Journée internationale de la liberté de la presse : 3 questions à Dalatou Mamane

Dalatou Mamane est un Journaliste professionnel. Il a fait ses premières armes à la Direction de la presse écrite, l’actuel Office National d’Edition et de Presse (ONEP), avant de séjourner à l’Agence nigérienne de presse (ANP), où il a occupé des postes de responsabilité. Il a également été président de l’Association des Journalistes du Niger (AJN). Il est aujourd’hui Conseiller  Technique au Cabinet du premier ministre. Il répond à nos questions, à l’occasion de la Journée internationale de la Liberté de la presse, le 3 mai dernier.

 Niger Inter : Vous êtes un Journaliste chevronné au Niger pour avoir travaillé au Sahel quotidien, à Sahel Dimanche ainsi qu’à l’Agence nigérienne de presse (ANP). Quelle signification donnez-vous à la Journée du 3 mai pour la liberté de la presse ?

Dalatou Mamane : Merci de me donner cette opportunité de parler de la liberté de la presse en général et de l’exercice du métier du Journaliste au Niger.

Le 3 mai, c’est la Journée internationale de la liberté de la presse, instituée en 1991, à Windhoek, en Namibie, à l’occasion d’un Colloque international, sous l’égide de l’Unesco, ayant regroupé des journalistes de tous les continents, des acteurs de la Société civile et des défenseurs des droits de l’homme en général.

Le colloque de Windhoek a retenu un élément essentiel à savoir qu’une presse libre, indépendante et crédible, est un élément incontournable pour le développement d’un pays. Par conséquent, les participants ont recommandé à tous les gouvernements de soutenir les medias en vue d’en faire des partenaires pour le développement et non des concurrents ou adversaires. Les medias doivent ainsi bénéficier du soutien des gouvernements, en vue de leur permettre d’accomplir leurs missions en toute sécurité.

Mais la rencontre de Windhoek a aussi exhorté les medias à aller vers le professionnalisme et la crédibilité, en respectant d’abord  les lois régissant leur profession, ensuite en respectant les lois de leurs pays respectifs.

La journée du 3 mai, c’est donc une occasion pour les professionnels des medias, de se mettre ensemble pour évaluer le chemin parcouru, depuis l’institution de cette Journée. Pour me résumer, le 3 mai, est une journée-bilan pour les professionnels. Cette journée est l’occasion pour les journalistes de faire d’abord leur propre examen de conscience. C’est le moment de jeter un regard rétrospectif  sur les 12 mois écoulés, sur les conditions dans lesquelles ils ont exercé leur profession. Sans trop d’abord  se pencher sur les moyens  financiers et matériels que les états devraient mettre à leur disposition pour une bonne pratique journalistique, le 3 mai devrait être, pour les journalistes, la journée ultime de se poser la question de savoir :  Quel effort avons-nous  déployé pour aller vers le professionnalisme, la crédibilité, la vérité des faits  pour espérer le soutien des états ?

Je pense que la journée internationale de la liberté de la presse, doit être plus que ce qu’elle est en ce moment.   Elle doit être l’occasion des conférences-débats, qui devraient regrouper des professionnels du métier, l’Instance nationale de régulation,  mais surtout avec des universitaires, des magistrats, des acteurs de la société civile, des hommes politiques, tous bords confondus. Et c’est de cette façon que les journalistes sauront les griefs qui sont portés contre eux, pour que par conséquent, ils puissent s’améliorer, aller vers le respect des textes, en un mot, aller vers le professionnalisme intégral, souhaité par tous et qui fait défaut aujourd’hui.

Certains journalistes tirent notre métier vers le bas. Comment expliquez-vous ce que certains appellent la régression de la presse dans notre pays ?

Dalatou Mamane : C’est malheureusement ce à quoi nous assistons ces dernières années. Certains journalistes   ont une mauvaise compréhension de ce métier. L’on pense que tout le monde est apte à faire du journalisme, ce qui est totalement faux. C’est un métier qui a des exigences auxquelles il faut obéir. Lorsqu’on veut être un bon journaliste, il faut connaitre nécessairement les fondamentaux de ce métier, et de nos jours, certains journalistes foulent au pied  les règles d’éthique et de déontologie de  leur métier.

C’est le seul métier de chez nous, en tout cas, où on entre comme on rentre dans un moulin. C’est à dire que tout ceux qui échouent ailleurs, viennent faire carrière ici, parce qu’on a une mauvaise compréhension du métier et parce que également les conditions d’accès sont souples.  On ne peut pas être un bon journaliste, tant qu’on ne connait pas les règles de ce métier.  Ils sont nombreux, aujourd’hui, ceux qui se disent grands reporters ou vedettes de Télévisions, qui pourtant opèrent totalement dans le non-respect des règles qui régissent leur profession, soit par méconnaissance des textes, soit parce qu’ils sont en mission bien déterminée.

Vous savez, un journaliste sans formation et sans respect d’éthique et de déontologie, nous le comparons à un militaire en état d’ébriété avancé, qui tire sur tout ce qui bouge, parce que la plume et le micro sont des armes aussi dévastatrices  que des armes à feu.

Le métier de journaliste est aujourd’hui envahi par des amateurs, qui exercent sans connaissance des règles,  ou des mercenaires qui ont un agenda caché. Et ce sont ces deux catégories de journalistes qui tirent la profession vers le bas.  Si vous avez remarqué, le Niger a encore régressé cette année,  au classement mondial des reporters sans frontières. Nous sommes 66ème au rang mondial et 10ème en Afrique. Notre rang s’est encore dégradé par rapport au classement précédent, par le seul fait d’un exercice fantaisiste  de ce métier, qui n’obéit pas aux règles.

Il faudrait que les journalistes se mettent en tête qu’ils ne sont pas des supers citoyens, qu’ils ne sont pas au-dessus de la loi, ils n’ont pas le droit de vie et de mort sur les autres citoyens. Lorsqu’ils comprendront qu’ils sont issus de la société et non en dehors de la société, lorsqu’ils respecteront rigoureusement les règles qu’ils se sont données… la presse nigérienne sera citée en exemple dans la sous-région et dans le monde entier, pour la qualité de son analyse et la pertinence de son combat.

 Comment justement, selon vous, remédier à cette situation ?

Dalatou Mamane : A l’époque quand nous étions aux commandes  des organisations socioprofessionnelles, nous avions farouchement lutté pour l’avènement d’un cadre juridique qui puisse permettre au journaliste d’exercicer librement son travail. Nous avions obtenu ce cadre qui est  l’ordonnance 2010-035, du 07 juin 2010. Cette ordonnance porte entre autres avancées, la dépénalisation du délit commis par voie de presse et les conditions très souples et même révolutionnaires de création d’un organe de presse écrite.

Dix ans après et avec un peu de recul, je me suis rendu compte que nous avions été excessifs dans nos revendications, en levant toutes les barrières. Il ne s’agit pas pour moi de demander un recul, autrement dit, de revenir sur les acquis obtenus de haute lutte et de revendications incessantes.  Il s’agit de replacer certaines barrières telles que le retour de l’enquête de moralité pour tout celui qui veut créer un organe de presse. Vous n’êtes pas sans savoir qu’aujourd’hui, au Niger, lorsqu’on veut créer un journal, on ne demande l’autorisation à personne, on effectue simplement le dépôt légal. Je pense que le journal est  suffisamment sérieux pour qu’on le laisse entre les mains d’une personne de moralité douteuse.

Il faut aussi réactiver la convention de la presse et l’adopter, afin de mettre des journalistes, surtout du privé dans conditions descentes de travail, à l’abri de la tentation. Nombre d’entre eux n’ont pas de salaire et ceux qui en ont, il est dérisoire et deviennent de ce fait, des proies faciles par des hommes politiques qui souhaitent régler le compte à leurs adversaires.

Propos recueillis par Elh. M. Souleymane