Entretien avec l’Honorable Abdou Harouna, Député National : « Je ne serais pas un député balsa ! »

A la fin de la session extraordinaire du 15 juin dernier, le député national Abdou Harouna, plus connu ici à Maradi sous son titre de Sarkin Yaki, n’a pas tardé à rappliquer au bercail pour dit-il « rendre compte à ses électeurs » de ce qu’il a fait à l’Assemblée Nationale. Pour la circonstance, il a invité la presse locale le dimanche 19 juin à son domicile où il a expliqué de long en large les travaux auxquels il a participé au sein de l’hémicycle. Mieux, dès le lendemain, il a entrepris une visite dans les quartiers de Maradi pour rencontrer les maradawas et échanger sur leurs conditions de vie et leurs attentes.

Cette « sortie » de Sarkin Yaki a été unanimement saluée par les commentateurs de Maradi. C’est la première fois qu’un élu de la région rende compte à ses électeurs de la représentation qu’il exerce en leur nom à l’Assemblée Nationale. Nous sommes partis à la rencontre de ce Député un peu atypique, pour connaitre les réelles motivations de ce nouveau type de communication…

Vous avez invité les radios privées de Maradi pour un point de presse le dimanche 19 juin passé. D’après ce qu’on a entendu et compris, vous êtes animé du désir de faire un compte rendu fidèle des travaux auxquels vous avez participé à l’assemblée nationale. Voulez-vous montrer par là aux autres députés qu’ils ne font pas bien leur boulot ?

Ecoutez, le « boulot » des autres députés ne me préoccupe pas tant. Ce qui me préoccupe plutôt, c’est mon propre boulot. J’ai pris des engagements avec ma base, c’est-à-dire les gens qui m’ont élu. Je leur ai dit que je viendrai régulièrement leur rendre compte de tout ce que j’aurai fait à l’Assemblée Nationale en leur nom. C’est ce que j’ai fait, sans arrière pensée.

La première étape a consisté en une conférence de presse avec les médias locaux, devant lesquels j’ai retracé de bout en bout tous les travaux auxquels j’ai participé et expliqué au passage leurs enjeux et leur portée pour le peuple nigérien dans son ensemble et, spécifiquement pour les populations de la ville et de la région de Maradi.

La deuxième étape a consisté en des visites de proximité dans les quartiers pour m’entretenir avec la population et partager avec elle quelques moments de joie et de sacrifice. Vous savez que nous sommes en période de Ramadan, il n’ya pas meilleure période pour partager avec sa base que ce moment là …

Tout de même, n’est-ce pas une opération de communication destinée à vous démarquer davantage ? Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous voulez plutôt trop vous montrer ?

Je n’ai rien à dire à ces gens-là. Vous savez, dans ce pays, on n’a pas appris malheureusement à féliciter ou encourager les bonnes initiatives. Et puis de toutes les façons, quoi que vous fassiez, vous serez critiqué. Alors à quoi bon se préoccuper des critiques, même si on doit en tenir compte.

Ce que les gens ne savent pas, c’est que je raisonne et réagis souvent comme un américain (NLDR : Abdou Harouna a plus de 10 ans de carrière aux USA). Là bas un élu, député ou sénateur, ne peut pas, entre deux sessions, rester à Washington et se la couler douce. Il est obligé de revenir dans sa circonscription électorale pour « travailler » avec sa base. Sinon c’est la fin de son mandat.

Ici chez nous, il faut le reconnaitre, les choses sont trop faciles pour les députés. Ils sont moins ou pas du tout interpellés par leurs électeurs. De sorte que, une fois les élections terminées, le député peut emménager à Niamey pour le reste de son mandat, sans que cela n’offusque qui que ça soit…

Je voudrai rompre avec cette pratique oiseuse. Je peux vous garantir que je ne serai pas le député balsa que vous avez connu de part le passé. J’ai une claire conscience des responsabilités qui sont les miennes et je ferai tout pour ne pas faillir. Pour moi, le devoir de rendre compte aux électeurs et la répercussion de leurs attentes dans les instances décisionnelles, représente toute la substance du contrat qui lie un député à ses électeurs…

Parlons à présent de la « représentation » de la Région de Maradi d’une manière générale. On le sait, notre région est celle qui élit le plus de député analphabète. En âme et conscience, est-ce que cette situation n’est pas préjudiciable à la Région ?

D’abord, ça donne une mauvaise image de la Région. C’est pourquoi ailleurs dans le pays, on nous traite, nous ressortissants de Maradi, de « commerçants », avec tout ce qu’il ya de péjoratif dans le contenu. En effet, vous ne pouvez pas dire que vous avez des « intellectuels » et envoyer des « analphabètes ou des semi-analphabètes » pour assurer votre visibilité au plan national.

13510932_102628906836001_6524523407042947002_nHeureusement, les choses ne se passent pas comme cela dans tous les partis. Au PNDS ici à Maradi par exemple, tous les députés ont un diplôme équivalent minimum au BAC. Sinon le vrai problème avec les députés analphabètes, c’est quand il s’agira de travailler à l’Assemblée où tout est écrit en Français dans des documents volumineux ; quand il s’agit d’initier des lois, de défendre les intérêts de sa région ou de représenter son pays à l’extérieur… assurément, ici un analphabète n’a pas sa place… j’ai de la peine à imaginer quel type de leadership un analphabète peut-il jouer dans une Assemblée Nationale. Aujourd’hui d’ailleurs, en plus d’être lettré, il faut également avoir une parfaite maitrise de l’outil informatique. Si vous n’avez ni l’un ni l’autre, techniquement vous ne pouvez pas être utile à l’institution.

Je suis de ceux qui pensent que Maradi a beaucoup souffert de cette situation plus que les autres régions. Pour autant, ce ne sont pas les profils de « députables » qui manquent à la Région. Le problème est sans doute plus complexe et il faudra peut-être deux ou trois législatures en aval pour que la Région puisse harmoniser sa représentation…

L’Assemblée Nationale, on le sait est passée de 113 à 171 députés. Y a-t-il de la place pour tout le monde à l’hémicycle ?

(Rires !) Je ne sais pas si j’ai bien compris votre question, mais je peux vous dire que la présente législature, est sans conteste la plus qualifiée que le Niger ait connue. Ce n’est pas parce que j’y suis, mais parce que cette fois-ci l’hémicycle regorge de beaucoup d’individualités les unes plus compétentes que les autres. Il n’ya pas une question qui pourrait surgir et qui n’aurait pas de « spécialiste » au sein de ce nouveau groupe.

D’abord, il y a moins « d’analphabètes » comme vous les qualifiez, dans la présente législature. Je trouve que c’est un avantage comparatif non négligeable. Il ya également parmi nous beaucoup de gens qui de part le passé, ont occupé d’importantes responsabilités techniques ou politiques, tant au Niger qu’à l’extérieur… pour moi toutes ces compétences et toutes ces expertises associées ou additionnées, font de présente législature, l’une des plus « blindée » que notre pays ait connue.

L’autre aspect positif, contrairement à ce que les gens pourraient penser, tous les députés de la majorité ne sont pas des « béni-oui-oui ». De la petite expérience que j’ai de ce groupe, ils sont nombreux, j’allais dire, nous sommes nombreux au sein de l’hémicycle, à ne pas nous comporter comme des moutons de panurge. Nous avons une haute idée de l’intérêt national et d’ores et déjà je puis vous le certifier, certains ministres l’ont déjà appris à leur dépens lors des interpellations des membres du Gouvernement…

Pour répondre directement à votre question, il y a encore de la place pour d’autres nigériens à l’hémicycle, pourvu qu’ils aient une noble idée de leur statut et qu’ils mettent l’intérêt national au centre de toutes leurs préoccupations…

Propos recueillis par

El Kaougé Mahamane Lawaly

Le Souffle Maradi