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Décryptage : pour un dialogue politique au Niger…

Robert Dossou, l’émissaire de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) est de retour, apprend-on, avec pour mission de renouer le dialogue au sein de la classe politique nigérienne. En 2015, les guinéens, dans une situation semblable, à bien d’égards, à celle du Niger c’est-à-dire en panne de dialogue politique avaient fini par trouver un accord politique sur le processus électoral en cours dans leur pays. Force est de constater que les joutes et les guéguerres s’accentuent au Niger au sujet justement du processus électoral. Pourtant la crise guinéenne était très plus profonde et existait depuis l’élection du président Alpha Condé au 1er mandat. Qu’est-ce que le dialogue politique ? Quelles sont les conditions de possibilité de ce dialogue au Niger ? Pourquoi pouvoir et opposition au Niger doivent-ils privilégier une approche dialogique à leur différend ? En s’appuyant sur quelques sagesses, cette modeste contribution au débat actuel en cours dans notre pays vise à rappeler quelques principes élémentaires du dialogue.

  Le Niger en disposant d’un cadre de dialogue politique – le Conseil national de dialogue politique (CNDP) – se trouve très en avance sur beaucoup de pays en matière de dialogue. Quand on sait que le processus électoral nigérien est inclusif et que les points de litige relèvent du détail donc constituent une contradiction secondaire, il suffit d’une volonté politique à travers un dialogue sincère pour se comprendre et avancer. Il importe de  souligner que la mise en place de la CENI permanente et l’élaboration du fichier électoral biométrique est l’émanation de la volonté des forces politiques en présence (pouvoir, opposition, société civile et observateurs des élections de 2016).

  Invité à Niamey par les chrétiens pour animer une conférence sur le dialogue interreligieux, le sage Amadou Hampathé Bâ a déclaré : « Mon maître Tierno Bokar avait l’habitude de dire : ‘’il y a trois vérités : ma vérité, ta vérité, et la Vérité. Cette dernière se situe à égale distance des deux premières. Pour trouver la vérité dans un échange, il faut donc que chacun des deux partenaires s’avance vers l’autre, ou ‘’s’ouvre’’ à l’autre. Cette démarche exige, au moins momentanément, un oubli de soi et de son propre savoir. Une calebasse pleine ne peut pas recevoir d’eau fraiche… », Amadou Hampathé Bâ, Jésus vu par un musulman.

Le dialogue n’est pas chose aisée en ce sens qu’il suppose une violence sur soi. Une certaine renonciation à quelque chose souvent à laquelle l’on tient tant. Le psychanalyste Jacques Lacan a dit : « Le dialogue parait en lui-même constituer une renonciation à l’agressivité ». En effet, opter pour le dialogue c’est renoncé à la violence ou d’autres voies d’expression non rationnelles.

C’est, pour ainsi dire, communiquer. Et on le sait, le but de toute communication c’est la compréhension mutuelle. Quand on parle c’est pour se faire entendre et surtout se faire comprendre. On échange, on discute mais pour qu’il y ait discussion il faut s’accorder sur quelque chose. Cet accord n’est possible que lorsque les interlocuteurs peuvent participer sans aucune contrainte extérieure.

Cela suppose également que les participants au dialogue soient de bonne foi et que leur propos ait de la véracité. D’où la nécessité d’une certaine ‘’éthique de la discussion’’. Car comme dirait l’autre : « Il ne faut pas discuter avec quelqu’un qui nie les principes ». Le dialogue pourrait être envisagé comme ‘’un face à face’’, un rendez-vous du donner et du recevoir, une confrontation pouvant déboucher sur une décision, un consensus ou un accord.

Les préalables au dialogue

Dans le guide du facilitateur du dialogue entre partis politiques de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance, on peut lire ceci : « Le dialogue n’est pas une invention moderne. À travers l’histoire et dans la plupart des sociétés, le fait de rassembler des personnes pour les aider à surmonter leurs différences et à résoudre leurs problèmes a toujours été une mission prestigieuse, généralement confiée à des individus expérimentés, à des anciens ou à des personnes respectées pour la qualité de leur jugement et leur sagesse. Certains éléments de « méthodologie du dialogue » ont été et sont encore employés dans les sociétés traditionnelles et s’appuient sur des procédures et coutumes ancestrales (par exemple, les jirgas, les shuras et les conseils de village). Leur validité est d’ailleurs reconnue dans les processus de justice de transition, de gestion des conflits et de réconciliation (IDEA international, 2008b) »

Ainsi selon les situations de crise, on observe souvent des initiatives internes où les acteurs en présence peuvent accepter de se retrouver pour discuter des problèmes au nom de l’intérêt général. Tout comme on a recours également aux médiations qu’elles soient nationales ou internationales.

En termes de préalables ou disons précaution pour un dialogue nous empruntons ici la règle de « l’éthique de la discussion » de Jürgen Habermas dont la théorie de « l’agir communicationnel » fait autorité pour les débats dans les sociétés démocratiques aujourd’hui. Cette règle se décompose donc en deux étapes :

« 1) Il faut prendre en compte les intérêts des personnes qui peuvent être affectées par la norme examinée ;

2) et tenir compte des jugements que lesdites personnes posent sur la norme. »

En d’autres termes, cela revient à dire le plus simplement du monde que les intérêts du peuple et l’opinion des citoyens doivent être les seules références, les seules guides au dialogue politique puisque c’est de cela qu’il s’agit. C’est dire qu’il n’y a de sujet tabou dans ce dialogue que ce que le peuple souverain considère comme tel.

L’état des lieux du dialogue politique au Niger

A priori, on pourrait dire que présentement le contexte est difficile voire hostile au dialogue politique au Niger malgré l’existence du Conseil national de dialogue politique évoqué plus haut. Le pouvoir et l’opposition se regardent en chiens de faïence. L’opposition persiste et signe : la mise en place de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et le code électoral ne seraient pas  consensuels. Une partie de cette opposition exigerait d’être présente au sein de la CENI permanente et que les membres de celle-ci représentant l’Etat n’aient pas droit de vote au sein de cette institution.

La création des différents Fronts par l’opposition élargie à une partie de la société civile en dit long sur le contexte non dialogique qui caractérise la situation politique dans notre pays. Au même moment, côté pouvoir, on rétorque que l’opposition joue à la mauvaise foi et au dilatoire du moment où elle serait impliquée en amont sur toute la ligne dans le processus de mise en place des structures qu’elle récuse. Le pouvoir prétend que l’opposition comme en 2016 ne voudrait pas aller aux élections. De proche en proche, il s’installe résolument un dialogue de sourds entre le pouvoir et l’opposition au Niger. L’état des lieux est loin d’être propice au dialogue politique. Mais la présence de l’OIF à travers Robert Dossou qui est à sa troisième mission au Niger permet d’espérer. Et ce, quand on sait que l’OIF maîtrise bien les dynamiques du processus électoral nigérien pour l’avoir parrainé. D’ailleurs c’était grâce à la médiation de l’OIf que l’opposition avait participé aux élections de 2016 qu’elle avait menacé de boycotter.

Les conditions de possibilité du dialogue politique au Niger

Il y a lieu de souligner que le CNDP a fait ses preuves dans la résolution des antagonismes politiques au Niger. La situation actuelle surprend plus d’un observateur notamment en ce qu’elle concerne les élections puisqu’on pourrait même considérer que c’est une exception que cette fois-ci la classe politique tarde à s’entendre sur la poursuite de la mise en place du processus électoral. Il est vrai que sous Tandja avec le tazarce, le CNDP a failli à sa mission même si par ailleurs le recours à la médiation internationale – la CEDEAO avec Aboubacar Abdoussalami – n’avait pas également arrangé les choses.

Cette situation met en évidence que le dialogue qu’il soit l’initiative national ou international, si les acteurs ne sont pas de bonne foi, s’ils sont animés par des attitudes « jusqu’auboutistes », le fiasco sera toujours au rendez-vous.

Toutefois, si le pouvoir et l’opposition sont disposés à dialoguer véritablement,  il va falloir d’un côté, l’opposition et la société civile acquise à sa cause formule des doléances raisonnables ou du moins légales à défaut d’être réalistes. De l’autre côté, il va falloir sans tarder mettre en branle le Conseil national de dialogue politique pour s’attacher à l’examen des doléances de l’opposition.

Autrement, le pouvoir et l’opposition doivent être également disposés à recourir à une médiation internationale. Il nous semble qu’il n’est pas un luxe pour le Niger d’explorer ces pistes pour la paix dans un contexte électoral inclusif et apaisé. Encore une fois, la classe politique doit se reprendre pour simplement donner au peuple nigérien dont chacun et tous se réclament  une chance à la paix et la cohésion indispensables pour tout développement.

Toute attitude contraire à l’esprit du dialogue du pouvoir ou de l’opposition serait nuisible au Niger qui a trop souffert des batailles partisanes débouchant sur des remises en cause des acquis de notre peuple. Qui a intérêt que le Niger s’enlise aujourd’hui encore dans une crise politique ? A qui profite les guéguerres politiciennes ?

Nous osons espérer que pouvoir et opposition au Niger rééditerons l’exploit guinéen en temps réel. Il y a de quoi y tenir quand on sait que malgré les mécompréhensions entre politiciens, ce qui nous réunit au Niger est plus important que ce qui nous divise. C’est le moment de cette convergence. Le peuple nigérien y tient et il appelle à cela de tous ses vœux. Refuser cet appel, refuser ce devoir patriotique c’est donné raison à Henri Lafrance lorsqu’il dit : « Peu importe le dialogue ou le monologue, les gens ne comprennent et ne saisissent que ce qui fait leur affaire. »

Quelques points de litige à surmonter…

Il faut admettre que l’incompréhension est apparue à la mise en place de la CENI permanente notamment le choix de ses membres au niveau du Conseil national du dialogue politique (CNDP). Et franchement ces questions de litige sont secondaires par rapport au processus électoral proprement dit qui a l’assentiment de toute la classe politique en amont. Nous disons que ces malentendus sont secondaires pour la simple et bonne raison qu’ils sont surmontables à condition que tous les acteurs notamment les partis politiques soient dans une posture dialogique. La situation requiert un sursaut national et donc de la sincérité de la part des uns et des autres.

Pour ce faire, il n’y a pas 36 solutions : il faut qu’on se parle, il faut savoir faire des concessions. Bref, il faut dialoguer.

A notre sens, pour sortir notre pays de l’ornière, on ne saurait faire économie de ce dialogue nécessaire, notamment le dialogue politique. C’est dire que la classe politique nigérienne est condamnée à se retrouver, soit autour du Conseil National du Dialogue Politique (CNDP), soit autour d’une médiation internationale. Et en tant qu’observateur de la scène politique, à notre humble avis, les problèmes peuvent se régler au sein du CNDP, pourvu que les acteurs le veuillent bien.

A ce niveau, nous pensons très sincèrement que dans un esprit dialogique, au moins trois éléments peuvent décrisper la situation actuelle où les gens se regardent en chien de faïence. Du moment où le processus électoral actuel est inclusif et participatif en amont, il suffit simplement d’extirper les points de litige pour que tout le monde se retrouve dans ce processus en mettant en avant l’intérêt général.

Premier élément, à notre sens, il faut accepter que les représentants de l’administration à la CENI n’aient plus droit de vote puisque les opposants les considèrent comme appartenant à la majorité.

Deuxième élément, on pourrait dans le même esprit dialogique revoir le nombre des représentants des partis politiques, par exemple de trois (3) à cinq (5) pour la majorité et l’Opposition, ou bien, s’entendre sur le fait que tout parti politique représenté à l’Assemblée nationale ait un représentant au sein de la Commission électorale nationale indépendante (CENI).

Troisième élément, que l’Opposition politique renonce au combat non démocratique pour la conquête du pouvoir et par conséquent, qu’elle reprenne sa place au sein de la CENI. L’opposition doit miser sur l’alternance démocratique et non la sédition comme mode d’expression politique.

C’est dire que la classe politique nigérienne doit accepter ce dialogue nécessaire pendant qu’il est encore temps. Une opposition républicaine n’a d’autre recours que les élections pour se faire valoir pas une quête d’un raccourci qui ne peut que retarder notre peuple qui n’entend pas que ses acquis soient remis en cause. C’est en acceptant résolument d’aller aux élections que les nigériens apprécieront la bonne foi et la qualité républicaine de notre opposition. Le pouvoir, pour sa part, a tout à gagner en créant les conditions de possibilité de ce dialogue. L’OIF serait en passe de mettre la classe politique nigérienne sur la même table, apprend-on. Vivement que notre pays surmonte cette contradiction secondaire inhérente à notre processus électoral !

Elh. Mahamadou Souleymane