Entretien avec le député Lamido Moumouni Harouna

L’Assemblée nationale vient de clôturer sa Session budgétaire. Le député Lamido Moumouni Harouna répond aux questions de Niger Inter sur le budget 2017, la santé, l’ affaire article 52 et le ralliement de son parti le MNSD Nassara à la mouvance présidentielle.

Niger Inter : Vous êtes l’auteur de la récente interpellation du ministre de la santé publique à l’Assemblée nationale. Etes-vous satisfait des réponses et engagements du ministre au nom du gouvernement ?

Député Lamido Moumouni Harouna : Les réponses du Ministre de la Santé Publique ont été suivies d’effet. Il avait pris l’engagement, s’il a les coudées franches, de mieux repartir les ressources humaines, mais aussi de continuer le dialogue avec les médecins spécialistes. D’ores et déjà, nous constatons que la recommandation de l’Assemblée Nationale au Gouvernement, suite à cette interpellation, qui a demandé une affectation des médecins sur toute l’étendue du territoire national, en tenant compte des besoins réels des régions, a connu un début d’exécution avec l’affection des ressources humaines conséquentes à la Direction Régionale de la Santé de Diffa. Concernant les médecins spécialistes, les informations en notre possession indiquent que le dialogue a repris entre le gouvernement et les responsables de leur syndicat. Notre souhait est de voir aboutir cette démarche afin que les centres hospitaliers puissent disposer en permanence des ressources humaines qualifiées, dans l’intérêt bien compris des patients. Nous exhortons par conséquent les deux parties à faire preuve de hauteur d’esprit pour préserver l’intérêt général.

Niger Inter : Vous avez soutenu qu’à l’intérieur du pays particulièrement les services de santé sont négligés ou du moins les agents de santé ne font pas assez. Au delà du constat comment entendez-vous redresser ce tort à l’encontre du monde rural ?

Député Lamido Moumouni Harouna : C’est certain. Notre pays est pleinement concerné par le problème de gestion des ressources humaines en santé. Cette situation se caractérise particulièrement par des déséquilibres importants dans la répartition des effectifs entre zones urbaines et zones rurales. A titre illustratif, les effectifs des sept (7) Régions réunies représentent environ 27%, soit 96 médecins spécialistes, contre 73% pour le Région de Niamey, soit 263 médecins spécialistes selon les statistiques du Ministère de la Santé. Comme vous le constatez, vous-même, le déséquilibre est patent. Le règlement de cette situation, pour nous Députés, ne peut que s’inscrire dans le cadre de l’exercice effectif de notre rôle régalien (représenter la Nation, voter la loi et contrôler l’action du Gouvernement). Mais surtout dans l’application saine des lois et règlements de la République. Procéder autrement ne fera que renforcer le déséquilibre. A travers notre rôle de représentation, notre contact permanent avec les populations nous autorise à dresser le constat sur l’existence des centres de soins là où ils sont nécessaires et leur fonctionnement normal. Par le pouvoir de vote de la loi, la connaissance des réalités du fonctionnement des centres de soins et des engagements pris pour ce secteur, aussi bien sur le plan national que sur le plan international, nous commandent d’avoir un regard critique sur le budget alloué à ce secteur et une veille permanente pour que les inscriptions qui lui sont destinées soient conséquentes et effectives.
Notre pouvoir de contrôle de l’action du Gouvernement nous permettra de faire le suivi et l’évaluation des activités ci-dessus évoquées.

Niger Inter : Vous venez d’adoptez le budget 2017 qui s’équilibre en recettes et en dépenses à 1 809,49 milliards de FCFA. Quelle est votre observation sur ce budget ?

Député Lamido Moumouni Harouna : Je voudrai souligner ici le contexte économique et social particulier dans lequel la loi de Finances pour l’année budgétaire 2017 a été élaborée. Il s’agit d’un contexte où il faut nécessairement gérer avec efficacité les risques liés aux problèmes sécuritaires ; à l’évolution défavorable des cours des matières premières exportées et à la détérioration des conditions financières sur le plan international.

Niger Inter : Pensez-vous que ce budget est réaliste ?
Député Lamido Moumouni Harouna : Le réalisme des prévisions budgétaires s’analyse sous le double angle du taux d’exécution du budget précédent et de la capacité de mobilisation des ressources internes et externes tout en tenant compte de l’environnement économique national et international. Le budget n’est que des prévisions chiffrées des recettes et des dépenses qui n’ont de valeur que si la chaîne de mobilisation des ressources est efficace et les dépenses efficientes.

Niger Inter : La sécurité occupe une place importante dans le budget ces dernières années. Quelle est la part du volet sécurité dans le budget 2017 ?

Député Lamido Moumouni Harouna : Les crédits ouverts au budget général de l’Etat, au titre des services votés, pour l’année budgétaire 2017, du Ministère de la Défense Nationale et du Ministère de l’Intérieur, de la Sécurité Publique, de la Décentralisation et des Affaires Coutumières et Religieuses sont, respectivement de :
 100.179.356.379 FCFA
 61.407.824.248 FCFA

Niger Inter: S’il y a une affaire qui a défrayé la chronique au cours de votre dernière session c’est bien le projet de modification par un groupe de députés. Quelle appréciation faites-vous sur la question d’accès aux marchés publics par les députés et les hommes politiques en général ?

Député Lamido Moumouni Harouna : L’article 52 de la Constitution de la 7e République interdit à une catégorie de personnalités, de par leur rang social, d’accéder aux marchés publics et privés de l’Etat. Le souci du législateur est de faire en sorte d’éviter le trafic d’influence dans la procédure de passation des marchés de l’Etat. Dans le contexte qui est le nôtre, il serait mal indiqué de revoir l’esprit et la lettre de cette disposition.

Niger Inter : Votre parti le MNSD Nassara vient de rejoindre la majorité présidentielle. En considérant votre position à l’opposition sur la gouvernance du président Issoufou les citoyens sont surpris. Comment expliquez-vous un tel revirement ?

Député Lamido Moumouni Harouna : Un parti politique, par essence, est une association regroupant des militants mus par un idéal idéologique et a pour objectif la conquête et l’exercice du pouvoir. Il apprécie les situations selon les opportunités qui lui sont offertes pour atteindre ses objectifs. La mission de toute organisation politique est la défense de l’intérêt général. Les choix du moment sont commandés par la réalité sociopolitique au niveau national et international. Si le Bureau Politique du MNSD-Nassara a décidé en toute souveraineté de participer à la gestion du pouvoir d’Etat, c’est dans l’intérêt bien compris de la stabilité institutionnelle mais aussi dans la préservation de sa cohésion et de son unité. Le plus important pour le parti est de rester uni après les dures épreuves qu’il a connues après le départ de certains de nos camarades que nous regrettons énormément. Il ne serait pas sage pour le parti, dans ce contexte, de se livrer à d’autres querelles intestines. Peu importe ce que peuvent penser les observateurs ou les analystes qui qualifient cette décision souveraine du parti de revirement. Du reste, la politique, dans nos pays où la démocratie est encore balbutiante, est faite d’alliance et de contre-alliance. Notre souhait est de respecter la décision du parti qui, à son tour, doit respecter ses textes propres, c’est-à-dire le fonctionnement régulier des structures et des organes.

Niger Inter : Après la formation du gouvernement dit de large ouverture l’on a comme l’impression que le MNSD n’a pas assez puisé au sein de son personnel politique dans le choix de ses ministres. Que répondez à cette allégation ?

Député Lamido Moumouni Harouna : Nous pensons que cette allégation n’est pas fondée. Nos représentants au Gouvernement actuel sont parmi les meilleurs des cadres de notre parti. Je ne doute point de leurs compétences et de leurs capacités intellectuelles à appréhender avec sagacité les problèmes de la gouvernance politique, sociale, économique et culturelle. Mais cala ne suffit pas, faudrait-il encore que le contexte général leur permette de donner le meilleur d’eux-mêmes.

Niger Inter : En quittant l’opposition vous venez de l’affaiblir. Que répondez-vous à ceux qui disent que votre ralliement à la mouvance présidentielle traduit le primat de vos intérêts politiques sur l’intérêt général ?

Député Lamido Moumouni Harouna : Dans un système démocratique a fortiori semi-présidentiel, avoir une opposition critique et responsable est dans l’ordre normal des choses. La valeur d’une opposition, de mon point de vue, n’est pas forcément l’importance numérique de ses membres mais la qualité et la justesse de ses propos. Une opposition constructive permet à une majorité, qui se veut dynamique et défenseur de l’intérêt général, d’ajuster la mise en œuvre des politiques publiques. L’opposition ne doit pas être considérée comme un obstacle à l’atteinte des objectifs politiques, économiques, sociaux et culturels du Gouvernement si tant est qu’elle joue véritablement son rôle de veille. Notre conception de la politique va au-delà des intérêts partisans, immédiats ou lointains. Ce qui fonde notre conviction idéologique est la défense de l’intérêt général dans le respect de l’équité et de la justice sociale. Tout intérêt individuel ou grégaire, qui s’oppose à l’intérêt général, n’est qu’éphémère.

Niger Inter : Qu’est-ce qui n’a pas marché à l’opposition de l’ARN à la Copa 2016 ?

Député Lamido Moumouni Harouna : Il ne nous appartient pas d’apprécier, à cette étape précise, le fonctionnement ou le dysfonctionnement des différentes alliances de l’opposition de l’ARN à la COPA 2016. Nous ne sommes pas qualifiés pour cela.

Niger Inter : Avec le recul comment expliquez-vous le fait que l’opposition ait appelé au boycott de la présidentielle au second tour tout en maintenant son candidat ?

Député Lamido Moumouni Harouna : Rien de surprenant en cela. L’opposition s’est simplement défini une stratégie qui consistait à se faire entendre et à dénoncer ce qu’elle considérait comme des manquements graves au processus électoral.

Niger Inter : D’aucuns disent que le poste du Haut Représentant du Président de la République (HRPR) confié à M. Seini Oumarou serait une sorte de rançon à l’alliance MNSD/PNDS. Avez-vous une réaction ?

Député Lamido Moumouni Harouna : Il s’agit d’une décision souveraine du Président de la République. Mais il nous semble improbable que le rapprochement entre les deux parties ait eu pour fondement la seule création de ce poste. L’intérêt national est au-dessus de tous nos égos.

Propos recueillis par Elh. M. Souleymane