Interview : Idrissa ALICHINA KOURGUENI DG de l’INS se prononce sur l’IDH du Niger

« Aujourd’hui, le Niger est le troisième pays d’Afrique qui fournit le plus d’effort en termes d’amélioration de son IDH », déclare Idrissa ALICHINA KOURGUENI

 Idrissa ALICHINA KOURGUENI est Directeur Général de l’Institut National de la Statistique (INS). Il est également économiste démographe de formation. A travers cet entretien, il explique l’IDH, ses instruments de mesure, les indicateurs pris en compte. Il apprécie également le classement du Niger tout en rappelant notre contexte par rapport à d’autres pays africains. Une pertinente contribution à mille lieues des idées reçues et autres spéculations.

Le Républicain : Comment définissez-vous techniquement l’Indice de développement humain (IDH)  du PNUD ?

Idrissa ALICHINA KOURGUENI: Je voudrais avant de répondre à votre question, vous remercier de l’opportunité que vous offrez à l’INS d’éclairer une fois de plus l’opinion nationale sur la question de l’IDH et le classement du Niger. L’IDH est juste un indice composite créé par le PNUD pour mesurer des progrès accomplis par les pays dans leurs actions de développement. Il vise essentiellement à éveiller les consciences et à stimuler les débats à l’échelle nationale et internationale sur les questions de développement humain. Il s’agit donc d’un instrument  de plaidoyer servant aussi à l’appréciation des efforts faits dans les principaux secteurs importants de développement humain.

La valeur de l’IDH est comprise entre 0 et 1. L’IDH prend en compte  trois (03) dimensions pour mesurer le niveau de développement humain du pays.

La santé mesurée à travers l’espérance de vie à la naissance;

– le niveau d’éducation mesuré à travers la durée moyenne de scolarisation et la durée attendue de scolarisation;

– le niveau de vie mesuré à travers le Revenu National Brut (RNB) par habitant en Parité de Pouvoir d’Achat (PPA):

L’espérance de vie à la naissance: ou vie moyenne, exprime le nombre moyen d’années que peut espérer vivre un nouveau-né, si les conditions de mortalité ayant prévalu au cours de la période étudiée demeurent inchangées durant toute sa vie.

La durée moyenne de scolarisation est le nombre d’années de scolarisation passées par une personne âgée de 25 ans et plus;

La durée attendue de scolarisation ou l’espérance de vie scolaire est la durée de scolarisation prévue pour un enfant en âge d’être scolarisé.

Le Républicain : Les données statistiques de l’INS sont-elles prises en compte dans le calcul de l’IDH ?

Idrissa ALICHINA KOURGUENI: Les données statistiques de l’INS ne sont pas prises en compte dans le calcul de l’IDH. Toutes les sources de données citées dans le Rapport mondial du Développement Humain (RMDH) proviennent soit des agences spécialisées des Nations Unies, soit d’autres « organismes internationaux». Ainsi, les statistiques de l’éducation proviennent de l’UNESCO, les statistiques de la santé proviennent de la Division Population des Nations Unies et les Statistiques du revenu proviennent de la Banque mondiale. Dans leur démarche méthodologique, ceux qui élaborent le RMDH et qui sont recrutés par le PNUD travaillent de manière indépendante, tant dans la collecte que dans l’exploitation et l’analyse des données. Ainsi, l’Institut National de la Statistique (INS) du Niger n’est associé dans aucune des étapes d’élaboration des RMDH. Nous transmettons les résultats de nos enquêtes et études à toutes ces institutions afin qu’elles puissent être intégrées. En mars 2018, une équipe de l’INS s’est rendue spécialement à New-York pour rencontrer les responsables du RMDH et échanger avec eux sur leur méthodologie, leurs sources de données et sur les mesures que le Niger devrait prendre pour améliorer son IDH. Les discussions ont été très riches et ils nous ont fait des suggestions très intéressantes.

Le Républicain : Chaque année le classement peu enviable du Niger en termes d’IDH  crée une polémique. En tant que Directeur Général de l’Institut National de la statistique (INS) comment expliquez-vous ce classement (chronique) du Niger ?

Idrissa ALICHINA KOURGUENI: Il faut indiquer qu’il est étonnant de voir toutes les réactions qui sont suscitées par le classement du Niger chaque année comme si le rang du Niger était une nouveauté. Je voudrais juste vous rappeler que le 1er RMDH a été publié en 1990. Le Niger avait été classé dernier, très loin derrière tous les pays. Il en a été ainsi malheureusement depuis cette année. L’IDH ne sert pas à mesurer la richesse ou la pauvreté d’un pays, il sert plutôt à mesurer les efforts réalisés en matière de développement humain du pays.  Il faut relever que le Niger est très bien classé par d’autres indicateurs de mesure comme le CPIA (Country Policy and Institutional Assessment) de la Banque Mondiale qui ne sont pas médiatisés. Le Niger est classé 10ème en termes de CPIA (avec une note de 3,4 sur 6) par rapport à 38 pays de l’Afrique subsaharienne en 2017. De même, aujourd’hui le Niger dépasse 63 pays en termes de Produit Intérieur Brut  (PIB) dans le monde.

Il faut relever que l’IDH du Niger était extrêmement faible par rapport à celui des autres pays depuis 1990. A titre illustratif, le taux brut de scolarisation du Niger en 1960 était de 3.6% contre 7% au Burkina Faso et 28% en Côte d’Ivoire et au Bénin.  C’est pour cela que, malgré les efforts réalisés par le Gouvernement,  le niveau de l’IDH du Niger de 2017 reste inférieur à celui de 1990 de certains pays de l’espace UEMOA, notamment le Sénégal,  le Togo et la côte d’ivoire. Aujourd’hui, le Niger est le troisième pays d’Afrique qui fournit le plus d’effort en termes d’amélioration de son IDH.

Cependant, l’analyse des composantes de l’IDH permet de mieux comprendre le classement du Niger :

–  Le Revenu National Brut (RNB) par habitant du Niger a évolué en dents de scie de 1990 à 2010. Depuis 2011, il a connu une progression significative. Estimé à 889 dollars en Parité de Pouvoir d’Achat (PPA) en 2016, il est passé à 906 dollars PPA en 2017. Malgré cette amélioration, le  RNB du Niger est le plus faible au niveau des Etats membres de l’UEMOA. Le RNB du Niger ne dépasse que ceux de la RDC, du Burundi, du Libéria et de la Centrafrique. Le faible niveau du RNB du Niger s’expliquerait en grande partie par le caractère informel de l’économie du pays, qui conduit à une sous-estimation de la richesse du pays. Il y a aussi la forte croissance démographique qui impacte sur le niveau du PIB par tête ainsi que sur le ratio de dépendance, très élevé,  dû à l’extrême jeunesse inactive de la population.

– Les résultats mesurés pour le Niger dans le domaine de la santé suscitent beaucoup d’interrogations. En effet, bien que le Niger ait progressé en termes d’IDH en 2017, le pays aurait connu une baisse de son espérance de vie à la naissance de 2,4%. Selon le RMDH 2018, l’espérance de vie à la naissance est passée de 61,9 ans en 2016 contre 60,4 ans en 2017, soit une baisse de 1,5 an. Cette baisse est surprenante car l’espérance de vie à la naissance est un indicateur qui ne baisse de manière importante que lorsque le pays est confronté à des catastrophes.  Au Niger, depuis  plusieurs années, toutes les études et enquêtes conduites par l’INS, le Ministère de la Santé Publique (MSP) et d’autres institutions font ressortir une amélioration des indicateurs de la santé, notamment en termes de baisse de la mortalité des enfants de moins de 5 ans. Or, l’espérance de vie à la naissance est fortement déterminée par la mortalité des enfants de moins de 5 ans qui a baissé de manière très significative depuis 2012.  D’ailleurs l’espérance de vie à la naissance du Niger a été estimée en 2017 à 64,5 ans par l’INS.

–  La durée attendue de la scolarisation qui était de 5,4 ans, ne dépassait que celle du Sud-Soudan (4,9) et celle de l’Érythrée (5,0) en 2016. Cependant, en 2017 l’Erythrée est arrivée au même niveau que le Niger. Quant à la durée moyenne de scolarisation du Niger, elle ne dépasse que celle du Burkina Faso.

Le Républicain : A l’occasion du Café Statistique, intitulé « Evolution de l’IDH de 1990 à 2015 » vous avez dit face à la presse, qu’au regard de notre retard dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la non maîtrise de la croissance démographique, les nigériens doivent souffrir du classement peu enviable, et ce, pour longtemps avant d’inverser la tendance de l’IDH. Comment justement renverser cette tendance selon vous ?

Idrissa ALICHINA KOURGUENI: Il faut rappeler que le Gouvernement fournit d’énormes efforts depuis 2011 sur les questions sociales, dans le domaine de la santé et de l’éducation, ainsi que sur le volet économique. Cela s’est traduit par une progression exceptionnelle de l’IDH du Niger entre 2010 et 2016 que peu de pays ont réussi à réaliser. Je dis bien progression, évolution, pas niveau et cela  a été relevé par le PNUD. Les efforts du Gouvernement vont continuer et s’intensifier dans les différents domaines.

Dans le domaine de la santé, les efforts du Gouvernement ont permis de baisser de manière significative la mortalité des enfants de moins de 5 ans et d’améliorer l’espérance de vie à la naissance.

Pour ce qui est de la dimension de l’éducation, il faut relever que malgré les efforts consentis, les indicateurs sont encore très faibles et continuent à tirer le Niger vers le bas.  C’est pourquoi, les efforts doivent être poursuivis afin de rendre le système éducatif nigérien de meilleure qualité et plus efficient, pour qu’il puisse retenir davantage et plus longtemps les enfants, améliorer les inscriptions et les taux de réussite aux examens scolaires et ce à tous les niveaux.  Les efforts du Gouvernement et des Partenaires au Développement doivent encore être renforcés, davantage, de manière plus intensive, et ce, pendant plusieurs années, sans interruption, particulièrement dans la scolarisation de la jeune fille et dans l’alphabétisation des personnes adultes, notamment celles âgées de 15 ans et plus, mais surtout celles âgées de 25 ans et plus.

Pour ce qui est de la dimension économique, l’INS conduit depuis 2016, des travaux de valorisation du PIB du Niger, à l’image de beaucoup de pays africains qui l’ont fait depuis plusieurs années déjà. Quand le nouveau PIB sera finalisé, il sera pris en compte dans le calcul de l’IDH. Cela permettra d’améliorer de manière significative l’IDH du Niger.

Réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane

Le Républicain du 20 Septembre 2018