Ben Halima Abderraouf est ingénieur en statistiques et économie. Il est également prédicateur musulman et praticien de la Roqya. Il décrypte ici le ‘’dividende démographique’’ et la corruption. Une approche islamique de ces questions très actuelles.

Niger Inter : Présentez-vous à nos lecteurs et internautes.

Ben Halima Abderraouf : Je suis Ben Halima Abderraouf, né en 1967 en Tunisie, de père tunisien et mère américaine. J’ai grandi entre la Tunisie et l’Angleterre et je parle arabe, français et anglais depuis l’âge de 6 ans. Après mon bac scientifique mention Très Bien en Tunisie j’ai poursuivi mes études à Paris en tant qu’ingénieur en statistiques et économie. Entre-temps j’ai fait les olympiades internationales de mathématiques où je dirigeais l’équipe nationale tunisienne. Je me suis converti à l’Islam à l’âge de 15 ans et depuis je suis dans les mouvements islamiques de jeunes, d’élèves, d’étudiants et de Daawa. J’ai appris le Coran par cœur et j’ai fait une maîtrise en langue arabe. J’ai monté une maison d’édition Le Figuier où j’ai écrit, traduit et publié 21 livres éducatifs sur l’Islam. Je pratique professionnellement la roqya depuis 1997 et depuis 2005 je passe la majorité de mon temps en campagnes pour soigner, former à la roqya et établir des centres. Nous avons à ce jour des centres dans 35 pays à travers les 5 continents.

Niger Inter : Vous avez animé des conférences à Niamey dont celles portant sur le dividende démographique et la corruption. Quelle est l’approche islamique de la question démographique ?

Ben Halima Abderraouf : L’Islam encourage la procréation, c’est évident. Toutefois la contraception est permise dans certains cas, notamment pour préserver la santé de la femme. Il y a un cycle naturel d’allaitement après la grossesse qui fait qu’un enfant tous les trois ans est bon pour la santé de la femme. Mais la contraception ne peut se faire qu’avec l’accord des deux conjoints car l’un ne peut priver l’autre d’avoir des enfants puisque c’est un des buts fondamentaux du mariage. Par contre l’Islam n’accepte pas la limitation des naissances pas crainte de pauvreté puisqu’Allah s’est engagé à nourrir les enfants ainsi que les parents. Donc on peut aider les femmes à éviter d’avoir des enfants tous les ans ou tous les deux ans pour leur laisser le temps de récupérer leurs forces entre deux accouchements, mais en Islam on ne peut pas décider d’avoir moins d’enfants par manque de moyens de les élever.

Niger Inter : La population est vue aujourd’hui comme un problème qu’un facteur de développement. Comment expliquez-vous cette situation ?

Ben Halima Abderraouf : La vision des blancs est mathématique : plus de bouches à nourrir, pas assez de travail à offrir, donc une forte démographie est un handicap au développement. Or la vie humaine est plus complexe. D’abord la cause du sous-développement au Niger ou en Afrique, nous la connaissons tous : c’est la mauvaise gestion des ressources du pays, que ce soit par la corruption ou l’incompétence. Par contre, l’Afrique est nettement moins peuplée que l’Europe. Donc sur le plan économique, l’Afrique ne souffre pas de surpopulation mais de mauvaise gestion des ressources. Voyez, on peut dire que la démographie au Niger engendre un grand besoin d’écoles, d’enseignants, de construction de nouvelles maisons, etc. Mais si le barrage avait été fait depuis 40 ans, si les ressources minières servaient à développer le pays, et si tout l’argent détourné servait à aider le peuple, le pays ne serait pas dans le besoin.

Niger Inter : D’aucuns disent que l’islam est pro nataliste en citant le hadith selon lequel le prophète voudrait que sa oumma soit la plus nombreuse le jour du jugement dernier. Quelle est votre lecture de cette approche ?
Ben Halima Abderraouf : Mais c’est vrai, c’est clair, et ça a toujours été un avantage pour les musulmans. En France par exemple, les musulmans font plus d’enfants que les autres et c’est une force pour les musulmans. Là où je vis, à Gennevilliers, la moitié des enfants de l’école sont musulmans, alors que la population musulmane est bien moins que la moitié, et cela nous donne plus de poids pour obtenir nos droits et cela annonce un meilleur futur pour les musulmans en France. Depuis le temps du Prophète à maintenant, il n’a jamais été mentionné que la forte natalité était un problème et nous n’avons pas connu d’appel à limiter les naissances.

Niger Inter : Les objectifs du dividende démographique visent à promouvoir une population éduquée, en bonne santé et apte à faire face au défi de l’emploi. De ce point de vue ne pensez-vous pas que l’initiative du dividende démographique mérite le soutien des leaders religieux ?

Ben Halima Abderraouf : Je ne le pense pas. Ce n’est pas le dividende démographique qui peut réaliser ces objectifs, mais l’élimination de la corruption et de la mauvaise gestion. Par ailleurs, la limitation des naissances a des conséquences spirituelles et sociales que vous ne connaissez pas et que l’Occident est en train de vivre. D’abord il y a une rupture avec Dieu et une valorisation de l’individu. Vous allez passer votre vie à penser qu’élever 2 ou 3 enfants est dans vos capacités, mais plus que ça vous allez souffrir ; voyez comment ça vous rend matérialiste et individualiste. Tous ceux qui me lisent, si vous êtes d’une famille de plus de huit enfants, pensez-vous que ça aurait été mieux que la moitié d’entre vous n’ait jamais existé ? Ainsi vous auriez eu de meilleurs habits, et vos parents auraient dépensé deux fois plus pour chacun de vous ou bien ils auraient gardé l’argent pour vous construire des maisons et assurer votre avenir ? En contrepartie vous aurez perdu tout le bonheur d’avoir tous ces frères et sœurs, tout cet amour et cette entraide, et ces joies malgré les souffrances. Regardez bien vos frères et sœurs et dites lesquels n’auraient pas dû exister. C’est ce que vous voulez faire à vos enfants ? Le fait d’avoir peu d’enfants, justement pour donner plus de temps et de dépenses à chacun, développe chez eux l’égoïsme et l’individualisme. Cependant, ils n’en seront pas plus heureux, car ce sera le niveau de vie qu’ils ont toujours connu et dont ils ne peuvent pas se passer. Ils seront moins disposés à supporter les difficultés de la vie et seront moins reconnaissants envers leurs parents. Ce n’est pas qu’on doive faire souffrir nos enfants pour en faire des hommes et des femmes, mais une grande fratrie est un bon apprentissage de la vie. Donc le résultat en Occident de la limitation des naissances est la perte du bonheur. L’individualisme fait que les gens se marient de moins en moins et font moins d’enfants, car la suite du raisonnement est que si nous vivons mieux avec 4 enfants au lieu de 8, nous vivrons encore mieux avec deux enfants, et encore mieux sans enfants et encore mieux tout seul. Certes, il y aura plus d’argent pour chacun, mais il n’y aura plus de bonheur. Ainsi vous voyez les sociétés les plus « évoluées » en limitation des naissances sont les plus riches – sauf les pays pétroliers – et celles où il y a le plus de suicides. Si vous voyez la situation des vieux en Occident, vous allez tout comprendre : même un ex président ou un grand richard finit ses jours seul, tout au plus avec un conjoint et une bonne, loin de ses enfants et encore plus loin de ses petits-enfants. Voilà, je tenais à apporter ce témoignage sur la société occidentale et cet aspect du dividende démographique qu’eux-mêmes ne voient pas.

Niger Inter : L’autre thème de votre contribution durant votre séjour au Niger c’est la corruption qui constitue une gangrène au plan mondial. Du point de vue islamique quelles attitudes face au fléau de la corruption ?

Ben Halima Abderraouf : La première chose est de refuser de la prendre. Cet argent illicite est un poison et une malédiction pour vous et vos proches que vous nourrissez. Ensuite, il faut refuser de la donner et lutter et dénoncer pour changer le mal, comme a dit le Prophète (SAW) : « Quiconque parmi vous voit un mal qu’il le change ». Par la grâce d’Allah, il y a une association de lutte contre la corruption au Niger qui n’attend que les dénonciations des victimes pour agir. Je vous appelle aussi à prier de toutes vos forces quand vous voyez un corrompu nuire à la population, voler les gens et les priver de leurs droits pour qu’Allah vous en débarrasse. Ensuite, il ne faut pas accepter l’argent des corrompus : le fait que les femmes veulent les épouser, que leurs proches s’agglutinent autour d’eux, que leurs villages les défendent car ils ont fait des réalisations, nous rend tous complices de leurs actes, et finalement ceux qui s’opposent à eux se plaignent tout simplement qu’ils n’ont pas eu une part dedans et ils meurent d’envie de faire la même chose. Donc il est largement insuffisant de ne pas être corrompu : le fait de se soumettre aux exigences des corrompus ou de profiter de leurs dons, c’est cela même qui permet à la corruption de perdurer.

Niger Inter : La corruption est une voie facile pour acquérir des services ou biens indus alors en tant que prédicateur comment combattre ces pratiques corruptives ?

Ben Halima Abderraouf : Il faut multiplier les prêches et les exemples sur les points suivants : le bien mal acquis amène la colère et la malédiction divines ; la donya, la richesse matérielle, ne fait pas le bonheur ; profiter des biens mal acquis d’un proche est une complicité, au contraire, il faut l’aider en le redressant sur le droit chemin ; lutter contre le mal est un devoir du musulman ; ensemble nous pouvons vaincre la corruption car Allah changera la situation de ceux qui se changent eux-mêmes ; les élèves et étudiants doivent lutter contre la triche dans les établissement scolaires, ce qui les préparera à l’intégrité aussi dans la vie professionnelle.

Niger Inter : Quelle est l’impact de la foi sur l’économie au niveau individuel ou communautaire ?

Ben Halima Abderraouf : La foi implique l’honnêteté, la droiture, le perfectionnement de son travail, le rejet de l’abus, du vol, du mensonge, de la corruption, le dévouement pour les autres, l’amour du prochain, le partage, la préférence de l’intérêt général. Vraiment la foi est la solution à la corruption et la mauvaise gestion. Par ailleurs l’Islam nous donne des principes dans tous les domaines de la vie qui permettent d’avoir des meilleurs résultats. Par exemple, c’est en étudiant l’économie occidentale que j’ai compris la valeur de l’économie islamique et j’en ai fait un livre : l’économie en Islam. Donc chacun dans le domaine où il est doit connaître les principes islamiques relatifs à son activité et cela lui donnera un avantage sur les autres.

Niger Inter : Quels sont vos conseils pour acquérir la richesse licite ?

Ben Halima Abderraouf : Le tout premier est d’éviter le haram coûte que coûte. Et ne pensez pas que vous allez mourir de faim ou que votre vie sera détruite. C’est une étape nécessaire pour construire votre confiance en Allah : chaque fois que Satan vous dit : tu es dans la galère, ta seule solution est le haram, tu vas répondre : je place ma confiance en Allah, je remets ma vie à Allah et j’obéis à Allah. C’est ainsi qu’Allah te montrera Sa puissance et Sa miséricorde et ne te décevra jamais. Deuxièmement, si tu cherches un travail ou une source de revenu, au lieu de te dire : comment puis-je gagner de l’argent, dis-toi : en quoi puis-je être utile à la société ? Que puis-je apporter aux autres ? Et lance-toi dans cette activité puis vois comment tu peux la rentabiliser, et même si tu gagnes peu d’argent, Allah comblera ta vie de miséricorde et de bénédiction car Allah t’aidera autant que tu aides les autres. Troisièmement, utilise correctement ton argent, commence par les nécessités incontournables, puis ce qui permet de développer ton activité, puis aide ceux qui n’ont pas eu autant de chance que toi, mais aide-les à s’en sortir plutôt que les garder dépendants de toi, et enfin, fais-toi un peu plaisir, mais attention, tu dois faire autant plaisir à ta femme et tes enfants que tu en fais à toi-même. Plus tu dépenses correctement ton argent et plus Allah t’en donnera.

Propos recueillis par Elh. Mahamadou Souleymane