Elhadji Idi Abdou brosse l’état des lieux de la ligne verte

Le Bureau Informations – Réclamations, Lutte contre la Corruption et le Trafic d’Influence (BIR/LCTI) en milieu judiciaire communément appelé Ligne verte a été créé en 2011 au Niger. Son Rapporteur général Elhadji Idi Abdou brosse l’état des lieux et décrypte la lutte contre la corruption au Niger notamment l’opération Maiboulala. Entretien.

 

Niger Inter : En tant que Rapporteur Général de la ligne verte pouvez-vous nous dire brièvement ce qu’est la ligne verte, son but et ses objectifs ?

Elhadji Idi Abdou : En fait c’est le Bureau Informations – Réclamations, Lutte contre la Corruption et le Trafic d’Influence (BIR/LCTI) en milieu judiciaire que l’on appelle, communément Ligne verte.

La convention des Nations Unies Contre la Corruption, entrée en vigueur le 14 décembre 2005, ratifiée par le Niger, suivant la loi N°2008 – 26 du 03 juillet 2008 dit en son article 11 que «  chaque Etat partie doit adopter des mesures pour renforcer l’intégrité et prévenir les possibilités de corruption des magistrats et des services de poursuite ». La création du BIR/LCTI, communément appelé Ligne verte, répond, donc, aux exigences de la Convention des Nations Unies Contre la Corruption.  Il a été créé par arrêté N°0056/MJ/GS/PPG  du 02 août 2011. La Ligne verte (08001111), un des moyens de fonctionnement du BIR/LCTI, a été lancée officiellement la samedi, 13 août 2011 par Son Excellence, Monsieur BRIGI RAFINI, Premier Ministre, Chef du Gouvernement.

Le BIR/LCTI est chargé :

  • de mettre en œuvre la stratégie du Gouvernement en matière de lutte contre la corruption dans le secteur judiciaire ;
  • d’informer et de guider les utilisateurs du service public de la justice ;
  • de recevoir les plaintes et réclamations des citoyens pour des faits de corruption au sein de l’appareil judiciaire ;
  • de mener des investigations sur toutes plaintes et dénonciations avérées ou réelles des citoyens ;
  • d’établir des rapports à l’issue de ses investigations et de les transmettre au Procureur de la République  compétent lorsqu’il apparaitra des indices de nature à engager des poursuites.

Niger Inter : En termes d’état des lieux où en êtes-vous ?

Elhadji Idi Abdou : A la création de la Ligne verte, les citoyens méconnaissaient la mission de la justice jusqu’à confondre se plaindre à la Justice à aller en prison. Du fait de la Ligne verte, la proximité entre la justice et les justiciables est une réalité.

Des milliers et des milliers des citoyens ont été guidés, orientés et informés relativement au fonctionnement de l’appareil judiciaire. La Ligne verte a assisté et continue d’assister les citoyens dans les procédures judiciaires les concernant, plusieurs procédures ont été débloquées à cet effet. Le BIR/LCTI a, même, eu à reconstituer des dossiers perdus ou égarés pour le compte des justiciables.  Le BIR/LCTI compte plusieurs saisines du Procureur de la République compétent.

 Pour l’année 2016, par exemple, le Bureau a mené sept (7) missions d’investigations sur le terrain à travers le territoire national, tenu cinq (5) sessions et produit trois (3) Rapports Généraux (mars, juin et novembre).

Dans le cadre des investigations, la ligne verte a parcouru hameaux et villages dans les régions d’Agadez, Dosso, Maradi, Tahoua, Tillabéry, Zinder et Niamey. Des villages, comme Rafa dans le département de Gazaoua et Gourbobo, une contrée reculée de Tanout ont connu à plusieurs reprises les missions du BIR/LCTI.

Les différents Comités se déplacent sur le terrain pour trouver le citoyen dont la plainte a fait l’objet d’investigations, là où il se trouve sur le territoire national, pour l’entendre et recueillir des informations auprès de la juridiction ayant traité l’affaire objet de la plainte. Les personnes mises en cause et les éventuels témoins sont aussi entendus.

Les investigations ont permis de constater que les plaintes et dénonciations des citoyens portent principalement sur le dysfonctionnement de la justice, le partage d’héritage, la détention arbitraire, l’abus d’autorité, le problème de notification de décision de justice, le faux et usage de faux, le litige foncier, la rédaction de décisions de justice et les difficultés de leur exécution.

Chaque citoyen dont la plainte a fait l’objet d’investigations a été informé des conclusions du BIR/LCTI.

Un sondage organisé en 2012 avec l’appui de la Primature et de la Banque mondiale a révélé que 66% des usagers sont satisfaits des services de la ligne verte.

Il est heureux de constater le rôle de dissuasion que porte la Ligne verte depuis sa création.

Niger Inter : L’opération ‘’Maiboulala’’ défraie la chronique présentement. Quelle est votre appréciation de ce tournant dans la lutte contre la corruption au Niger ?

Elhadji Idi Abdou : Normalement, une opération d’assainissement doit être une dynamique assortie d’une volonté politique affirmée et doit sévir sur toute la ligne peu importe la qualité et le statut de celui qui viole les biens ou deniers publics. La corruption est un fléau mondial qui porte sur des quantités considérables des avoirs pouvant représenter une part substantielles des ressources des Etats et menace la stabilité politique et le développement durable de ces Etats, selon le Préambule de la Convention des Nations Unies contre la Corruption. Notre pays n’a aucun choix que de combattre sans merci ni état d’âme, la corruption, c’est la seule voie de salut pour un Niger aspirant à un développement. Ce que les nigériens attendent du président de la République est de marquer sa volonté politique pour que l’opération dite « mai boulala » réussisse afin que les biens et deniers publics restent et demeurent sacrés et inviolables.

Niger Inter : D’aucuns disent que le fait que les prévenus remboursent ce qu’on leur reproche ou une partie contre une liberté provisoire est en soi un pas en avant. Qu’en pensez-vous ?

Elhadji Idi Abdou : La loi N°2016 – 21 du 16 juin 2016 modifiant et complétant celle portant institution du code de procédure pénale dit que : en matière de détournement de biens et deniers publics, aucune caution ne peut être inférieure au montant de la somme détournée, soustraite ou dissipée, ou à la valeur des biens détournés, soustraits ou dissipés ». Et cette caution conditionne la mise en liberté provisoire.

La loi N°2016 – 22 du 16 juin 2016, définit les peines applicables à la  personne qui détourne, soustrait ou dissipe ou tente de détourner, de soustraire ou de dissiper des biens publics, (…).

Niger Inter : Vous dites sur Niger 24 TV que la lutte contre la corruption est une affaire de tous. Que doivent faire les citoyens selon vous ?

Elhadji Idi Abdou : La lutte contre la corruption ne saurait réussir sans susciter l’intolérance des citoyens. Il faut sensibiliser les citoyens pour qu’ils dénoncent systématiquement la corruption dans toutes ses formes.  Une loi doit être prise en vue de protéger les lanceurs d’alerte et favoriser cette lutte.

Le Républicain : La ligne verte était dans la ligne de mire des magistrats. Comment expliquez-vous l’hostilité des magistrats à l’endroit de votre structure ?

Elhadji Idi Abdou : La Ligne verte étant un organe administratif, le débat me semble superflu.

Niger Inter : Vous aimeriez bien dire que les magistrats ne font pas la loi mais sont chargés de l’appliquer. Quel a été l’apport de la ligne verte pour atténuer l’abus des magistrats de leur pouvoir notamment du sacro-saint principe d’outrage à magistrat ?

Elhadji Idi Abdou : La création de la ligne a été dissuasive dans ce sens.

Niger Inter : Pouvez-vous brièvement partagez avec nos lecteurs des expériences des pays comme le Rwanda et la Tanzanie que vous avez visité dans le cadre de votre mission ?

Elhadji Idi Abdou : J’ai visité, effectivement, le Rwanda qui est entrain de marquer la lutte contre la corruption. La bonne gouvernance est une réalité dans ce pays et est en train d’y produire ses effets, le visiteur n’a pas l’impression qu’il y a eu un génocide dans ce pays en 1994. En réalité la lutte contre la Corruption est partie intégrante de la bonne gouvernance qui se nourrit de la volonté politique sans faille du Président, Paul Kagamé. La justice est indépendante, les différents rapports des organes de contrôles vont directement au seul parquet général qui mène ses activités en toute indépendance. D’ailleurs, pour le dernier rapport de Transparency International sur l’indice de perception de corruption dans le monde, le Rwanda a la note de 54/100, faisant ainsi partie des cinq (5) rares pays africains qui ont réussi à sortir leur tête de l’eau quant à la lutte contre la corruption.  Il est à remarquer que tous ces cinq pays disposent d’une justice indépendante. Quant à la Tanzanie, je n’y étais pas  mais il m’a été rapporté que ce pays illustre parfaitement une volonté politique à toute épreuve. En effet, lorsque certains ministres refusaient de répondre aux convocations de l’autorité chargée de lutter contre la corruption et les infractions assimilées, le Président tanzanien s’était rendu lui-même dans les locaux de l’institution pour dire à l’opinion, à travers les médias, que lui – même, Président est à la disposition de cette autorité en cas de besoin. Le fonctionnaire qui refuse de répondre aux convocations est radié de la fonction publique et le ministre démit automatiquement de ses fonctions.  Il avait, par conséquent, demandé aux ministres rebelles de rester pour y être entendus.

Niger Inter : Le Niger dispose d’une kyrielle de structures pour lutter contre la corruption à l’image de la Halcia, le pool judiciaire, la ligne verte etc. Etes-vous optimiste d’une victoire éclatante contre ce fléau qui résiste aux régimes et au temps ?

Elhadji Idi Abdou : Ce fléau résiste du fait de l’absence d’une volonté politique affirmée. Le dispositif est relativement bon, il revient à la volonté politique de garantir une victoire éclatante sous l’œil vigilant des citoyens intolérants vis – à – vis de la corruption et de tout ce qui lui est assimilé. Je suis optimiste parce que notre pays est aux pieds du mur, cette lutte  s’impose d’elle – même, le Niger, n’a aucun choix que d’affronter ce monstre qu’est la lutte contre la corruption et les infractions assimilées. Les dernières interpellations à la PJ  me semblent siffler la fin de la récréation et j’ai la faiblesse de croire que cette fois – ci est la bonne. La loi doit sévir sur toute la ligne quelles que soient l’appartenance politique, la qualité, la position sociale des contrevenants.

Le Républicain : Vous indexez également le clientélisme politique ou trafic d’influence comme obstacle à la bonne gouvernance. Que faire pour inverser la tendance ?

Elhadji Idi Abdou : Lorsque la volonté politique y est, la bonne gouvernance se défend d’elle – même. Il faut avoir l’audace et la volonté de mettre fin au régime d’impunité, c’est une question de choix politique. Si les textes de la République s’appliquent tous ces travers disparaissent automatiquement.

Niger Inter : Votre dernier mot pour une lutte efficace contre la corruption au Niger.

Elhadji Idi Abdou : La lutte contre la corruption dépend :

  • d’une volonté politique inébranlable ;
  • d’une justice indépendante caractérisée par un système judiciaire intègre ;
  • d’une intolérance des populations vis – à – vis de la corruption et des infractions assimilées.

Bref, la primauté du droit est le socle garantissant la réussite de la lutte contre la corruption.

Réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane