Abdoulaye Maihatchi, Doctorant en mines à l’Université de Nancy © NigerInter.com

Abdoulaye MAIHATCHI, une réponse incisive au défi énergétique du Niger

Doctorant en mines  à l’Université de Nancy, Abdoulaye Maihatchi est un jeune nigérien qui a choisi de faire bouger les lignes. En étudiant en profondeur les mines, ce jeune esprit touche du doigt le vrai problème pour apporter la vraie réponse à la misère de tout un peuple inhérente à ce bien précieux qu’est l’uranium devenu,  comme qui dirait une pomme de discorde.  « Le sous-sol nigérien est l’un des plus riches au monde, il serait dommage que ces ressources profitent aux autres et non au peuple nigérien. Pour que ça nous profite à nous, il faut nécessairement que le pays forme des cadres compétents en la matière », nous a-t-il confié. Interview.

Niger Inter : Présentez-vous à nos lecteurs et internautes.

Abdoulaye MAIHATCHI : Je suis Abdoulaye MAIHATCHI, actuellement doctorant à l’Université de Lorraine (France). Mais avant d’en arriver là, permettez-moi de vous parler de mon cursus scolaire. J’ai fait mon école primaire à Tajaé nomade (Illéla), mon collège au C.E.S de Konni, un partie de mon lycée au C.S.P Tarat d’Arlit et ma terminale en 2008-2009 au lycée Kouara de Niamey. Après l’obtention de mon BAC, série D, s’est posée naturellement la question du choix de filière à l’Université, en effet, j’hésitais entre la médecine et les Mines. C’est ici que je vais remercier du fond du cœur les personnes qui m’ont sincèrement aidé à trancher, il s’agit principalement de M. Yahaya Maïgachi, Abdou Efared, Abdourahmane Goumour et Abdoulaye Tahé. Au même moment, j’ai déposé un dossier de bourse d’études dans le cadre de la coopération entre l’Algérie et le Niger. Par la grâce d’Allah, j’étais sélectionné  en sciences et technologie à l’Université de Sidi Bel Abbès (Algérie) où j’ai fait ma première année de tronc commun. A partir de la deuxième année, j’ai choisi l’option Mines à l’Université d’Annaba (Algérie) où j’ai obtenu respectivement ma Licence (2012) et mon Master (2014) en valorisation des ressources minérales avec mention Très Bien (major de promotion). A la fin de ce master, j’ai vite compris qu’en fait, les domaines de compétence d’un ingénieur des Mines  se résument à la maîtrise des techniques d’exploitations et aux opérations d’enrichissement du minerai jusqu’à l’obtention d’un concentré. Dans le jargon minier, le concentré est le produit final obtenu après séparation du métal recherché de ses résidus, la phase contenant le métal contient quelques impuretés. Par exemple, dans le cas du traitement d’un minerai d’uranium le concentré, aussi appelé Yellow Cake, est un gâteau jaune titrant en environ 70 à 75 % en Uranium. Ce dernier est alors envoyer en France où il est purifié et utiliser pour diverses applications donc la production d’électricité. Etant fils d’un pays dont les ressources en uranium ne sont plus à démontrer, j’ai décidé d’approfondir mes connaissances en chimie nucléaire c’est-à-dire, une formation qui permet de connaître le circuit complet de l’uranium de la mine au réacteur, c’est ce qu’on appelle le cycle du combustible nucléaire. C’est ainsi que j’ai été accepté à l’Université de Montpellier en octobre 2014 dans la formation pour le nucléaire et l’environnement gérée en partie par le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Après cette formation, j’ai travaillé pendant une année à la fin de laquelle j’ai pris la décision de faire mon doctorat sur la gestion des déchets miniers et aujourd’hui, Dieu merci, je suis doctorant cifre entre l’Université de Nancy et la société Extractive sur le site du Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives à Marcoule. Mes travaux de recherche portent sur la valorisation des résidus miniers riches en fer par électrodéposition en milieu fortement alcalin.

Niger Inter : Notre pays est exportateur de l’uranium mais nos défis sur le plan énergétique sont réels. Comment expliquez-vous ce paradoxe?

Abdoulaye MAIHATCHI : C’est très facile à expliquer. Mais notez que le terme exportateur me semble impropre ici. Par exemple quand quelqu’un amène ses casseroles et ses légumes chez vous et vous demande du riz pour cuisiner, à la fin de sa cuisine, il décide d’emmener sa nourriture chez lui, évidement qu’il vous donnera un peu puisque c’est votre riz et c’est votre cuisine. Mais, ce n’est pas parce qu’il traverse votre cour pour ses allers et retours que vous êtes exportateur de riz. C’est un peu le cas entre le Niger et les entreprises étrangères qui exploitent ce minerai. Malheureusement, comme vous l’avez dit, nos défis sur le plan énergétique sont réels aussi bizarre que cela puisse paraître pour un pays classé 2ème producteur mondial d’uranium. Nous subissons les conséquences d’une politique décidée depuis les années 60. Savez vous que l’exploitation de  la SOMAÏR a commencé en 1971? Soit seulement 10 ans après l’indépendance du pays, voyez vous !!! Du coup, sans caricaturer, je pense que les dirigeants de l’époque n’avaient pas conscience de ce qu’est réellement l’uranium. Aujourd’hui, le Niger est dirigé par un ingénieur des Mines, qui a le mérite d’avoir eu l’idée de créer la HANEA, nous espérons, que les choses changeront au plus vite. Aussi, faudrait-il le rappeler, des négociations avaient eu lieu entre le gouvernement et AREVA pour l’adoption du nouveau code minier en 2013-2014, aux termes de ces négociations un partenariat stratégique a été signé.

Niger Inter : les populations riveraines des mines uranifères font face à des maladives liées à cette précieuse ressource. Comment selon vous prévenir les effets des mines sur la population ?

Abdoulaye MAIHATCHI : Les résidus de traitement  de l’uranium sont des boues radioactives qui contiennent environ 80 % de la radioactivité contenue dans le minerai. En effet, l’extraction chimique entraine bien l’uranium dans le concentré mais pratiquement tous les métaux lourds radioactifs (thorium 230, radium 226, plomb 210, etc.) qui lui sont associés se retrouvent dans les résidus. L’inhalation de ces radionucléides, émetteurs alpha, est responsable d’une augmentation des risques de cancer du poumon. Par ailleurs, il est tristement connu de tout le monde  que la ville d’Arlit est polluée. Entendez par pollution toute contamination de l’air de l’eau ou du sol par des substances chimiques, organiques et/ou radioactives altérants ainsi la santé de l’homme, la qualité de la vie et le fonctionnement naturel des écosystèmes. Au départ, les mines se trouveraient à environ 7 km de la ville pour éviter des maladies liées à cette activité. Ces maladies, dont la plus connue est la silicose, sont généralement des cancers de poumons dus à la présence des substances dangereuses dans les poussières. Mais comme vous le savez, Arlit a vite grandi et les mines aussi, cela a entrainé naturellement un rapprochement entre ces deux entités. Et d’un autre côté, Arlit se trouvent dans une zone désertique où les vents soufflent fort malheureusement, ce qui facilite le transport des fines particules dans l’air entrainant donc la contamination. Pour répondre à votre question, je crois qu’on ne peut plus parler de la prévention des effets, puisqu’ils sont déjà là, mais on peut les atténuer. Ce qu’il y a lieu de faire en urgence est de sensibiliser cette population sur les vrais risques. Aussi, il faudrait dépolluer certains endroits du centre ville. Sur le site minier, il faudrait que la société trouve des moyens d’éviter la propagation des poussières ; le plus simple serait d’arroser quotidiennement les routes, les tas de minerai et des résidus avec juste de l’eau par exemple.

Niger Inter : vous étudiez l’exploitation de l’uranium. Comment notre pays peut-il profiter de cette ressource naturelle dans sa production sur toute la ligne?

Interview Abdoulaye Maihatchi12412Abdoulaye MAIHATCHI : J’ai plutôt fait des études en Mines, pas seulement les mines d’uranium. J’avoue que cette question est la plus intéressante. Les nigériens doivent savoir qu’ en France 1 ampoule sur 3 est alimentée par l’uranium du Niger, et la population française est d’environ 67 millions d’habitants sachant que tout le monde à accès à l’électricité alors que le Niger n’en compte même 20 millions d’habitants avec un taux de couverture électrique de 14,3 %, la honte !!! Aussi, pour ceux qui ne le savent pas, la fission de 1g d’uranium libère environ 1730 fois plus d’énergie que n’en fournit la combustion de 1000 g de pétrole. Et pourtant, nous dépendons du Nigéria voisin, grâce à son pétrole. Les coupures permanentes et quotidiennes d’électricité au Niger prouvent à suffisance que le Nigeria ne peut plus nous sauver, il est donc temps que le Niger se lève pour faire face à ses défis énergétiques. C’est ainsi que le gouvernement a créé par décret N° 2013-490/PRN du 4 décembre 2013, la Haute Autorité Nigérienne à l’Energie Atomique (HANEA) pour réfléchir et mettre en place les techniques et méthodes permettant à ses concitoyens de profiter cette ressource, faisons donc confiance à cette autorité. Pour ma part, je pense que le plus urgent est de renégocier les contrats miniers  et surtout diversifier les partenaires.

Niger Inter : on a tendance à faire croire qu’aujourd’hui l’uranium ne se vend plus comme avant. Est-ce une manœuvre de ceux qui font la loi du marché ?

Abdoulaye MAIHATCHI : Oui, malheureusement, les prix des métaux ont chuté depuis la crise de 2011 et l’uranium n’a pas fait exception. Mais avec l’annonce de la réduction de production du Kazakhstan, qui représente 39 % de la production mondiale d’uranium en 2015, on peut s’attendre à une augmentation des prix dans un futur proche. Et par conséquent espérer la réouverture du gigantesque site minier d’Imouraren.

Niger Inter : Comment selon vous assumer notre souveraineté sur le plan minier si nous continuons à dépendre des autres scientifiquement parlant?

Abdoulaye MAIHATCHI : Il y’a déjà une partie de la réponse dans votre question. Je pense que l’Etat doit investir dans le secteur éducatif en général. Du côté minier, il existe déjà une école de Mines (EMIG) et une filière qu’on appelle Mines et pétrole à l’Université Abdou Moumouni. Dans les deux cas, la formation est excellente. Les hommes qui y sortent savent bien extraire et traiter un minerai. Mais comme je le disais en haut, le minérallurgiste se limite à la production d’un concentré. Or le défi se situe encore plus loin, c’est-à-dire transformer ce concentré en métal ou en oxyde métallique pur. Par exemple, dans le cadre de l’uranium, car visiblement c’est lui qui intéresse tout le monde, il faut apprendre aux étudiants comment produire l’oxyde d’uranium (UO2) à partir de concentré d’uranium nécessaire à la production de l’électricité. Sur le plan professionnel, le Niger devrait créer au moins un centre de recherche orienté sur les sciences et techniques du nucléaire.

Niger Inter : avez-vous un conseil pour les jeunes nigériens pour s’intéresser aux études minières comme vous?

Abdoulaye MAIHATCHI : C’est un peu compliqué, en fait, les jeunes lycéens ne connaissent pas ce qu’est l’uranium excepté ceux d’Arlit. Je crois que le Niger, au vu de ses ressources, devrait penser comme le font certains pays développés à introduire un module (cours) sur les mines en classe de terminale, juste pour expliquer  aux élèves que le Niger  possède d’énormes ressources exploitables et que l’avenir du pays est dans leurs mains, les inciter à aimer ce domaine. Ceci serait le meilleur moyen d’encourager ces jeunes. J’avoue que c’est un domaine intéressant, et pour s’en rendre compte, rien de plus simple. En effet, tout les métaux que nous utilisons (dans nos appareils, nos ordinateurs, nos voitures, nos cuisines, etc.…) sont produits à partir des mines, d’autre part, la population mondiale ne fait qu’accroitre ce qui implique donc un besoin imminent en métaux. J’encourage fortement les jeunes qui sont déjà dans le domaine à exceller encore pour faire rayonner le Niger partout, car comme le disait une élève malienne «  il ne s’agit pas d’être excellent, mais plutôt de conserver son excellence toute sa vie ».

Pour finir, je me dois de dire que le sous sol nigérien est l’un des plus riches au monde, il serait dommage que ces ressources profitent aux autres et non au peuple nigérien. Pour que ça nous profite à nous, il faut nécessairement que le pays forme des cadres compétents en la matière.

Niger Inter : Que pensez-vous de Niger Inter ?

Abdoulaye MAIHATCHI : Par rapport Niger Inter, c’est un journal que je consulte toujours. Grâce à ce dernier, nous sommes informés de tout ce qui se passe au Niger. Bon courage au Groupe de Presse Multimédia Nigerinter. Que Dieu bénisse le Niger. Je vous remercie.

Propos recueillis par Elh. Mahamadou Souleymane