MADAME MIREILLE GBÉTHOLANCY-KUN

Madame Mireille Gbétholancy-Kun à cœur ouvert avec Niger Inter Magazine

‘’L’arrivée au « plafond de verre » pour les femmes n’est pas aussi facile qu’on le pense car le chemin est parfois semé d’embuches’’

Madame Mireille Gbétholancy-Kun es tResponsable Adjointe de la Cellule d’Appui au Millenium Challenge Account (MCA-NIGER). Elle est mère et épouse, étant rentrée au pays après avoir vécue près de deux décennies aux États-Unis d’Amérique. Titulaire de diplômes universitaires en Gestion de Projet et de la Gestion des Ressources Humaines et Relations du travail. Madame Mireille Gbétholancy-Kun cumule plusieurs années d’expériences dans la mise en œuvre de programmes visant à la promotion de la Démocratie et de la Bonne Gouvernance ; des Droits Humains et de la Promotion du Genre. Elle a travaillé dans les agences du Gouvernement Américain ainsi que dans des Organisations Non-Gouvernementales Internationales dont le Département d’Etat ;l’USAID à Washington DC, l’Ambassade des USA au Niger et aussi au National Democratic Institute for International Affairs (NDI) d’où elle a énormément contribué à la mise en œuvres des activités accompagnant le Niger pendant les élections de 2011.

Pendant ses temps libres Madame Mireille Gbétholancy-Kun s’adonne à des activités de volontariat tant dans sa communauté religieuse Sainte Monique située à la Francophonie dont elle représente les femmes au niveau diocésain.

Madame Mireille Gbétholancy-Kun nous a confié qu’elle s’investit dans le volontariat dans le but de redonner ce qu’elle a reçu de la communauté à qui elle doit tout. Parmi tant d’autres on peut citer la création en 2012 du Hamzari Toastmasters Club dont elle est l’initiatrice et co-fondatrice. Le Club Hamzari Toastmasters est une plateforme qui permet à ses membres d’améliorer à travers des formations, leurs compétences en prise de parole et en leadership. La plateforme fait aussi la promotion de la langue anglaise. Il existe en ce moment au Niger cinq clubs Toastmasters dont un seul club anglophone.

Madame Mireille Gbétholancy-Kun est aussi la présidente de l’ONG Agir pour le Bien-être Social (ABES-NIGER) dont l’objectif général est de contribuer à l’amélioration des conditions sociales des femmes et des enfants et à la création d’un cadre de développement sain et durable pour les jeunes.

L’ONG compte lancer dans quelques semaines un programme communautaire intitulé (Actions communautaires par les femmes pour les femmes) qui a pris naissance dans sa propre communauté de Baani Koubay et qui s’étendra dans des communautés ciblées de la ville de Niamey pour enfin prendre une envergure nationale. L’objectif de ce projet est de permettre aux femmes de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie des femmes les plus vulnérables vivant dans leurs communautés respectives, tout en renforçant la prise de conscience des membres de la communauté sur l’importance du respect de la vie humaine et de l’environnement.

L’ONG compte aussi mettre en œuvre un projet –Culture du Civisme- dont l’objectif est de former des citoyens plus responsables et prévenir la violence en milieu scolaire à travers des cours d’éducation civique. Ce projet sera mis en œuvre au courant de la nouvelle année de la réception des fonds.

Niger Inter Magazine : Vous avez une longue expérience professionnelle. En tant que femme leader quels sont selon vous les défis auxquels la femme fait face au Niger ?

Madame Mireille Gbétholancy-Kun : Il m’est aisé de dire qu’au Niger on constate une avancée remarquable dans la promotion professionnelle de la femme. Lorsqu’on fait une rétrospective de 30 ans force est de constater avec plaisir que les femmes nigériennes occupent de plus en plus des places de responsabilité. Nous avons une femme Présidente de la Cour Constitutionnelle ; de plus en plus de femmes ministres dans le gouvernement ; de plus en plus de femmes députées et aussi des femmes à la tête des institutions bancaires et d’autres organisations privées ou semi étatiques. Des postes qui à l’époque étaient destinés seulement aux hommes. Nous assistons aussi de plus en plus à une montée rapide des femmes dans la politique ce qui signifie que la femme nigérienne a pris conscience de ses atouts et du rôle primordiale qu’elle peut jouer dans la société.

Cependant, tout n’est pas encore gagné car l’arrivée au « plafond de verre » pour les femmes n’est pas aussi facile qu’on le pense car le chemin est parfois semé d’embuches. Les femmes parfois fournissent plus d’efforts que les hommes pour accéder à des places pour lesquelles elles sont pourtant qualifiées. Le complexe d’infériorité ou de supériorité peut aussi être la base de certains conflits internes dans des institutions dirigées par des femmes. Par exemple certains hommes ont du mal à prendre des instructions de la part de leur patronne ou parfois même les femmes entre elles ont du mal à accepter qu’une autre femme leur dise ce qu’il faut faire.

Niger Inter Magazine : Aujourd’hui, les plus hautes instances et les partenaires du Niger mettent un accent particulier pour booster l’éducation de la jeune fille. Avez-vous un commentaire sur cette approche ?

Madame Mireille Gbétholancy-Kun : Selon l’Agence nigérienne de presse (ANP) du 6 décembre 2017, « le Conseil des Ministres du Mardi 5 Décembre sous la présidence de Son Excellence Issoufou Mahamadou, Président de la République, a examiné et adopté le projet de décret portant sur la protection, le soutien et l’accompagnement de la jeune fille en cours de scolarité…

Au niveau de l’enseignement primaire, le taux d’achèvement des garçons a connu une évolution remarquable, passant de 40,7 % en 2006 à 87,4% en 2016. Pour la même période, le taux d’achèvement des filles a évolué de 25,8% à 69,5%.Aussi l’écart entre le taux d’achèvement des filles et celui des garçons est passé de 4,2% à 5,8% entre 2006 et 2016 et se creuse davantage».

Les chiffres cités plus haut sont alarmants et je loue les efforts continus du gouvernement et des partenaires sur cet aspect. Selon Fénelon un auteur français “Il existe encore des familles où une femme qui lit beaucoup inquiète et scandalise.” Cela est d’autant plus vrai ici au Niger où dans certaines familles lorsqu’une fille s’intéresse beaucoup aux livres la mère surtout reçoit des commentaires comme “Tu gâtes trop cette fille. Est-ce que ce sont les livres qu’elle va préparer une fois chez son mari ? » Comme si le bonheur ou le succès de la femme ne peut être validé que par le mariage. Ceci explique pourquoi certaines filles sont retirées de l’école très tôt pour être assujetties aux travaux domestiques ; mariage forcé. Elles sont retirées de l’école pour qu’elles ne se “gâtent pas”. Ces raisons et beaucoup parmi tant d’autres contribuent à l’échec des filles et leur accès difficile à l’école.

La mise en œuvre de programmes plus stratégiques qui permettront aux jeunes filles d’avoir accès à l’éducation le plus tôt possible et d’y rester le plus longtemps possible apportera des solutions. Il serait important, si ce n’est fait déjà, de mettre en place un plan de développement pour l’éducation des filles au Niger sur une période déterminée accompagné par un suivi rigoureux afin de pouvoir garder les filles plus longtemps à l’école. On a tendance à vouloir garder les filles jusqu’à la fin du primaire avec ou sans le CEPE mais après cela qu’est-ce qu’elles vont devenir ? Il serait bon de relever la barre plus haut lorsqu’il s’agit de l’éducation de la jeune fille pourquoi pas soutenir la jeune fille jusqu’au BAC ? Elle aura au moins atteint un âge où elle peut prendre ses propres décisions.

Niger Inter Magazine : Les femmes constituent plus de 50% de la population nigérienne. Selon vous que faire pour l’amélioration de la participation de la femme audéveloppement socio-économique du Niger ?

Madame Mireille Gbétholancy-Kun : J’étais ravie d’apprendre que le Niger a progressé d’une place dans le classement Doing Business 2019 et s’est vu octroyer en matière de « Création des entreprises » le score de 27 mondialement et la place 143 sur 190 comme pays où il est facile de faire des affaires. Ce classement place aussi le Niger au-dessus des pays comme le Benin ; le Burkina, la Cote d’Ivoire, le Mali et le Nigeria. Cela m’amène à demander comment cette nouvelle donne impactera les femmes ?

Je disais plus haut qu’un grand pas a déjà été fait quant à l’inclusion des femmes dans la vie sociopolitique et socio professionnelle du pays mais il reste encore à faire. Beaucoup plus reste à faire quant à l’inclusion de la femme dans la vie socio-économique. Un bon nombre de femmes nigériennes se lancent dans le commerce informel et ne s’investissent pas à fond car bloquées parfois à cause de certaines considérations et surtout par faute de moyens financiers.  Je profite par ailleurs de cette occasion pour féliciter et encourager toutes les femmes nigériennes qui  s’investissent de plus en plus dans l’entreprenariat à grande échelle et encourage les autres femmes à emboîter leurs pas surtout les plus jeunes pour assurer la relève.

La création d’un cadre d’accompagnement pour les femmes dans les affaires serait un moyen de les motiver. Ce cadre aurait comme objectif de créer des mesures d’accompagnement telles que des formations et des renforcements de capacités en gestion des affaires ; en finances sur la connaissance des règles douanières et des impôts ; comment s’organiser en groupe pour faire venir la marchandise au Niger ; l’adaptation aux nouvelles technologies, la mise en place d’un system de mentorat etc. Il est grand temps que les regards des femmes nigériennes se tournent sur le monde des affaires à l’échelle globale surtout à l’heure de la technologie grimpante.

Niger Inter Magazine : Un autre défi majeur de notre pays c’est le mariage des enfants. Selon votre expérience internationale, quelles sont les bonnes pratiques pour les pays qui ont su surmonter ce genre de problème ?

Madame Mireille Gbétholancy-Kun : À mon avis, le mariage des enfants ne doit pas être encouragé à cause des effets néfastes que cela peut engendrer, les petites filles étant les victimes car elles sont données en mariage à des hommes parfois faisant trois fois leurs âges. Le mariage des enfants est une violation des droits humains pour les filles aussi bien que les garçons, mais il constitue peut-être la forme la plus répandue de maltraitance sexuelle et d’exploitation des filles. Selon un rapport de l’Institut National de la Statistique (INS) de Novembre 2017 : ’’Le mariage d’enfants est une pratique répandue au sein des pays les moins avancés et ses taux demeurent extrêmement élevés. Selon les dernières estimations, 45 % des femmes âgées de 20 à 24 ans se sont mariées avant l’âge de 18 ans, et 15 % avant l’âge de 15 ans (UNICEF, 2014a). Le Niger présente le taux de mariage d’enfants le plus fort au monde’’.

Les motivations derrière de telles pratiques sont: «les traditions culturelles ou religieuses ; un désir de contrôler le comportement d’un enfant ou sa sexualité ; la situation financière des parents qui souhaitent se débarrasser de leur fille pour le mieux offrant. “

l’ONG Humanium qui est une organisation non gouvernementale (ONG) internationale engagée à faire respecter les droits des enfants a déclaré dans un rapport “qu’aux Etats-Unis, entre 2001 et 2010, dans 38 Etats, plus de 167 000 enfants – presque tous des filles, parfois seulement de 12 ans – ont été mariés […], la plupart à des hommes de 18 ans ou plus “ (Reiss, 2017). Cela est surprenant n’est-ce pas? Qu’on trouve des pratiques de ce genre dans l’un des pays le plus développé du monde.

Heureusement, les choses évoluent car en 2016, l’État de Virginie, où 4 500 enfants ont été mariés entre 2004 et 2013, a fait passer l’âge minimum légal pour se marier à 18 ans, grâce au plaidoyer de l’infatigable association Tahirih Justice Center. Les législateurs ont ajouté une exception pour les mineurs émancipés, qui peuvent se marier dès 16 ans mais avec le consentement des parents et un suivi de la justice. Des mesures ont été prises en 2017 dans l’État du Maryland, où j’ai personnellement vécu pendant près de 20 ans et dans celui du Massachusetts, pour augmenter l’âge minimum légal du mariage à 17 ans. La même loi a été présentée aussi dans l’Etat de New York (Gronewold, 2017).

Niger Inter Magazine : L’autonomisation de la femme est-elle envisageable sans un réel pouvoir économique de la femme ?

Madame Mireille Gbétholancy-Kun : L’autonomisation de la femme est un aspect très important nécessaire pour le développement de tout pays tant en milieu urbain que dans le monde rural. Il serait donc presque inimaginable de dissocier l’autonomie de la femme du pouvoir économique. À mon avis les deux vont de pair. L’autonomisation des femmes ne sera possible que si les stratégies d’autonomisation économique se basent sur les facteurs qui aident les femmes à réussir et à avancer sur le marché. Il s’agit entre autres de rehausser les compétences, d’accroître l’accès à des ressources productives, d’améliorer les environnements favorables et institutionnels, et d’aider les femmes à pouvoir prendre des décisions et à y donner suite pour tirer parti de la croissance et du développement économique.

La moyenne des femmes consacrent la majeure partie de leur temps, à préparer les repas pour la famille, à s’occuper des enfants et à effectuer les autres tâches ménagères. Ceci limite leur capacité à exploiter les opportunités qui se présentent à elles. Cependant, lorsque les femmes ont accès de la même manière que les hommes aux ressources, aux actifs, aux services et aux débouchés économiques, elles deviennent financièrement indépendantes et peuvent véritablement s’engager dans la lutte contre la pauvreté

Niger Inter Magazine : C’est justement conscient des défis de notre pays que le président Issoufou Mahamadou a préconisé la renaissance culturelle pour un changement des mentalités. Quelle est votre appréciation de cette perspective du chef de l’État ?

Madame Mireille Gbétholancy-Kun : Le Niger est un pays riche en culture et de diversité qui repose sur des valeurs religieuses et traditionnelles qu’on doit à tout prix conserver. Mais, il se trouve que l’ère de la technologie grimpante, la démocratie mal comprise, la diminution ou même la perte de l’autorité parentale et l’indiscipline plongent une fraction de la population dans l’incivisme, l’intolérance religieuse et culturelle, l’oisiveté, la corruption pour ne citer que cela.

Vous vous imaginez qu’il est pratiquement impossible à certains d’attendre leur tour dans la ligne chez le docteur, au magasin à la banque ou à la pharmacie? Malgré toutes les sensibilisations faites par rapport au port du casque certains citoyens se permettent à ce jour de ne pas porter de casque et cherche à se faufiler sous le nez des policiers alors que cette mesure a été prise pour sauver des vies. Niamey Nyala n’est pas seulement la responsabilité du gouvernement mais en tant que citoyen responsable nous devons y contribuer en gardant l’intérieur et la devanture de nos maisons et notre communauté propres. Nous devons faire violence sur nous-mêmes et nous restreindre à jeter des peaux de bananes ; des morceaux de papier et parfois même des bouteilles dans les lieux publiques et parfois même à travers les vitres de nos voitures. Un changement de mentalité s’impose.

Nous devons mettre en pratique de bonnes règles de civisme et d’hygiène car la renaissance culturelle est une affaire de tous et je loue vivement cette initiative de son Excellence le Président Issoufou Mahamadou.

Quel est votre dernier mot ?

Madame Mireille Gbétholancy-Kun : J’aimerai tout d’abord remercier Niger Inter pour l’opportunité de m’exprimer sur des sujets qui nous intéressent tous. Je crois fortement à la promotion et l’inclusion des femmes nigériennes dans toutes les sphères de décisions et à l’autonomisation des femmes rurales. Le Niger regorge de femmes capables de contribuer au développement du pays et faire la différence dans la vie de la nation. Soutenons toutes les initiatives qui prennent en compte la promotion du genre tout en ayant un regard sur le bien-être des enfants et des jeunes afin de préparer la relève.

La ville de Niamey est en pleine toilette pour accueillir en 2019 les prochains travaux de la 33eme conférence de l’Union Africaine. Certes, nombreux sont les défis à relever mais c’est un honneur pour le Niger. Ne soyons pas seulement des observateurs mais mettons la main à la pâte et œuvrons pour que cette conférence soit une réussite et que le Niger en sorte grandi.

Œuvrons et prions surtout pour la bonne santé, la paix et la cohésion dans nos familles respectives; nos communautés et le Niger tout entier.

Interview réalisée par Abdoul Aziz Moussa