Hassoumi Massaoudou, Ministre de la Défense Nationale

INVITÉ AFRIQUE: Boko Haram: «Le monstre s’est reconstruit», selon Hassoumi Messaoudou

On croyait Boko Haram à bout de souffle. Mais le 3 juin dernier, la secte islamiste basée au Nigeria a lancé un raid meurtrier sur la ville de Bosso, au Niger. Le bilan est très lourd : 26 morts dans l’armée nigérienne et 55 chez les terroristes. Aujourd’hui, le ministre de la Défense du Niger accepte de s’exprimer. Hassoumi Messaoudou accompagne le président Issoufou, qui vient d’achever une visite officielle en France. Le ministre nigérien parle sans tabous au micro de RFI.

Hassoumi Massaoudou, qu’est-ce qui s’est passé le 3 juin dernier à Bosso?

Hassoumi Massaoudou : C’est une tragédie ! Une semaine avant il y avait eu le même type d’attaque à Bosso, le 27 mai, et nous les avons repoussés. C’est plutôt eux qui ont perdu cette bataille.
Rappelez-vous il y a un an, nous avons eu à intervenir au Nigéria à leur porter des coups très durs, nous avons aussi eu certaines batailles que nous avons perdues. Nous avons eu beaucoup de victimes, notamment à Karanga où nous avons perdu entre morts et disparus 75 militaires.

Vous faites référence à une autre bataille où vous avez perdu beaucoup d’hommes, mais c’était il y a un an.

Il y a un an.

Depuis on pensait quand même que la situation s’était améliorée.

Justement, … cette dernière attaque à Bosso, [qui] était massive, mécanisée et avant cela les forces du Nigéria ont eu à perdre beaucoup d’hommes face à Boko Haram. Un mois avant. Donc ça veut dire que le monstre s’est reconstruit pendant que nous étions là, en train d’attendre de mettre en place la force multinationale et que nous nous étions tous retirés sur nos frontières respectives. Cela met maintenant à l’ordre du jour la nécessité de repenser Boko Haram.

On pensait qu’ils étaient réduits à faire des attaques kamikazes, qu’ils étaient dans des attaques asymétriques. Maintenant ils ont reconstruit leurs forces militaires. On a affaire à une armée. Ils nous ont donné l’impression qu’ils n’existaient pas en termes de capacité militaire. D’ailleurs nous tous avons dit cela. Aujourd’hui nous avons compris que nous nous sommes trompés. Donc il faudra nécessairement retourner au Nigeria les combattre là où ils sont, c’est-à-dire au Nigeria, et les vaincre sur place et cette fois-ci de manière durable.

Vous dites qu’il y a eu de la part de Boko Haram une attaque massive et mécanisée. Ça veut dire quoi ? Il y a eu une préparation d’artillerie ? Il y a eu des blindés mis en jeu ?

Il y a eu une attaque avec des véhicules qui étaient montés par des armes collectives, avec des armes lourdes et des vrais combats militaires.

Le 14 mai dernier il y a eu un sommet à Abuja avec une douzaine de chefs d’Etat dont le président Issoufou, le président Hollande. Et tout le monde se félicitait des premières victoires contre Boko Haram. Est-ce qu’on ne s’est pas félicité un peu vite ?

Oui, je crois qu’on s’est félicité un peu vite. On n’a pas mesuré le niveau de reconstruction de Boko Haram. Et il faut dire quand même qu’on s’est félicité, mais on avait bien dit que l’ennemi existe toujours !

Cette force multinationale mixte qui réunit les armées du Nigéria, du Cameroun, du Tchad et de votre pays le Niger, sur le papier, c’est 8 000 hommes, mais est-ce qu’en réalité ce n’est pas justement qu’une armée de papier ?

On a cette force militaire qui est constituée de nos armées que nous avons mobilisées et elle est sous commandement d’un général nigérien. Maintenant l’événement de Bosso a révélé l’urgence de l’offensive que devait mener cette force. Et c’est ainsi que cette force, depuis ce mardi, a commencé l’offensive attendue depuis des mois. Donc cette offensive a commencé avec les forces du Nigeria qui viennent du sud, les forces tchadiennes qui viennent du Lac et bientôt les forces nigériennes qui viennent du Niger. Donc aujourd’hui cette offensive est enclenchée.

Apparemment les assaillants de Boko Haram, le 3 juin dernier, sont venus de bases du nord-est du Nigéria qui s’appellent Malam Fatori et Damasak, qui étaient des bases qui officiellement avaient été reconquises par l’armée du Nigeria.

C’est n’est pas l’armée du Nigeria qui les a reconquises. C’était l’armée du Niger et l’armée du Tchad, et nous nous sommes retirés. Et maintenant l’objectif premier de cette offensive est de reprendre ces bases-là, de Malam Fatori et Damasak. En fait toute la bordure, tout ce qu’il y a de l’autre côté de la frontière du Niger.

Quand nous occuperons ces villes-là, évidemment pour la défense du Niger, il s’agit d’une profondeur stratégique que nous aurons, qui nous permettra de souffler et aux populations de pouvoir revenir dans leurs villages.

Quatre jours après ce raid de Boko Haram, le président Issoufou s’est rendu à Ndjamena pour demander au président Deby des renforts.

C’est normal ! Nous l’avons fait, nous n’avons aucun complexe à le dire. Nous considérons que le rôle stratégique du Tchad dans cette guerre dans cette sous-région, le rôle du leadership du Tchad est pratiquement reconnu par tout le monde ! Et le Tchad répondra à cette demande bilatérale en dehors de la force multinationale.

Est-ce qu’il y a eu une défaillance de la part de votre armée ?

Vous savez, quand il y a une défaite dans une bataille ça veut dire qu’il y a toujours des défaillances ! Mais je veux dire que notre armée s’est battue vaillamment. Et on ne peut pas toujours gagner des batailles ! Nous avons gagné la plupart des batailles, les tentatives de Boko Haram de nous attaquer au Niger. Une fois, deux fois que nous perdons des batailles, nous avons immédiatement réoccupé Bosso qui n’a jamais été occupé par Boko Haram, parce qu’elle ne peut pas l’occuper ! Parce que des renforts sont arrivés très vite.

Malgré ce que nous a dit le maire de Bosso ?

Le maire de Bosso n’était pas à Bosso ! Le maire de Bosso était à Diffa. La ville de Bosso, moi j’y étais… Boko Haram ne peut pas s’implanter dans une portion de notre pays parce que nous, nous avons la dimension aérienne ! Nos hélicoptères sont là. Chaque fois qu’ils détectent une présence humaine ils bombardent ! Donc par conséquent ils le savent. Ils n’interviennent que de nuit. L’attaque a eu lieu de nuit. Ils se sont rapidement retirés parce qu’eux, ils ne peuvent pas s’exposer à l’intervention de nos aéronefs ! Donc le lendemain même j’étais à Bosso, avec les forces armées nigériennes qui sont encore aujourd’hui à Bosso. Les Tchadiens ne sont pas encore arrivés, mais les Tchadiens arriveront et puis nous continuerons au Nigeria ensemble.

Les Tchadiens ne sont pas encore à Bosso aujourd’hui ?

Ils ne sont pas arrivés. C’est pour dire qu’il y a eu beaucoup d’informations. Chacun a raconté ce qu’il voulait, y compris que Bosso est occupé avec le drapeau de Boko Haram. C’est complètement absurde ! Quand on connaît le terrain et quand on sait que les avions circulent, que nous avons des avions… qui donnent l’information en temps réel, avec des images en temps réel aux différentes forces nigériennes et tchadiennes, on ne peut pas croire ça ! Donc par conséquent, Boko Haram le sait, il ne le fait pas. Il ne peut pas occuper une position au Niger ! Et là maintenant, au Nigeria, nous l’empêcherons d’occuper une position parce que nous irons le trouver. Là où il est.

La saison des pluies approche. Est-ce qu’il n’y a pas urgence pour cette contre-offensive avant les pluies ?

Mais c’est pour ça qu’elle a commencé maintenant ! C’est pour ça qu’elle a commencé ce mardi. C’est une grande offensive ! C’est la grande offensive qu’on attendait depuis un an !

Par Christophe Boisbouvier

RFI