Colonel Major Mahamadou Abou Tarka : «La fête du 24 avril nous permet de rappeler la rébellion, de parler de l’unité nationale, d’un Niger dans lequel tous ses enfants se sentent solidaires et plus à l’aise»

Créée en 1995 pour suivre la mise en œuvre des accords de paix de 1995 et des autres protocoles  additionnels à ces accords intervenus en 1998, la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP), qui est rattachée à la Présidence de la République, est chargée entre autres de l’analyse prospectrice, de la prévention  et de la gestion des crises et des conflits. Dans cette interview réalisée à moins d’une semaine de la célébration de la Journée Nationale de la Concorde, en souvenirs des accords cités ci-haut, le président de la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix, le Colonel Major Mahamadou Abou Tarka, revient sur le sens de la journée du 24 avril, la question de l’unité nationale,  les activités de la HACP en faveur de la consolidation de la paix et de la prévention des conflits, etc.

Monsieur le Président, sous quel signe est placée, cette année, la Journée  Nationale de la Concorde que le Niger célèbre chaque  24 avril ?

La fête de la Concorde est une fête nationale qui aura lieu partout, je tiens à le préciser. Toutes les communes, tous les départements, toutes les régions, ainsi que les administrations, sont appelés à célébrer la fête du 24 avril. Cette année, sous le haut patronage du Premier ministre, nous allons organiser des activités à Tchintabaraden dans la région de Tahoua. L’édition 2017 de la fête de la concorde est  placée sous le signe de ‘’La Paix et l’Unité Nationale’’. Je voudrais rappeler que chaque année, la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix se déplace dans une des 76 communes cibles pour une grande cérémonie. Nous avons 76 communes que nous couvrons depuis Bosso jusqu’à Bankilaré,  et  cette année, nous avons reçu les instructions du Président de la République et du Premier ministre pour organiser la fête à Tchintabaraden. Et à cette occasion il y aura un forum dont le thème est  ‘’La paix et l’unité nationale’’.

Après près de vingt ans de célébration de la journée du 24 avril, quelle est la particularité de l’édition de cette année ?
J’ai l’habitude de dire que la Concorde, c’est la troisième fête nationale. Après la fête de l’Indépendance, la fête de la République, voilà la fête de l’unité nationale, celle de la Concorde. C’est quand même une fête extrêmement importante, car elle marque le retour définitif à la paix en 1995, avec la signature des accords de paix entre le Gouvernement et les anciennes rébellions. À partir de ce jour, on considère que la paix est  revenue au Niger.  C’est vrai qu’il y a eu une reprise de rébellion en 2007-2008, mais qui a fait long feu, dans la mesure où le Gouvernement de l’époque a refusé de négocier avec cette rébellion, étant entendu que les accords de paix ont été déjà conclus, on considérait que c’était une anomalie la rébellion de 2007. D’ailleurs elle a fini assez rapidement. Les quelques combattants ont déposé les armes, ils ont bénéficié d’une amnistie, la république est généreuse. On considère que depuis les accords de 1995,  il n’y a pas eu de remise en cause de l’Unité Nationale. Je voudrais aussi dire un mot sur les questions de sécurité dont nous nous occupons avec les Forces de Défense et de Sécurité.

Le Président de la République a l’habitude de dire qu’il n’y a pas de sécurité sans développement.  La Haute Autorité à la Consolidation de la Paix ne fait pas de la sécurité directement dans la mesure où nous ne disposons pas de troupes dans les régions. Mais nous faisons l’autre côté de la sécurité, ce qu’on appelle la sécurité soft, et c’est lier la sécurité au développement. C’est pour cela que nous mettons en œuvre un certain nombre de projets.  Nous allons profiter de la fête de la Concorde pour expliquer certaines choses: les accords de paix de 1995 ont été organisés autour de trois axes. Il y a un axe que nous appelons ‘’Discrimination positive’’, un axe ‘’Décentralisation’’, et un axe ‘’Développement accéléré des zones Nord’’.

Dans l’axe 1, il y a eu l’intégration des ex-combattants dans les Forces de Défense et de Sécurité. Mais il y a eu également l’insertion  des ressortissants dans l’administration des zones touchées par la rébellion ; des bourses ont été  octroyées aux ressortissants de ces zones. Ensuite le Gouvernement a poursuivi ses actions avec la nomination, dans ces zones, des chargés de mission qui, avec les délégués régionaux, nous font la narrative du Gouvernement au sein de ces communautés.  Nous avons continué à travailler sur ces axes, en faisant un focus particulier sur les populations des zones vulnérables, parce que, à tord ou à raison, elles ont l’impression d’être un peu abandonnées.

Le deuxième axe est celui de la décentralisation qui était une revendication de la rébellion. Dans un premier temps, ils  ont réclamé le fédéralisme, mais au cours des négociations, on est abouti à la décentralisation. Cette revendication a été étendue à l’ensemble du pays. Ce qui a été aussi un avantage  qui a permis d’approfondir la démocratie. Aussi, cela a contribué à l’intégration des ex-combattants. Dans la région d’Agadez par exemple, tous les quinze maires qui avaient été élus par la suite, sont des ex-combattants.  Ce deuxième axe a été aussi utile pour l’intégration et l’unité nationale.

Le troisième axe est le développement accéléré des zones nord. C’est un axe qui n’a pas eu beaucoup de succès dans la mesure où le Niger est un pays pauvre. Les partenaires ont promis, mais très peu de choses a été réellement fait. Néanmoins, le Gouvernement a fait ce qu’il pouvait et le Haut Commissariat à la Restauration de la Paix, à l’époque, a eu un certain nombre de projets dans le nord. Aujourd’hui, nous continuons sur ce troisième axe. Et une de nos principales activités à la HACP est de faire des micros projets dans les zones vulnérables. Nous avons au moins un ou deux projets en cours dans une de nos communes cibles, afin de renforcer la résilience des communautés.

Une autre stratégie, que nous avons adoptée au Niger dans le contexte des conflits,  c’est de faire en sorte que les populations aient plus confiance en l’Etat,  qu’aux groupes armés. C’est ce que nous avons fait dans la région de Diffa où opère Boko Haram. C’est là une action civilo-militaire que mène la HACP, en expliquant aux populations le sens du combat des Forces de Défense et de Sécurité, à travers des caravanes de la paix, des forums et des audiences foraines. Mais il ne faut pas s’arrêter là. Il faut à la fois des actions pour prendre en charge les besoins immédiats et aussi des actions pour le développement à long terme.  Il faut accompagner les communautés, parce que ce sont elles qui sont l’instrument premier de la paix.

Pour me résumer, nous avons fait les accords de paix en 1995 et nous avons accumulé une expérience de travail avec les groupes hors-la-loi. Il faut s’en occuper avec une approche globale, déployer les Forces Armées, engager le dialogue avec les communautés pour avoir avec nous tous ceux qui ne sont pas susceptibles d’aller de l’autre côté, diminuer le nombre de nos ennemis, faire des actions socio-économiques en direction de ces gens, et enfin soutenir la résilience des communautés. Nous travaillons beaucoup avec les partenaires, notamment l’Union Européenne et l’AFD.

N’est-il pas aussi nécessaire d’étendre les actions en faveur des couches pauvres des zones sédentaires  qui n’ont pas été concernées par les rebellions ?
L’administration est bien organisée, il y a aussi beaucoup d’institutions. Nous sommes souvent appelés à intervenir dans les zones sédentaires quand il y a les conflits entre sédentaires et nomades. Quelquefois, le Gouvernement demande un peu notre expertise et nous organisons des rencontres qui nous permettent d’arriver à des accords ;  mais c’est le service du  code rural qui est en charge de ces questions, ainsi que les différentes administrations, car la HACP ne peut pas avoir la prétention d’être  partout.

Selon vous, est-ce que l’institutionnalisation de la journée du 24 avril aura servi à consolider la paix ?
Ce qui a été aussi important au Niger, c’est l’institutionnalisation de la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix, qui a permis d’accumuler des expériences. C’est  cette institution qui est aussi responsable de l’organisation de la Journée Nationale de la Concorde  le 24 avril.  Il faut que tous les ministères, toutes les institutions prennent en charge la journée du 24 avril. C’est une fête nationale qui doit être beaucoup plus intériorisée, appropriée par les administrations, par les populations, comme le 18 décembre  ou le 3 Août. Je souhaite qu’il y ait plus d’engouement pour la fête de la Concorde Nationale. Les fêtes sont aussi faites pour se souvenir des moments particuliers de l’histoire, parler de leur signification. La fête du 24 avril nous permet de rappeler la rébellion, de parler de l’unité nationale, d’un Niger dans lequel tous ses enfants se sentent solidaires et plus à l’aise, etc.

L’indépendance est un thème important, la proclamation de la République également, mais le retour de l’unité nationale est un thème tout aussi important.

Réalisée par Souley Moutari

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