Débat : Et si on dollarisait l’Afrique de l’Ouest ? 

De plus en plus le débat sur l’avenir du FCFA défraie la chronique. Une certaine opinion demande la suppression pure et simple de cette monnaie. Mais le hic c’est qu’on ne propose pas des alternatives crédibles à cette démarche. Ce texte de Kiari et Zacharie Liman-Tinguiri qui prône le remplacement du CFA par le dollar en Afrique de l’Ouest est une approche assez originale.   Kiari LIMAN-TINGUIRI est économiste du développement et ex-fonctionnaire de l’ONU. Il est également auteur de : ‘’La démocratie dans les Etats fragiles : une illusion africaine de développement ?’’. Zacharie LIMAN-TINGUIRI est analyste financier .

 

Dans la série de plans pour réformer le Franc CFA, la proposition de Kakou Nubukpo  qui maintient une banque centrale indépendante avec le mandat de gérer un taux de change flottant est l’une des suggestions les plus applicables, celles qui tablent sur une monnaie de la CEDEAO ou une monnaie continentale Africaine n’étant pas très étayées.

Cette proposition dépend elle-même de quatre conditions pour permettre une politique monétaire supérieure à l’arrangement actuel dans sa capacité à améliorer le développement des pays de l’UEMOA

1 – Une banque centrale dont l’indépendance est crédible. A l’exception du Sénégal, tous les pays de l’UEMOA sont des Etats fragiles. Leurs systèmes démocratiques sont instables. Dans un tel contexte la banque centrale est vulnérable à la capture de ses instruments à des fin politiques de courts termes, son indépendance ne peut être crédible.

 2- Une zone monétaire optimale : Les pays de l’UEMOA ne forment pas une zone monétaire optimale. La synchronicité de l’activité économique dans la zone UEMOA est beaucoup plus faible que dans l’Union Européenne par exemple. Une banque centrale avec un mandat similaire à celui de la BCE aurait des conséquences économiques désastreuses sur les pays les plus pauvres de l’UEMOA.

3- Des marchés de capitaux performants. Dans le cadre d’un taux de change flottant, la politique monétaire se conduit par l’ajustement des taux d’intérêt en fonction de l’activité économique pour minimiser les écarts de performance par rapport à l’objectif déclaré. Le mécanisme de transmission d’une telle politique monétaire dépend de marchés de capitaux développés. La faible bancarisation des pays et les marchés de capitaux peu profonds de l’UEMOA rendraient ce de mécanisme transmission inutilisable, car l’activité économique est fortement inélastique au taux d’intérêt.

4- Pour permettre un fonctionnement efficace de la banque centrale indépendante, il faudrait un mécanisme de décision qui permet un compromis entre les intérêts des différents Etats actionnaires de la banque. Dans le contexte actuel, la prépondérance de la Côte d’Ivoire (40% du PIB de l’Union) rendrait nulle la possibilité pour les autres pays de voir leurs conditions économiques -comme un choc exogène n’affectant que certains pays- influencer la politique monétaire commune.

Les retombées d’une témérité à faible risque

Si l’on veut à la fois couper le cordon ombilical avec le trésor français, conserver les avantages de la convertibilité et éviter le risque inflationniste de la tentation d’un excès de financement monétaire, alors la dollarisation est une option préférable au simple rapatriement de la gestion des réserves de change. Son principal coût, l’abdication d’une politique monétaire autonome est plus que compensé par quatre catégories de bénéfices.

A- La dollarisation permet aux états dollarisés une stabilité monétaire, une inflation faible, des taux d’intérêt nominaux et réels faibles, et des asymétries de termes de l’échange faibles parce que le gros des importations et des exportations se soldent en dollars américain.

B- L’usage du dollar américain augmente la disponibilité de capitaux. Toute la zone économique peut emprunter en dollars – la monnaie la plus abondante dans le monde. L’accès à une masse de capital quasi illimitée, contraint seulement par la solvabilité des emprunteurs a des bénéfices pour le développement. Les importateurs ne sont pas rationnés en devises étrangères et l’investissement direct étranger devient plus facile, ce qui peut apporter une source exogène de financement pour l’infrastructure dont dépendent fortement des pays pauvres avec une forte croissance démographique.

C- L’usage du dollar diminue les coûts de transaction du commerce international. Les pays qui partagent la même devise, indépendamment de la distance qui les séparent, multiplient leur volume d’échanges réciproques. Cette augmentation du volume des échanges commerciaux se fait en plus, et non au détriment, des échanges commerciaux qui existent avec les pays qui ne partagent pas la même devise. La question peut légitimement être posée de savoir si l’on ne peut pas obtenir les mêmes résultats en « euro-isant » l’UEMOA. II n’en est rien, car même si l’on fait abstraction du danger d’importer les risques de fonctionnement qui déstabilisent régulièrement la zone Euro, en raison de la plus faible part de l’Euro comme monnaie de réserve à l’échelle mondiale, les avantages d’une « euroisation » seront bien plus faibles que ceux d’une dollarisation. En fait, comme le souligne B. Tinel, « la valorisation des exportations des zones franc est conditionnée par l’évolution du taux de change entre l’euro et le dollar, lequel ne dépend quasiment pas de la politique monétaire pratiquée par les banques centrales des zones CFA »[1]. En dollarisant, on élimine un intermédiaire superflu.

D- La dollarisation facilite l’entrée de banques étrangères dans le marché domestique, parce que l’usage du dollar américain rend la structure des coûts des opérations bancaires rentable. La compétition que ces acteurs opposent aux banques domestiques favorise une amélioration des standards d’octroi de crédit. En plus d’une amélioration de la qualité des crédits, les acteurs étrangers favorisent le développement des marchés financiers et la bancarisation de l’économie.

Conclusion

Le CFA n’est plus soutenable, parce qu’il ne sert pas suffisamment de levier pour la transformation et le développement des pays de l’UEMOA et, l’Euro étant déstabilisé, il n’est même plus la garantie d’une stabilité durable.

En dollarisant, la BCEAO perd la responsabilité de la politique monétaire, mais son expérience et l’expertise de son personnel pourront être déployées dans chaque pays, dans un rôle éminemment utile pour la croissance, la diversification et la transformation des économies en les concentrant sur la régulation et le développement du secteur financier.

Enfin la dollarisation est un bon moyen pour éviter un plongeon dans l’inconnu en cas de déclenchement d’un processus de déconstruction de l’Euro consécutive à l’arrivée au pouvoir d’un parti europhobe, dans un des grands pays membres de la zone.

Par Kiari et Zacharie LIMAN-TINGUIRI

 [1]Bruno Tinel. Ch. 4. Page 113 ; in K. Nubukpo et al. « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le CFA ? » MLQ , Paris, 2016)