Interview : une radioscopie des conflits dans le monde

PHD Mamane Sani Moussa est titulaire d’une thèse de 3ème cycle portant sur la protection des civils pendant les conflits armés. Il est également sur le plan professionnel présentement Chef-adjoint de la mission des Nations-Unies au Mali (MINUSMA) à Tombouctou. Il a servi également en Equateur central et au Soudan. Dans cette interview, il brosse une approche scientifique des conflits dans le monde et il fait une exégèse des questions de diversité culturelle comme source de conflits.

Niger Inter : Vous êtes cadre nigérien travaillant aux Nations-Unies. Aujourd’hui encore les conflits se multiplient à travers le monde. Quelles sont les causes des conflits selon votre analyse de la situation?

PHD Mamane Sani Moussa : Les conflits à travers le globe peuvent être résumés en terme de claches d’intérêts et/ou de valeurs. Avant la fin de la guerre froide la guerre était traditionnellement déclarée et engagée de façon soutenue par des armées organisées des Etats en belligérance. Dans la compréhension traditionnelle de la guerre ce sont les armées des Etats qui se battent et les civils étaient de fait écartés des champs des opérations. Le principe de l’inviolabilité des populations civiles a été développé et renforcé à travers instruments légaux comme la loi régissant la conduite de la guerre, le droit international sur les crimes et la loi sur le terrorisme. La loi régissant la conduite de la guerre, communément appelé le droit humanitaire international fixe le règles qui régissent les combats avec un accent sur la protection des civils des affres de la violence. Cette loi définit les règles et principes qui font obligations aux belligérants d’éviter de sévir sur ceux qui ne participent pas aux affrontements. Depuis la fin de la guerre froide cependant, la plus part des conflits à travers le globe se déroulent à l’intérieur des Etats ; ce qui représente une tournure dramatique dans la nature des conflits ; on passe des conflits inter Etats aux conflits intra Etats. A titre d’exemple de 1989 à 1996, il y’avait seulement 6 sur 101 conflits armés qui opposaient des Etats ; les 95 étaient des conflits fratricides ou guerres civiles qui se déroulaient à l’intérieur des Etats. De 1970 à aujourd’hui le continent Africain a connu pas moins de 33 conflits internes aux Etats. Les personnes déplacées par les conflits, qui traversent les frontières internationales de leur pays pour se mettre à l’abri dans un autre pays sont appelées refugiés tandis que celles qui quittent leurs lieux de résidence pour se mettre à l’abri dans des endroits plus sûrs sont appelées des déplacés internes. Contrairement aux réfugiés qui bénéficient de toute une gamme de droits bien définis dans les instruments juridiques cités plus haut, malgré l’intensité et le nombre des déplacés internes jusqu’à une date récente, il n’ y avait pas de système adéquat de protection et d’assistance aux déplacés internes. C’est en 1998 que les Nations-Unies ont adopté les Principes Directeurs sur les déplacements internes. Ces Principes protègent les populations contre tous déplacements forcés y compris le retour et la réintégration forcés. En 2004, tirant les leçons du génocide Rwandais, l’esprit de protection fut renforcé à travers Cinq Points d’Action. Ce plan, entre autres, donne mandat aux casques bleus des Nations-Unies de protéger des civils. En 2005, la fameuse résolution «Responsabilité de Protéger » est adoptée par le conseil de sécurité de l’ONU. La résolution reconnait aux Etats la responsabilité de protéger les civils vivant sur leurs territoires tout en avertissant que si un Etat est incapable ou manque de volonté de protéger les populations civiles, les Nations-Unies se doivent d’agir.

Niger Inter : Un géo-stratège a dit que partout où il y a conflit, il faudrait voir ce qu’il y a dans le sous-sol. Pensez-vous que les ressources naturelles seraient également une malédiction pour les populations riveraines?

PHD Mamane Sani Moussa : Il y’a des études sérieuses qui ont démontré qu’il existe un lien étroit entre les conflits internes et le trafic illégal des ressources naturelles comme le diamant, l’or comme ce fut les cas en République Démocratique du Congo, au Liberia et en Sierra Leone. Ce qui tient à créditer cette thèse selon laquelle que les ressources naturelles constituent une malédiction pour les Etats africains d’autant plus que la vente illégale des ressources naturelles permet de financer la poursuite des conflits. Toutefois, à mon avis, les ressources naturelles tout comme les diversités ethniques, culturelles, religieuses et linguistiques sont une bénédiction que la mauvaise gouvernance peut transformer en malédiction pour nos Etats. Afin de parer au cauchemar résultant des ventes illégales de ces ressources, les pays Africains ont été encouragés à souscrire au Processus de Kimberly mis au point pour prévenir la circulation illégale de ces ressources sur les marchés internationaux.

Niger Inter : L’Afrique souffre justement de ces conflits armés sur la base tribale ou ethnique. Ce genre de conflits, selon vous, est-ce une spécificité africaine?

PHD Mamane Sani Moussa : Non ! Il y’a beaucoup d’exemples de conflits à caractère ethnique hors du continent africain. Au Siri Lanka, la minorité Tamile s’est battue pendant des décennies contre la marginalisation dont elle s’estimait et continue encore de s’estimer être victime. Que dire des populations Kurdes en Iraq, en Turquie et ailleurs qui continuent à réclamer plus des droits souvent dans la violence ! Je suggère cependant que nous utilisons la notion de diversité au lieu du vocable ethnie si nous voulons mieux comprendre la dynamique des conflits contemporains qui ensanglantent le monde. Cela vous permettra de mieux comprendre les conflits en Iraq, en Syrie, au Yémen ou comme vous le savez il serait inexact de parler de conflits ethniques puisque c’est des Arabes qui se battent contre les Arabes sur la base sectaire des différences de la religion.
Dans les cas de conflits en Afrique, if faut ajouter au-delà des échecs de gestion des diversités ethniques, la circulation et la vente illégale des armes, la mauvaise gouvernance politique et économique de nos Etats, l’absence ou la faiblesse de l’état de droit ainsi que la justice sociale , les crises de leadership, la pauvreté qui se traduit par la faiblesse des institutions incapables de relever les défis sécuritaires ; l’opportunisme des élites, l’absence ou faible fidélité a l’Etat et à ses institutions, etc ; tous ces facteurs ont contribué à l’ éclosion de la violence qui a ensanglanté et continue encore de semer la désolation en Afrique.

Niger Inter : Quelle est justement la place de la redistribution des richesses nationales dans ces conflits ?

PHD Mamane Sani Moussa : Il y’a une théorie au tour de laquelle il y’a eu assez des débats entre 1980 et 1990 : la théorie des besoins humains. Le postulat est qu’il faut rechercher les causes des conflits dans le déni des besoins humains, de la reconnaissance de leur identité, de garantir leur sécurité, de garantir leur participation dans la gestion de leur destin, du déni des services sociaux de base. Pour les défenseurs de cette théorie, la prolifération des conflits en Afrique serait la manifestation du soulèvement des populations qui estiment leurs droits fondamentaux bafoués à cause de l’absence de justice sociale et de marginalisation. Quelques exemples de conflits en cours sur le continent qui sont alimentés par l’absence ou la perception d’absence de justice sociale et de marginalisation incluent le Darfour et le Mali, pour ne citer que ceux-là. La promotion de l’état de droit et la justice sociale ainsi que la distribution équitable des richesses nationales sont des facteurs extrêmement importants dans la construction de l’état et de la paix.

Niger Inter : D’aucuns pensent que ces conflits sont plutôt l’œuvre des hommes politiques qui instrumentalisent l’ethnie, la race ou la tribu pour assouvir leurs sordides desseins politiciens….

PHD Mamane Sani Moussa : Un rapide survol de la littérature sur le lien entre les diversités ethniques et les conflits en Afrique permet de considérer l’ethnie comme une force irrationnelle mais puissante constituée et consolidée par des réalités historiques, culturelles, sociales et psychologiques qui souvent influencent les perceptions et les actions politiques. L’ethnie peut aussi être vue sous le prisme d’attribut biologique, culturel, et religieux servant comme la source première d’identité. De cette perspective, il découle que des changements socio-politiques sont interprétés en termes de menaces ou d’opportunité par rapport auxquelles les élites mobilisent les membres du groupe. Malheureusement dans bien de cas, il ne s’agit pas d’une mobilisation altruiste pour la défense des intérêts du groupe tout entier mais pour la défense des intérêts égoïste des élites. L’ignorance aidant, les membres du groupe sont manipulés à tel point qu’ils doivent plus de fidélités à ces leaders ethniques qu’à l’Etat moderne et ses institutions.

Niger Inter : Que faire selon votre étude pour prévenir ces conflits et justement pour les gérer s’ils surviennent ?

PHD Mamane Sani Moussa : Mon étude n’avait pas la prétention de prévenir les conflits en Afrique. Le conflit par essence n’est pas un mal en soi. Le mal c’est la tournure destructrice qu’il prend souvent. Il y’a bien des conflits qui peuvent donner des opportunités pour des changements positifs. L’objectif principal de mon étude c’était la problématique de la protection des civils dans le contexte des conflits armés. Néanmoins mon étude a souligné qu’il y’a un certain nombre de mesures qui peuvent limiter la prolifération des conflits armés en Afrique. Sans être exhaustif, ces mesures incluent la promotion de la bonne gouvernance y compris le respect de l’état de droit ainsi que la justice sociale ; le contrôle sinon l’interdiction du trafic des armes à feu et des substances narcotiques ; la promotion du dialogue politique inclusif; la promotion du leadership acquis à la paix et non des boutefeux ; l’implication opportune des organisations nationales et régionales dans la résolution des conflits, etc.

Niger Inter : Pensez-vous qu’il est possible de dialoguer avec les gens qui se réfèrent aux anti valeurs en violant les droits humains les plus élémentaires?

PHD Mamane Sani Moussa : Le dialogue est un outil de communication qui peut aider à désamorcer une situation de crise potentielle, donc comme une mesure préventive. Cet outil peut aussi servir à mettre fin à une situation de conflit. Idéologiquement, il y’a des différences dans la compréhension de ce qui constituent les droits fondamentaux de l’homme. Les régimes théocratiques et communistes sont considérés par les occidentaux comme prédateurs des droits humains. Le dialogue se déroule pourtant avec ces régimes pour les encourager ou mettre la pression sur eux afin qu’ils adoptent des reformes appropriées. Depuis les deux dernières décennies cependant des groupes ont émergé avec des agendas qui laissent très peu de place au concept de droits de l’homme du moins qui bafouent notre conception des droits humains. Ils y tiennent si solidement que tout compromis allant dans le sens du respect de notre compréhension des droits de l’homme ne saurait être à l’ordre du jour. La question alors est de savoir, à quoi le dialogue avec de tels groupes peut-il servir ? Sinon une perte de temps et d’opportunité pour notre compréhension de la promotion des droits humains. Il y a là, nul doute, un grand débat en ce sens qu’il se pose un problème de valeurs donc d’idéologie et de vision du monde.

Niger Inter : Vous êtes de confession musulmane, quelle est votre perception des mouvements comme Al-Qaïda ou Boko Haram qui sévissent au nom de cette religion qui signifie officiellement paix ?

PHD Mamane Sani Moussa : Je dois avouer que je ne suis pas un érudit en sciences Islamiques. Je suis juste un musulman pour qui les cinq piliers de l’Islam servent de boussole. Je me réjouis cependant des connaissances modestes que le Seigneur des hommes, des cieux et de la terre m’a données et sur la base desquelles, je me vois en porte-à-faux avec la forme du Jihad prônée par les groupes extrémistes. Le Coran nous enseigne que c’est un grand péché de porter atteinte à la vie d’un innocent qu’il soit musulman ou non. Il est dès lors dommage et écœurant d’attenter à la vie des innocents et prétendre le faire au nom d’Allah. Dieu dit dans le saint coran « pas de contrainte en religion », autrement dit, on ne peut pas forcer quelqu’un à embrasser une religion. Du reste, je ne vois pas comment le fait d’incendier les cases des populations civiles qu’elles soient musulmanes ou non et comment la destruction des infrastructures économiques des pauvres populations, peut rapprocher leurs auteurs de la grâce de divine. Au contraire les actes de ces extrémistes n’encouragent pas les non musulmans à venir vers l’Islam et l’embrasser comme religion. Tout au plus ces actes intolérants embarrassent les musulmans du fait qu’ils donnent une mauvaise image de l’islam et des musulmans. Si je devrais donner des conseils à mes frères sur les meilleures formes du Jihad de notre temps, je conseillerais entre autres que nous partions à la conquête des réseaux de communication pour éduquer l’humanité sur les problèmes de notre époque et présenter les solutions que l’Islam offre. Regardez aujourd’hui combien de pays, ont adopté des lois qui légalisent les mariages entre les personnes de même sexe. C’est-à-dire pour un homme de marier un homme ou une femme de marier une autre femme. Je ne voudrais pas juger cet état des faits. Mais je rappelle que pour nous musulmans, le Coran nous enseigne que Dieu s’est fâché contre ces pratiques et a détruit des communautés entières qui s’y adonnaient. C’est dire que ceux qui ont choisi la voie terroriste n’ont rien compris de l’islam. Le travail de fond c’est d’abord l’éducation, la communication et la sensibisation pour espérer influencer les hommes à l’échelle planétaire car ce n’est pas autrement que le prophète a impacté l’humanité. Ce sont nos références à savoir le Coran et la sunna du prophète qui nous commandent d’appeler à l’islam par la sagesse et la bonne exhortation. Qui plus est, aux yeux de l’islam, tuer un seul être humain équivaudrait à tuer l’humanité toute entière ! Il y a bien là, en effet, de quoi faire méditer plus d’un terroriste avant de s’engager dans l’égarement et la négation des droits humains somme toute contraire à l’éthique musulmane. Très malheureusement pour bien des personnes musulmanes c’est l’Occident uniquement qui est concerné. Erreur de jugement sans doute ! Nous vivons dans un village planétaire où la tendance à l’échelle mondiale est de copier ce qui vient de l’Occident avec l’influence des medias et les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Je n’ai point de doute que l’Islam, bien compris, est l’un des meilleurs remèdes aux maux contemporains, mais je soutiens toutefois que la violence aveugle entreprise au nom de cette religion est une dérive, une perversion, une injustice et une aberration qu’il faut Absolument arrêter. Je formule le vœu et je prie sincèrement que le Créateur, le Dominateur Suprême guide nos frères égarés et les conforme aux enseignements authentiques de l’islam pour le bien de notre commune humanité.

Interview réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane