Fait divers : La vie brisée de Leyla…

-Okay, bonne nuit mon amour et doux rêves surtout. -Bonne nuit mon cœur, prends soin de toi. A demain. Nous sommes en janvier 2016, une pé- riode pendant laquelle il fait un froid de canard. Rachid monte dans son véhicule et, avant de démarrer, lance un dernier « Bye Bye » à Leyla qui reste debout, observant le véhicule jusqu’à ce qu’il disparaisse dans un virage, avant de disparaître à son tour derrière un lourd portail. Rachid et Leyla se fréquentent depuis un an. Lui, a 27 ans, et est cadre dans une très grosse entreprise de la place. Elle en a 19. Leyla vit chez sa sœur Zainab mariée à un nigéro-maghrébin, le nommé Salif. Le couple a trois enfants et vit à Hareye Bane, un quartier très huppé de la capitale. Quand Salif et Zainab se rendent au travail, c’est Leyla qui s’occupe des enfants, en particulier le plus jeune. Les deux premiers fréquentent respectivement, les grande et petite maternelles, tandis que le troisième est encore au biberon. Après un échec à l’examen du BEPC, Leyla décide de ne plus remettre les pieds à l’école.

Malgré son âge et les atouts physiques dont Dieu la gratifiée, Leyla a fait son choix : l’école coranique ou rien. Elle fréquente une Makaranta sise dans le même quartier. Au début de leur idylle, quand Rachid vient lui rendre visite, ils restent sur la terrasse. Petit à petit, Rachid gagne la confiance de Leyla, puis celle de ses tuteurs. Il faut dire que c’est un jeune homme plutôt poli et bien éduqué, malgré ses apparences extérieures d’enfant gâté. Après Leyla, c’est le couple qui découvre à son tour, petit à petit les qualités de Rachid, qui finit par être adopté par toute la famille. Désormais, les causeries se font au salon. Mais le maître des lieux est ferme : pas question de rester là au-delà de 22H. Le couple a une habitude, chaque soir, après le dîner au salon, il se retire dans la chambre principale, avec leur bébé. Quant à Leyla, elle reste devant la télévision avec les deux autres enfants avec lesquels elle partage la même chambre. La consigne ici est stricte. A 22h30, portes et portails doivent être fermés dans la maison. Et ce n’est pas à Rachid qu’il faut réciter la leçon. Il vient chaque soir voir sa dulcinée et repart à 22h. Outre le couple, les enfants et Leyla, il y a aussi un « Boy » dans la maison, qui sert également de gardien. Un certain Bonfoutou. Il vit dans une des dépendances de la Villa. Chaque soir, après le départ de Rachid, c’est lui qui ferme le portail à clefs, tandis que Leyla se charge de fermer les portes et fenêtres de la Villa. Rachid a également la sympathie de Bonfoutou à qui il remet de temps en temps quelques billets de banque. « Tiens, c’est pour le thé ». Un geste que, au-delà de Bonfoutou, tous les gardiens adorent et attendent d’un visiteur. Bonfoutou, l’homme par qui le malheur est arrivé Bonfoutou est considéré comme un membre à part entière de la famille.

En plus d’être serviable, il fait montre d’une loyauté, d’une discrétion et d’une honnê- teté remarquables. Des qualités qu’on trouve rarement aujourd’hui chez des jeunes de sa trempe. Un jour, quelqu’un sonne à la porte. Bonfoutou est allé faire des emplettes et donc c’est Salif luimême qui est allé ouvrir. Il trouve en face de lui un jeune homme d’une vingtaine d’années. « Sans doute quelqu’un qui vient faire la cour à Leyla », pense-t-il dans son for intérieur. Mais le jeune homme a l’air très grave et la mine de quelqu’un qui n’est pas là pour plaisanter. Salif le conduit jusque sur la terrasse et le prie de s’asseoir. « Je ne suis pas venu pour m’asseoir. Ce que j’ai à vous dire est très important. Méfiez-vous de votre gardien. Ils ont planifié d’attaquer votre domicile, lui et ses amis. Je les ai surpris en train d’en parler, un soir, pendant que j’étais de passage. Ils m’ont vu et se sont tus. Méfiez-vous ; déménagez le plus vite possible ou alors débarrassez-vous de lui », a-t-il lâché, sans daigner regarder le verre d’eau que lui tendait Salif. « Au revoir », a-t-il lancé, avant de repartir comme il était venu. Salif reste seul, perplexe pendant plusieurs minutes. « Qui est ce jeune homme ? Que cachent ses dires ? Bonfoutou planifie une attaque contre moi ? Non, tout sauf Bonfoutou. Je lui fais entièrement confiance, il ne m’a jamais trompé.

Ce jeune homme doit être un imposteur, c’est sûr », se dit Salif. Il prend tout de même le soin d’informer son épouse Zainab. « Si tu veux mon avis, ce Bonfoutou là, je le trouve vraiment bizarre. Il ne m’inspire plus confiance, méfies-toi. Ce… » . « Vous êtes toujours comme ça, vous les femmes, méfiantes pour un rien », coupa net Salif. Ils en étaient là, lorsque Bonfoutou arrive. Il les salue avec respect et dévouement, comme à ses habitudes. Le couple reste silencieux pendant une heure d’horloge, puis change de sujet de conversion. Deux jours après, Salif et son épouse Zainab étaient dans leur chambre. Lui lisait, tandis qu’elle, regardait la télé. A côté, leur bébé qui dormait à poings fermés. Il était 22h30. Rachid a pris congé de sa fiancée 30mn plus tôt en promettant de revenir le lendemain comme d’habitude. Elle aussi s’est enfermée dans sa chambre avec les deux autres enfants qui dormaient déjà aussi. Soudain, c’est l’obscurité. Encore la Nigelec, encore ces coupures, se disent Salif et son épouse. Salif se lève et se dirige droit vers la fenêtre. Il tire les rideaux et constate qu’il y a de l’électricité dans la maison voisine. Il vient au salon, suivi de sa Zainab. Ensemble, ils regardent au travers des autres fenêtres et constatent qu’il y a de l’électricité dans tout le quartier, sauf dans leur maison. Salif pense tout de suite au compteur qui se trouve à l’extérieur de la maison.

A l’aide de l’ampoule de son téléphone portable, il ouvre la porte de la maison et se dirige vers le compteur. C’est en ce moment que deux hommes se saisissent de lui. Ils étaient cachés derrière la porte. Ils le molestèrent tant et si bien qu’il a failli perdre connaissance. Ils se chargent alors eux-mêmes de remettre le compteur en marche. Et là, armés de coupes-coupes, ils conduisirent Salif dans le salon, puis la chambre principale où dormait toujours le bébé. Les agresseurs étaient au nombre de six, et portaient tous des bavettes, pour cacher leurs yeux. Ils maitrisèrent Salif et Zainab qu’ils contraignent à se mettre à genoux. Et, brandissant toujours les couteaux et coupes-coupes, ils disent « on veut votre or et votre argent, sinon on tue votre bébé…Donnez-nous tout ce que vous avez comme or et argent, sinon vous n’avez plus d’enfant », ne cessent-ils de menacer. Le couple était tétanisé. Un violeur dans la bande C’est le moment que choisit un des bandits pour filer à l’anglaise, discrètement. Pas pour quitter la Villa, mais pour faire irruption dans la chambre de la jeune Leyla et des deux enfants. Il brandit un couteau et lui fait signe de ne pas crier, sinon…

Il la saisit alors violement par le poignet, puis par le coup et l’entraîne dans une chambre isolée dans une des dépendances de la Villa. Et, toujours sous la menace du couteau, il l’obligea à se déshabiller et abusa d’elle. Il était sous l’effet de l’alcool et de la drogue, comme tous ses acolytes. Lorsqu’il finit sa salle besogne, il abandonne Leyla dans un état, lamentable, pitoyable, affreux. Elle était à moitié évanouie. Il rejoint le groupe, comme si de rien n’était. Toujours, sous la menace des couteaux et au risque réel de perdre leur bébé, Salif et Zainab donnent les clés de leur coffre fort aux agresseurs, qui font main basse sur tout ce qu’il y ‘avait comme or et argent. Ils ne s’arrêtent pas là. Ils demandent les clefs du véhicule du couple, dans lequel ils embarquent avec armes et butin, avant de prendre la poudre d’escampette. Salif, malgré tout, par un sursaut surhumain eut le courage de se saisir de son téléphone portable pour appeler un de ses voisins. Et c’est ce dernier qui appelle la Police judiciaire pour l’informer de l’attaque. Elle arrive aussitôt sur les lieux. Les élé- ments déployés découvrent cette nuit un couple totalement abattu et traumatisé. Pendant que certains éléments essaient de leur venir en aide psychologiquement, d’autres étaient en train de fouiller la maison dans tous les coins et recoins.

C’est là qu’ils tombent sur Leyla, toujours à moitié évanouie et dans une des chambres, le… gardien Bonfoutou, tranquillement allongé dans son lit. Il dit dans un premier temps n’être au courant de rien. Salif, Zainab et Leyla, étant dans un état de traumatisme qui ne leur permettait pas de parler en l’état, les éléments de la PJ embarquent le gardien Bonfoutou, ainsi que tous les autres gardiens des villas voisines trouvés sur les lieux. Sur place, ils ont également découvert, jetées au sol à la devanture du domicile de Salif, des canettes de bières vidées par les agresseurs. Une preuve supplémentaire qu’ils ont agi avec préméditation. Aussitôt dans les locaux de la PJ, Bonfoutou et les autres gardiens furent soumis à un interrogatoire. Les autres gardiens ont tous été relâchés, mais pas Bonfoutou.

Le lendemain matin, la PJ retourne sur les lieux pour la reconstitution des faits. Le premier élément pour la PJ, c’était d’avoir le numéro d’immatriculation du véhicule emporté par les bandits, afin d’alerter la police de la circulation routière et celle des frontières. Mais le couple, toujours sous le choc de l’agression, a oublié jusqu’à la plaque d’immatriculation de leur propre véhicule, acquis il y a seulement deux ans. Ils étaient obligés de se référer à la compagnie d’assurance pour avoir le numéro du véhicule. Le deuxième élément, c’est la piste de la jeune Leyla, à travers son copain Rachid, le dernier à avoir quitter la villa des Salif. Le troisième, le jeune homme du quartier, celui-là même qui s’est rendu chez Salif pour lui dire de se méfier de son gardien Bonfoutou. La PJ recoupe les informations sur ce dernier et apprend qu’il est étudiant dans une grande école professionnelle de la place. Elle remonte jusqu’à son établissement, obtient son numéro et l’appelle sur son téléphone portable. Il s’est rendu immédiatement, et de lui-même à la PJ. L’interrogatoire auquel ils ont été soumis n’a pas permis d’avoir quelque indice que ce soit. Ils ont tous été blanchis. La seule piste qui reste demeure alors celle du gardien Bonfoutou.

Or ce dernier continue à clamer son innocence. Il est allé jusqu’à dire qu’il a été ligoté par les bandits à l’aide de lianes ; qu’il a réussi à se dégager tout seul; que c’est lui-même qui a crié au secours pour alerter les voisins….Alors même que la PJ n’a trouvé aucune trace de violence corporelle sur lui. Mais voilà que tout doucement, Salif, Zainab et Leyla commencent tout doucement à retrouver leurs sens, la jeune Leyla surtout. Elle dit avoir aperçu depuis la chambre où elle a été traînée et violée, les bandits embarquer dans la voiture de Salif et le gardien leur ouvrir le portail et le refermer aussitôt après leur départ. Un détail important, vu qu’à partir de la porte de cette chambre, on avait effectivement une vue sur le garage et le portail de la maison. L’étau se resserre alors sur le gardien Bonfoutou, qui continue à nier toute implication. « Ce gardien a un sang froid hors du commun, il est tellement calme et affiche une telle assurance, qu’on a commencé à douter des propos de Leyla », confie un des éléments de la PJ en charge de l’enquête. Mais c’est sans compter la ténacité qui caractérise ce corps de la police. Bonfoutou a déjà passé quatre jours dans les locaux de la PJ ; il continue toujours à clamer son innocence.

Entre temps, les investigations suivent leur bonhomme de chemin. Le cinquième jour, les éléments de la PJ tombent sur le véhicule de Salif. Il a été abandonné par ses occupants la même nuit dans un quartier périphérique, après qu’ils se soient encastrés dans le mur d’une concession. Les enquêtes permettent de mettre la main sur un suspect. Epinglé, il avoue tout, sur place. Le rouleau compresseur en marche L’homme, un jeune homme d’une vingtaine d’années avoue effectivement être un des membres du groupe qui a attaqué le domicile de Salif cette nuit là. Un premier pas de gagné pour les éléments de la PJ, qui lui promettent de revoir son cas, s’il coopérait. Il accepte tout de suite l’offre. A-t-il d’autre choix du reste ? Il a été conduit dans un endroit isolé de la ville, où il a été très bien préparé par les élé- ments de la PJ, psychologiquement s’entend. Il fallait agir sans éveiller le moindre soupçon chez les autres membres de la bande, et surtout, il fallait tout faire pour ne pas les prendre dans leurs familles ou quartiers respectifs.

Le tour est joué. Le malfrat connaît par cœur les numéros de tous ses acolytes. Il esquisse un sourire condescendant à ses vis-à-vis et compose un premier numéro. « Salue mon gars, tu es où là ? Ecoute, j’ai pas trop de temps, rejoins-moi tout de suite à…Comme d’habitude. Attention, ne dis rien à personne, viens seul et je t’expliquerai », lance-t-il d’une voix très calme et rassurante. « Okay, à tout d’ suite mon gars, j’arrive », répondit son interlocuteur. Dix minutes plus tard, voilà le bonhomme qui se pointe, téléphones portables à la main, écouteurs branchés aux oreilles. Il est tombé dans le panneau. Le temps de comprendre ce qui se passe, il est menotté et balancé à l’arrière du véhicule de la PJ. Il regarde son ami, son ami le regarde, comme pour dire : « Tu m’as vendu ». « Allez, on continue », lance l’officier qui conduit l’enquête. Et c’est ainsi que, d’appels en rendez-vous, toute la bande a fini par tomber dans les filets de la PJ, en une seule journée. Conduits dans les locaux de la police judiciaire, ils passent à table sans se faire prier. Et coup de théâtre, ce sont eux qui ont confondu le gardien Bonfoutou.

Au cours de leurs interrogatoires respectifs, tous ont affirmé avoir agi avec la complicité active de ce dernier. « Quoi, tu prétends n’être au courant de rien ? tu mens, c’est avec toi qu’on a planifié l’attaque du domicile de ton patron ; c’est toi qui a sauté le compteur de courant, c’est toi qui nous a ouvert le portail et c’est toi qui l’a refermé après nous… ». Bonfoutou baisse la tête, il est couvert de honte, il ne peut supporter les regards de Salif et Zainab ; il n’a que ses yeux pour pleurer. Un autre coup de théâtre, c’est assuré- ment le viol commis sur la jeune Leyla, d’autant que cet acte ne faisait pas partie du plan de l’opération. « Tu nous a honni Black Suggar ; nous sommes des voleurs, pas des violeurs. Nous avons attaqué cette maison pour voler, pas pour violer. Espèce d’enfoiré…Fils de… », n’ont cessé de maugréer les quatre bandits.

En effet, eux n’avaient qu’une seule idée en tête : l’argent et les bijoux en or de la famille. Ils savaient que le couple en disposait, à cause des informations données par le gardien Bonfoutou. Le sixième lascar, toujours grâce à Bonfoutou, savait que la maison abritait aussi un autre trésor autrement plus important : la jeune et belle Leyla, âgée de 19 ans, et qui s’apprêtait à convoler en justes noces avec Rachid. Celui-ci a déjà envoyé sa dot et la date du mariage a même été fixée. Mais voilà que la vie de Leyla, en une seule nuit, bascule et passe du rêve au cauchemar. En effet, les résultats des examens pratiqués sur Leyla sont clairs. viol avec pénétration sur une fille de 19 ans ayant occasionné la perte de l’hymen.

« Le plus choquant aussi dans l’affaire de ce viol, c’est que son auteur n’a même pas pris la précaution de se protéger. Il va donc falloir faire faire à Leyla le test du VIH. Vous vous rendez compte de la situation que vit cette jeune par la seule faute de ces délinquants ? », déplore un membre de la famille de Leyla. Le violeur de Leyla, les cinq autres bandits, ainsi que le gardien croupissent actuellement à la prison civile de Niamey. Ils ont tout le temps pour méditer sur leur sort. En attendant la sentence.

Gorel Harouna (Le Républicain no 2080)