stratégie au Burkina en 2015, le groupe Bolloré prévoit de « maintenir et développer le leadership dans le secteur des mines, dont sept principales mines d’or ». Et de préciser : « On n’attend pas que des mines existent pour faire un chemin de fer, on construit un chemin de fer en prévoyant que la ligne va permettre à des projets miniers de se développer. »

Déjà le président du Bénin, Boni Yayi, et le président du Niger, Mahamadou Issoufou, marchent main dans la main avec Vincent Bolloré, coupant des rubans d’inauguration çà et là sur le trajet Cotonou-Niamey, afin de faire patienter leurs populations, parmi les plus pauvres du monde…

Soyons clairs : ce projet de grande boucle, tel qu’il est conçu aujourd’hui, n’est pas un projet de développement. Il reste un projet privé réalisé par un groupe privé à des fins de profits purement financiers. Il ne s’agit pas de désenclaver la région par la construction d’un chemin de fer à grande vitesse pour transporter en masse voyageurs et marchandises.

Il ne s’agit pas d’un partenariat gagnant-gagnant comme le proposait la Chine dans le cadre de ses accords « minerais contre infrastructures », tel qu’elle l’exerce déjà avec d’autres États africains – là où la pression des anciens colons se fait moins forte. C’est une énième tentative de maintenir à flot la géopolitique postcoloniale de la France, qui, comme nous pouvons le constater amèrement depuis plus de trente ans, n’a fait que plonger notre pays dans plus de récession. Le manque de vision d’avenir pour l’Afrique et pour nous-mêmes est accablant.

La France en serait-elle réduite à maintenir ses quelques potentats locaux pour continuer à avoir des ressources pas cher, pendant qu’elle tente de gagner quelques sous en vendant des armes à l’Arabie saoudite ?

Nous ne pouvons nous y résigner… La Chine, elle, construit en Afrique de l’Est un chemin de fer reliant la capitale kényane Nairobi à la ville portuaire de Mombasa (sud du pays), pour 5,2 milliards de dollars. Le projet, qui devrait être achevé en 2017, réduira le trajet de 12h à 4h. C’est le plus grand projet d’infrastructure du Kenya, financé par un prêt accordé au gouvernement par l’Export-Import Bank of China. La moitié de ce prêt, dont la durée de remboursement s’étalera sur quinze ans, sera accordé au gouvernement aux conditions du marché et sera remboursé grâce aux recettes générés par l’exploitation publique du chemin de fer.

Il est donc temps de mettre fin au mythe de la « mission civilisatrice » de la France. Comme le soulignait en 1979 le grand économiste camerounais, Joseph Tchundjang Pouemi, « la France est (…) le seul pays au monde à avoir réussi l’extraordinaire exploit de faire circuler sa monnaie, et rien que sa monnaie, dans des pays politiquement libres ».

Avec l’émergence des BRICS, le projet de la Nouvelle route de la soie terrestre, maritime et spatiale, le soulèvement des peuples qui aspirent aujourd’hui à leur propre développement, les temps de la Françafrique sont révolus, Monsieur Bolloré ! Mais de nouvelles opportunités s’ouvrent à nous, pour peu qu’on décide de s’extirper de nos vieilles habitudes…

Coup d’Etat médiatique

Tel était le titre d’un 4 pages de L’Obs consacré à Vincent Bolloré. Détenant 14,4 % du capital de Vivendi, Bolloré a en effet mis Canal+ à sa botte. On apprend ainsi que chaque vendredi, jour des décisions, les genoux tremblent et les têtes tombent.

Qu’on l’aime ou pas, les Guignols de l’info n’existent déjà plus. A la tête d’iTélé, les dirigeants ont été remerciés et remplacés par un « Bolloré boy » de 29 ans qui jusqu’à présent écrivait « des chroniques littéraires dans le magazine religieux Dieu Merci ! et co-animait une mensuelle : Parole d’Afrique. Encore dernièrement, un documentaire sur le Crédit mutuel, partenaire financier du groupe Bolloré, a été censuré sur Canal+, car il mettait en cause les intérêts du groupe. La conclusion de L’Obs : serait-on en train d’assister à la création d’une Fox News à la française ?

II – Voir l’Afrique avec les yeux du futur

L’Afrique n’a pas besoin de trains qui rouleraient à 40, 50 ou même 80 km/h, comme ceux que propose Vincent Bolloré. Elle a besoin de vrais trains à grande vitesse, pour le transport des personnes et des marchandises.

Et, n’en déplaise à M. Jean-Louis Borloo (qui vient de réaliser que l’Afrique a besoin d’électricité, dont on a découvert les bienfaits… il y a plus de deux cents ans !), elle n’a pas plus besoin d’éolien, de solaire ou de géothermie pour allumer quelques ampoules dans les chaumières. Non, il lui faut des centrales nucléaires, comme chez nous, pour développer une véritable économie de production !

M. Borloo parcourt actuellement l’Afrique en jet privé, clamant aux chefs d’États qui veulent bien l’écouter que 200 milliards d’euros [1] sont nécessaires pour électrifier leur continent.

Reste à déterminer ce qui attire le plus ces dirigeants : ces 200 milliards ou une réelle volonté de développer leur économie ? Reste également à déterminer les raisons de ce regain d’intérêt de la France pour l’Afrique, de Messieurs Bolloré et Borloo… et si ce sera « durable » !

Car pendant que le premier fait rouler ses petits trains et que le second promeut ses petits panneaux photovoltaïques, ce sont de vrais trains à grande vitesse et des centrales nucléaires qui se préparent à sortir du sol africain…

Au risque de choquer certains de nos lecteurs, en faisant un calcul purement linéaire, ce n’est pas 100 ni 500, mais 1000 centrales nucléaires qu’il faudrait construire rapidement en Afrique pour répondre aux besoins réels des populations.

Le calcul est simple : alors que la France, pour une population de 66 millions d’habitants, produit 63 gigawatts d’électricité d’origine nucléaire au moyen de 58 réacteurs, l’Afrique, elle, compte déjà 1,1 milliard d’habitants et en aura probablement 2 milliards d’ici à 50 ans – si le monde ne plonge pas dans la folie d’une énième guerre mondiale. Si un projet de chemin de fer à grande vitesse est en cours au Kenya (voir article ci-contre), c’est un autre espoir qui nous vient de ce pays. Ainsi se tenait récemment la semaine de contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur le programme nucléaire du Kenya.

Voici ce que déclarait Joseph Njoroge, le secrétaire kényan à l’énergie et au pétrole :

Pas de marche arrière sur cette route vers la croissance économique et la prospérité. L’électricité d’origine nucléaire fait partie du processus qui nous y amènera !

Le passage en revue de l’AIEA, demandé par ses pays membres et mené par une équipe de onze experts nucléaires, permettra d’évaluer les préparatifs du Kenya pour sa première centrale. C’est un soutien important pour ces nations africaines, qui ont l’intention de construire une capacité nucléaire à partir de zéro. Le Kenya a déjà envoyé des étudiants en Corée du Sud et aux États-Unis pour préparer son avenir nucléaire. Il anticipe de pouvoir rendre opérationnelle sa première centrale nucléaire en 2023. L’équipe d’examen présentera son rapport d’évaluation en novembre. La représentante de l’AIEA, Anne Starz, a déclaré que l’agence fournirait une assistance technique et faciliterait la coopération bilatérale entre les pays africains. L’AIEA a d’ailleurs toujours encouragé les pays africains à travailler ensemble, à partager leurs ressources techniques et humaines. Ses données montrent qu’environ 620 millions de personnes en Afrique subsaharienne n’ont pas accès à l’électricité. L‘Afrique du Sud, qui possède la seule centrale nucléaire opérationnelle sur le continent, a un rôle particulier à jouer. A noter que cette année, le Nigeria et le Maroc sont également prévus pour le passage en revue de leur statut nucléaire par l’AIEA.

Par ailleurs, l’Égypte et la Russie viennent de signer un accord pour la construction d’une centrale nucléaire avec la technologie russe, pour la production d’électricité en Égypte. Cet accord a été préparé par le président russe Vladimir Poutine et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi en août 2015 à Moscou, lors de la troisième visite officielle du président égyptien en Russie. La Russie et l’Egypte veulent renforcer leurs relations bilatérales, qui prévoient notamment une zone de libre-échange entre les deux pays et une augmentation des exportations céréalières russes vers l‘Égypte (40 % de la demande égyptienne a été couverte l’année dernière grâce à ce programme).

Enfin cerise sur la gâteau, l’Afrique du Sud a relancé son projet de construire de six à neuf centrales nucléaires d’ici à 2030. Même si rien n’est encore signé officiellement, ce serait également la technologie russe qui serait privilégiée, car l’Afrique du Sud veut de l’énergie rapidement. Sans oublier le potentiel hydroélectrique de l’Afrique : 300 GW, dont seulement 5 % sont aujourd’hui utilisés. Ces pays, auxquels nous pourrions également ajouter l’Éthiopie, ont déjà un pied dans le futur.

La Françafrique a donc un train et un panneau solaire de retard ! Mais il n’est pas trop tard pour mettre fin à cette géopolitique et créer des associations d’États-nations, à l’image de ce qu’ont fait les BRICS et avec eux, pour lancer enfin le plan Marshall que l’Afrique attend.

Rappelons ces mots de Maurice Gourdault-Montagne, ambassadeur de France en Chine, au sujet de la Nouvelle route la soie :

Il s’agit d’une politique stratégique avec une vision de l’avenir, alors que les Français ne se rendent pas pleinement compte de son importance et des opportunités qu’elle peut apporter. D’une grande flexibilité, cette théorie s’applique à différents partenaires géopolitiques. Je pense que la France doit comprendre cette vision, s’adapter et en saisir les opportunités.

Un ami nous disait que pour beaucoup d’Européens, et même d’Africains, l’histoire de l’Afrique, c’est la traite des Noirs, les génocides, le colonialisme et la Françafrique… Mais n’est-ce pas justement cela qui a mis fin à l’histoire de l’Afrique ? A méditer, pour tous ceux qui croient encore que « l’homme africain n’est pas assez rentré dans l’Histoire »…

L’histoire se répéterait-elle ?

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Déjà en 1983, Thomas Sankara avait choisi la ville de Kaya pour mener sa « bataille du rail », avec la ferme intention panafricaniste de rallier Niamey et les autres capitales de la région. Malheureusement, sans que la France mitterrandienne d’alors ne s’en formalise, Sankara fut assassiné et Blaisé Compaoré mis au pouvoir pour vingt-sept ans, avant d’être balayé par le peuple en octobre 2014.

Malgré la nouvelle tentative de coup d ‘État récemment menée par le général Diendéré, qui fut l’un des complices de l’assassinat de Sankara, le «  Pays des hommes intègres » (Burkina Faso) semble pourtant aujourd’hui devenir un point de résistance aux projets néocoloniaux en tout genre (coups d’Etat, pillage des matières premières, privatisation des infrastructures, etc.) – et nous ne pouvons que soutenir la société civile dans cette lutte historique.

 

Source: http://www.solidariteetprogres.org/

[1200 milliards plus qu’hypothétiques, au regard des 100 milliards promis mais pas encore trouvés, dans le cadre de la soi-disant lutte contre le changement climatique.