Niger : stopper la déscolarisation des jeunes!

La Communauté internationale vient de célébrer la Journée Internationale de la Jeunesse avec pour thème «Engagement civique des Jeunes». Dans cet article Adamou Ibrahim Louché aborde un problème majeur de la jeunesse nigérienne : la déperdition scolaire. Diplômé en Economie Banque et Finance Internationales avec spécialité Mondialisation et Stratégies Internationales, l’auteur fait ici une critique sans complaisance de notre système éducatif. Il propose également des solutions comme alternative pour « inverser la tendance ».

« Alors que les pays d’Asie de l’Est sont parvenus à exploiter leur bulle démographique et à faire de leur forte population de jeunes un moteur de la croissance, ce même phénomène est explosif en Afrique subsaharienne où il pourrait mener à une catastrophe économique et sociale » (La Banque Mondiale, 2015).

Ce n’est un secret pour personne que l’école nigérienne traverse une crise sans précédent. Trois (3) signaux, non exhaustifs, sont les plus frappants: la baisse du niveau des élèves et de certains enseignants, la difficulté pour l’école [formelle] à recruter de nouveaux élèves – surtout  dans les milieux ruraux – et le décrochage scolaire ou déscolarisation. Ces signaux permettent ainsi de prendre le pouls  de cette crise.  Parmi eux, nous nous intéresserons au troisième: « Aucun enfant ne devait quitter l’école sans diplôme »…

Le décrochage ou déscolarisation est un « processus progressif de désintérêt pour l’école, fruit d’une accumulation de facteurs internes et externes au système scolaire » (Lambillotte & Leclercq, 1996). Le décrocheur est celui qui quitte l’école sans avoir obtenu de diplôme d’études secondaires (à 24 ans).

 Selon les Nations Unies, 47 000 enfants [nigériens] ont dû quitter l’école pour aider leur famille lors de la sécheresse qui a sévi dans le pays  en 2012 (Huyghe et Mebrahtu 2012). L’UNECSO avance que 197.558 enfants ont abandonné leur cursus primaire prématurément en 2013 contre 55 620 en 1999.

 Quant à l’abandon au secondaire,  on établit à  119000 en 2013, le nombre d’élèves ayant quitté leur cursus. Et ils seront plus nombreux à manquer à l’appel la rentrée prochaine (2015 – 2016) pour se retrouver éventuellement  confrontés à un avenir incertain. Ces quelques chiffres, donnant parfois le vertige, ne représenteraient que la partie visible de l’iceberg.

Pourtant, la loi de 1998 stipulait déjà que « l’éducation doit être complète. Elle (l’éducation) vise le développement des capacités intellectuelles, physiques et morales, l’amélioration de la formation en vue d’une insertion sociale et professionnelle et le plein exercice de la citoyenneté ». En clair, aucun enfant ne devait sortir du système scolaire sans diplôme. Plus de 17 ans après son adoption, cette loi peine à produire les effets escomptés.

Certes, le phénomène est loin d’être nouveau. Néanmoins, ce qui a changé notre perception du décrochage scolaire, c’est la conjonction de l’augmentation du chômage des jeunes et l’importance prise par le diplôme comme condition d’accès au marché du travail.

Puis, la sortie du rapport de la Banque Mondiale (juillet 2015) intitulé « les jeunes non scolarisés et déscolarisés d’Afrique subsaharienne : Politiques pour le changement »  conforte notre thèse en lançant l’alerte sur un phénomène qui risque de devenir « explosif » dans un futur proche. Le rapprochement avec les événements du 16 et 17 janvier dernier, la montée de la délinquance dans les [grandes} villes, les marchés parcimonies…pouvant être interprétés comme des prémices.

 En l’absence d’un enseignement de qualité, plusieurs enfants partent plus tôt de l’école, le milieu rural en paie un lourd tribut

Le rapport susmentionné examine les  facteurs qui conduisent les jeunes âgés de 12 à 24 ans à abandonner leurs études. Il met en évidence six aspects caractéristiques et dont l’importance varie d’un pays à l’autre et à l’intérieur d’un même pays :

  • La plupart des jeunes exclus  du système scolaire ont abandonné leurs études avant le cycle secondaire et nombre d’entre eux n’ont jamais mis pied à l’école ;
  • La perspective d’un mariage précoce constitue pour les jeunes filles un obstacle majeur à la poursuite des études et nuit également à leur scolarité avant même qu’elles ne se marient ;
  • Les jeunes qui vivent en milieu rural risquent davantage d’être délogés du système en raison de l’enrôlement précoce de la plupart d’entre eux dans le secteur du travail informel ou familial notamment.  Au Niger environ trois (3) enfants sur dix vont à l’école tout en travaillant parallèlement ;
  • Le niveau d’éducation des parents constitue le facteur le plus déterminant de la scolarité des enfants ;
  • Le nombre d’adultes qui travaillent au sein du ménage influence considérablement les choix de scolarité et les décisions relatives aux études et à la vie professionnelle ;
  • L’amélioration de la scolarisation et de la rétention scolaire est bridée par le manque d’établissements scolaires et la médiocrité de l’enseignement. Au Niger, où les taux d’inscription tombent à 20 % dans la cohorte (12 – 24 ans) des étudiants les plus âgés, plus de la moitié des jeunes non scolarisés et déscolarisés de ce groupe (contre 1/5 des 12-14 ans) mettent en cause la défaillance  du système et l’absence de qualité de l’enseignement.

Comment remédier à la déscolarisation des jeunes ?

Selon le rapport susmentionné, « le problème doit être abordé selon trois (3) angles : la rétention des jeunes scolarisés et à risque ; la remédiation par le biais d’une offre éducative alternative (extrascolaire) ; l’insertion sur le marché du travail ». Ce cadre permet de décliner les recommandations de politiques publiques selon diverses sous-catégories de jeunes et divers pays, et à court terme comme à long terme.

  • La rétention scolaire : Celle-ci peut être améliorée en utilisant plusieurs leviers. Il faut d’abord intervenir davantage et plus tôt pour faire en sorte que les enfants soient scolarisés à l’âge approprié. Il faut aussi redonner la priorité à l’amélioration de la qualité de l’enseignement primaire tout en développant le secondaire, avec le concours du secteur privé. L’amélioration de la rétention exige aussi une information accrue des familles et des jeunes sur l’importance de l’éducation, en particulier pour les filles et en milieu rural. On peut aussi, si nécessaire, recourir à des incitations en espèces.
  • La remédiation passe quant à elle par des financements solides et de long terme en direction de programmes alternatifs à l’enseignement formel, par une prise de conscience accrue de la nécessité, pour les jeunes, de travailler pour survivre, et par des interventions à grande échelle et coordonnées au profit des jeunes dans les régions en proie à des conflits.
  • L’insertion sur le marché du travail exige, entre autres aspects, d’améliorer la pérennité des programmes de formation professionnelle et de mieux en évaluer l’impact, d’entreprendre des actions coordonnées entre pouvoirs publics, entités régionales, ONG et secteur productif, et de lever les barrières légales et institutionnelles au financement des jeunes entrepreneurs ».

Parallèlement aux solutions énumérées ci-dessus et comme la médiocrité de l’enseignement pousse à l’abandon, il y’a aussi lieu de traiter le problème en amont : valoriser le métier de l’enseignement et avoir un œil attentif sur l’action du gouvernement sur ce secteur.

La  revalorisation  du  métier de l’enseignement, une panacée pour « soigner » l’école

Les enseignants du Primaire et du Secondaire, composés majoritairement de contractuels,  sont très peu lotis au Niger. Pire, ils perçoivent leurs salaires ou pécules  » au lance-pierres »,  de façon irrégulière. Ce qui expliquerait la récurrence des débrayages et accroit souvent l’indifférence ou le manque de rigueur dans la transmission du savoir.  A cela s’ajoute le manque de qualification.

 Car, au Niger, «les enseignants contractuels sont généralement des diplômés sans aucune formation pédagogique pour exercer le métier d’enseignant ; et la majorité d’entre eux se sont retrouvés dans la fonction enseignante faute de trouver mieux sur un marché de l’emploi moderne de plus en plus sélectif et particulièrement restreint.» (Moussa Tchangari et al., 2008).

Et, sous prétexte de baisser, voire endiguer le chômage de jeunes, nos dirigeants  [antérieurs et actuels] ont lâché du lest sur la qualité au bénéfice de la quantité alors qu’il fallait faire l’inverse.  Conséquence: on est en train de sacrifier délibérément toute une génération.

A lire…l interview de  MME MAIKIBI KADIDIATOU DANDOBI

  Avec des enseignants non qualifiés, la chute du niveau de la majorité des élèves nigériens sera inéluctable et la médiocrité s’installera dans la durée. L’éducation nationale s’enlisera ainsi dans une crise profonde.

On peut inverser la tendance en octroyant davantage de moyens dans la formation du personnel enseignant. L’objectif étant de moderniser le métier d’enseignant et de redorer son image et susciter de nouvelles vocations. Et nous indiquons  quelques pistes ici :

–           Plus de  rigueur, qui n’est pas synonyme de méchanceté, dans le recrutement et la formation de nouveaux enseignants ;

–           Améliorer les conditions d’avancement et rendre les salaires plus motivants ;

–           Améliorer les conditions de travail ;

Ainsi, une fois ces mesures (non exhaustives) adoptées, les enseignants pourront exercer leur métier avec passion et abnégation comme dans la plupart des pays développés. Et la qualité de l’enseignement sera au rendez-vous. Et de nombreux bénéfices pour le pays.

L’école, une « affaire de tous »

L’Union des Scolaires Nigériens (USN) reste de nos jours en première ligne pour exiger du gouvernement de meilleures conditions de vie et d’études. Des revendications légitimes quoique sa méthode puisse faire l’objet de contestation.

Parallèlement, on a constaté parfois une mobilisation « timide» des organisations de parents ou d’enseignants au-delà de déclarations de principe. Une des raisons de cette relative inertie pourrait être que les parents investis ne sont en général pas ceux qui sont les plus exposés aux problèmes de décrochage (Balas 2012).

 A cela s’ajoute le risque de récupération politique de la mobilisation dont le sujet dépasse de loin les clivages politique et nécessite donc l’union nationale. Mais compte tenu de l’ampleur que prend le phénomène (voir ci-dessus), ce dernier finirait par rattraper également les jeunes issus des familles aisées et quel que soit leur bord politique.

 D’où l’intérêt de coordonner les actions, mutualiser les forces afin d’exiger un enseignement de qualité pour tous.  Et ne pas agir serait synonyme  de « cautionner » un système à bout de souffle dont les conséquences seront très dommageables pour le pays.

Adamou Louché Ibrahim