Lettre ouverte au président de la République

Monsieur le Président, J’ai plutôt pitié de ces hommes qui n’ont jamais pu prendre leur courage pour refuser toute tendance chargée de périls…
Je suivais Télé-sahel avant-hier soir et hier soir, dans ses journaux en français, en haoussa et en zarma. J’en ai eu pour ma dose mais je ne me plains pas puisque j’ai eu l’opportunité d’apprécier ce qui se dit en ville.
Ainsi, je conviens avec ceux qui disent que vous êtes déjà entré en campagne, entrainant dans votre sillage tous ces « skieurs » de la politique que notre confrère, Le canard déchaîné, a appelés dans sa rubrique « Amères vérités », les attelages qui s’accrochent à n’importe quel wagon et qui s’adaptent à tous les vents. En faisant le bilan du menu qui a composé le journal télévisé du lundi soir, je me suis rendu compte que pratiquement tout se rapporte à la publicité autour de vous et des skieurs.
J’ai vu tout sauf, bien sûr, des informations sur les véritables préoccupations des Nigériens. Le Pnds à Zinder, le Pnds à Tahoua, le Pnds à Maradi ou encore les skieurs, un peu partout aux quatre coins du Niger. C’est lamentable. J’ai secoué la tête, car j’ai eu l’impression que nous sommes en train de rembobiner un vieil épisode de la vie de notre pays. J’ai ressenti, pour tout dire, de l’amertume, abasourdi de constater que l’histoire continue de bégayer chez nous, otage d’une logique absurde dont vous vous êtes fait curieusement le chantre.
L’histoire bégaie et ceux qui en ont été les acteurs, il y a quelques années, ne peuvent que se sentir à l’aise dans cet embrouillamini. Albadé Abouba et Ben Omar Mohamed en l’occurrence peuvent être fiers de leur recette puisque ça marche même avec le monsieur qui a fait les plus grandes professions de foi sur la démocratie, les droits de l’homme et la République et qui a pris le contre-pied de ses compatriotes.
J’ai été pris d’effroi en pensant que cette atmosphère déjà surchauffée ira crescendo et que les passions que vous aviez, par vos calculs, greffées à celles qui existent, vont exploser dans un contexte de libertés confuses et je puis vous assurer que ce ne sera pas l’autorité bestiale d’un Massoudou Hassoumi qui pourra contenir les débordements inéluctables. Au cours de cette période trouble de bataille électorale, vous pourriez continuer à contrôler et utiliser abusivement Télé-sahel pour toute propagande, mais vous ne pourriez pas contrôler la rue qui s’affirmera comme le lieu privilégié de la campagne électorale.
Vous le savez mieux que moi, c’est un moment de folies et il est extrêmement dangereux pour le Niger d’aborder les prochaines élections dans un tel climat qui risque de donner lieu, pour tout ce que vous savez, à des échauffourées et à des batailles rangées entre militants de partis politiques. Vous pourrez déployer tous les éléments de la Police et de la Garde nationale, il n’y aura pas assez pour surveiller en même temps toutes les rues de toutes les régions du Niger. C’est pourquoi, j’ai peur. Pas pour vous puisque je ne suis plus à votre service.
Ni d’ailleurs pour tous ces petits mecs qui pensent que le pouvoir d’Etat autorise tous les abus. Les skieurs ? J’ai plutôt pitié de ces hommes qui n’ont jamais pu prendre leur courage pour refuser toute tendance chargée de périls. Leur credo, c’est manger et se taire. De tels hommes, la culture populaire nous a appris qu’il n’y a pas grand-chose à attendre. J’ai plutôt peur pour le Niger, ce pays épris de paix et de quiétude sociale qui risque, à l’allure où vont les choses, de connaître un déchirement profond.
Je vous plains car vous êtes l’alpha et l’oméga de toute cette chienlit politique. Monsieur le Président, Je ne voudrais pas donner l’impression de m’accrocher à ce poste. Je n’en veux plus, c’est certain. Mais j’aime mon pays et je crois en l’unité de ses enfants, en la cohésion sociale qui a presque toujours prévalu ainsi qu’aux principes de consensus et de compromis politique qui ont caractérisé l’organisation des élections dans notre pays. Le Niger, il ne faut en douter, court vers des rivages incertains.
Il est vrai que jusqu’ici, les partis membres de l’ARDR ont affiché une attitude si légaliste qu’il est permis de croire à un défaitisme total. J’ai d’ailleurs entendu votre Massoudou clamer que ces partis ne mobilisent plus grand monde et qu’ils ne sont capables de rien. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il raconte des bobards. De telles flagorneries ne mènent qu’au désastre. Mais le désastre est déjà là, financier pour le moment. Rassurez-vous, je n’étalerai pas dans cette lettre les détails accablants d’une situation financière si prometteuse qui suscite aujourd’hui de vives inquiétudes de la part de nos partenaires extérieurs.
Je ne dirai pas, donc, dans quelles conditions les salaires et autres charges sont payés depuis trois mois. Ce dont je me contenterai de parler, ici, c’est le constat amer que vous n’arriverez jamais à réaliser le barrage de Kandadji. J’ai suivi à ce propos Amadou Boubacar Cissé, votre monsieur prêt Eximbank, lors de la réunion qui a regroupé autour de lui les partenaires du Niger dans ce projet majeur. Pour être sincère, je n’ai pas retrouvé, ce jour-là, l’homme plein de verve et d’assurance habituel.
Lorsque je l’ai entendu dire, à l’issue de la réunion, que leurs échanges ont permis de boucler l’essentiel des financements nécessaires, j’ai été choqué. Voilà la nième fois que votre gouvernement, à propos de Kandadji, annonce des choses qui sont en réalité aussi lointaines et inaccessibles que des chimères. Il y a un an, votre Premier ministre a pompeusement annoncé que les travaux allaient débuter en février 2014. Nous sommes aujourd’hui en novembre 2014 et c’est pour nous dire que l’essentiel des financements, pas la totalité, est acquis.
Plus personne ne croit en votre discours sur ce projet majeur qui représente, tout seul, le succès d’un mandat présidentiel. C’est un échec cuisant de votre magistère qui a trouvé la totalité des financements acquis. Seulement, votre gouvernement a tout compromis en multipliant les décaissements pour l’entreprise ruse sans que le niveau d’évolution des travaux le commande. Monsieur le Président, j’ai appris que votre majorité parlementaire, après près de trois mois, s’est résolue à « parachever son coup de force » à l’Assemblée nationale.
Aussi, a-t-elle adressé à la Cour constitutionnelle une requête en vue de l’entendre constater et prononcer la vacance de la présidence de l’Assemblée nationale. Beaucoup d’observateurs disent ne pas se faire la moindre illusion sur l’issue de cette requête. La Cour, naturellement, pour reprendre le mot du ministre de la Justice, garde des Sceaux, va donner une suite favorable à cette requête.
Ce qui, de l’avis des esprits avisés, la sortira de ses cordes. Mais, bon, personnellement, je me dis que nous sommes au Gondwona et que cela n’offusquera personne. Au Gondwana, c’est comme ça, tout le monde travaille pour le président fondateur. On a beau être juge, soit-il de la Cour constitutionnelle, on n’échappe pas au devoir de faire plaisir au président fondateur. De toute façon, Daouda Mamadou Marthe, Ben Omar Mohamed et consorts ne peuvent pas s’arrêter en si bon chemin. Il faut bien consommer le coup de force.
Advienne que pourra. Monsieur le Président, j’ai enfin suivi le feuilleton de l’interpellation de la dame Ali Mariama par l’Assemblée nationale. J’ai eu honte de l’écouter. Non seulement à cause du niveau de langue et d’expression orale, mais également pour les arguments tirés par les cheveux qu’on lui a donnés à lire devant les députés. On peut aisément se faire une idée de la qualité du leadership qu’elle exerce à la tête de ce département ministériel stratégique.
Culot suprême, elle aurait porté plainte dans une affaire où, au moins le conflit d’intérêts est consommé. C’est triste et ridicule, mais ça ne surprend pas outre mesure. Ça ne surprend personne puisque votre Massoudou a pris l’audace jusqu’à instruire la révocation de plus de 200 policiers municipaux parce qu’ils ont revendiqué des droits, dans le respect strict du droit de grève qui leur est reconnu et dans le cadre légal d’un syndicat formellement reconnu par votre gouvernement.
Vous n’en avez pas peut-être conscience, mais votre régime a pris depuis bien longtemps des allures exécrables. Il est décrié aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur, y compris au sein de votre gouvernement. Vous êtes, comme on dit, à la croisée des chemins et je comprends ce genre de situation où, parce qu’on a décidé de ne pas perdre, quoiqu’il advienne, on s’engage finalement dans des voies sans issue. La situation politique nigérienne et ses perspectives n’augurent rien de bon.
Ma conviction est que l’ARDR ne continuera pas à vous regarder la disloquer. Elle finira tôt ou tard par se dire aussi « Advienne que pourra » et réagir à ces provocations inadmissibles. Entre temps, je vous apprends qu’à Diffa, les choses vont de mal en pis, notamment avec une situation alimentaire critique sur laquelle je reviendrai la semaine prochaine.

Mallami Boucar