Brève réflexion sur l’institution des programmes budgétaires au Niger 

 

 

Le Conseil des Ministres de l’UEMOA a un introduit, en 2009, un changement qualitatif dans la gestion des politiques budgétaires et comptables des Etats membres à travers l’adoption « d’un paquet de directives »[1] dites « de deuxième génération ». Il s’agit, pour cette instance communautaire, d’engager une dynamique de modernisation sans précédent de la gestion publique en mettant la performance au cœur de l’action de l’Etat.

L’Etat du Niger a tenté d’intégrer ces nouveaux instruments dans son droit budgétaire et comptable à travers d’une part, la Loi n°2012-09 du 26 mars 2012 portant loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et d’autre part,  les quatre décrets signés le 1er mars 2013 et relatifs au règlement général de la comptabilité publique, à la nomenclature budgétaire de l’Etat, au Plan comptable de l’Etat et au Tableau des opérations financières de l’Etat. Il s’inscrit, ainsi, dans un système largement partagé par de nombreux Etats marqué par le passage du « budget de moyen » orienté vers « la continuité des services publics, la permanence des actions »[2] au « budget de résultat », voire de performances[3]. Ce « corridor » est certainement un passage obligé pour nos Etats dont la gestion est caractérisée par une certaine “pagaille financière“ et une absence de lisibilité de nombre de politiques publiques sectorielles.

Aussi, dans un contexte marqué par la rareté des ressources publiques, la nécessité d’explorer de nouvelles pistes permettant d’améliorer les méthodes de gestion des finances publiques, s’impose-t-elle à tous les Etats soucieux du bien-être de leurs populations.

Cette brève réflexion vise à saisir les aspects novateurs de la réforme tirés des directives de l’UEMOA, notamment la directive n° 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Lois de finances au sein de l’UEMOA transposée au Niger par la Loi organique n° 2012-09 du 26 mars 2012 relative aux lois de finances.

L’adoption de cette loi a pour conséquence immédiate « un changement de comportement dans l’élaboration des demandes de crédits. Ainsi, tout crédit demandé doit concourir à la poursuite d’un objectif donné dans le cadre d’un programme. Sa formulation sur une période triennale permet d’avoir une vision plus claire entre les objectifs poursuivis et les moyens mis en œuvre pour les atteindre »[4].

Cette réforme, fruit d’un bilan dressé par l’UEMOA, vient ainsi mettre un point tout particulier sur la gestion budgétaire au Niger. L’article 12 de la LOLF de 2012 dispose, en effet, que « les crédits ouverts par les lois de finances sont affectés à une institution constitutionnelle ou à un ministère. Ils sont spécialisés par programme et par dotation ». Cette répartition des crédits budgétaires est une nouveauté par rapport à la répartition en vigueur sous l’empire de la loi n° 2003-11 du 1er avril 2003, portant loi organique relative aux lois de finances qui dispose en substance que les crédits ouverts par les lois de finances sont affectés à un service ou à un ensemble de services. Ils sont spécialisés par chapitre, groupant les dépenses selon leur nature ou leur destination.

Pour le Professeur A. Dioukhané, « le nouveau budget par programmes fondé sur le triptyque objectifs, résultats, et évaluation, rompt radicalement avec le système de moyens »[5]. Les crédits budgétaires, c’est-à-dire, l’autorisation de dépenser un certain montant pour un certain objet pendant un certain temps pour paraphraser Gaston Jèze, sont regroupés sur des programmes ministériels et non plus sur des chapitres. De ce fait, « Le programme est devenu la nouvelle méthode de présentation et de vote des crédits et devient, par la même occasion, l’enveloppe de spécialisation des crédits »[6]. Ainsi, le programme se présente comme l’unité de spécialisation de droit commun des crédits budgétaires. Il est défini comme un regroupement de crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions représentatif d’une politique publique clairement définie dans une perspective de moyen terme et qui relèvent d’un seul ministère[7].

Ce choix de spécialisation se veut porteur de développement et d’efficacité dans la répartition des crédits à travers les politiques publiques clairement définies.

« La politique publique est ainsi le concept essentiel qui permet de formuler le programme. Elle est un ensemble d’actions conduites par les institutions et les administrations publiques, ou par le biais de financements publics, afin de faire évoluer une situation donnée. La politique publique poursuit ainsi un but précis, ou objectif, qui constitue sa véritable justification. La détermination de l’objectif est, dans cette approche, le préalable à la définition du programme ».[8]

Le droit budgétaire nigérien s’inscrit dès lors dans une dynamique constructive et porteuse d’avenir quant à ses finalités contemporaines.

Il est important de souligner que tous les crédits budgétaires ne sont pas répartis en programme. En effet, les crédits destinés à couvrir des dépenses spécifiques auxquelles ne peuvent être directement associés des objectifs de politiques publiques ou des critères de performance sont répartis en dotation. Aux termes des dispositions de l’article 15 de la LOLF, font l’objet de dotations :  les crédits destinés aux pouvoirs publics pour chacune des institutions constitutionnelles, les crédits globaux pour des dépenses accidentelles et imprévisibles, les crédits destinés à couvrir les défauts de remboursement ou appels en garantie intervenus sur les comptes d’avances, de prêts, d’avals et de garanties, les dépenses du service de la dette publique.

Partant de l’idée selon laquelle, recourir à un nouveau critère revient à lui reconnaitre la capacité à compenser les imperfections du précèdent et à porter un jugement négatif sur celui-ci, l’on est en droit de s’interroger sur l’apport du programme dans la conception, l’adoption, l’exécution et le contrôle du budget au Niger. En d’autres termes, quelles sont l’ampleur et la pertinence du changement ainsi apporté à notre droit budgétaire par la notion de programme ? Peut-on s’attendre à une certaine efficacité dans la gestion de nos finances publiques ?

Quoi qu’il en soit, l’on peut noter que cette réforme est de nature à garantir la maîtrise de la dépense publique et l’accroissement de son utilité face aux besoins pressants des citoyens. En effet, il apparait clairement que désormais, « l’analyse de l’efficacité des crédits utilisés et des résultats obtenus pour chaque programme sera placée au cœur du débat sur l’allocation des crédits »[9].

La réforme fait, ainsi, entrer le Niger dans une nouvelle ère caractérisée par le passage d’une logique exclusivement juridique centrée sur le respect des textes et des procédures budgétaires, à une logique managériale basée sur l’efficacité, l’efficience et la qualité des interventions de la puissance publique. Cette logique passe par une véritable mutation des processus de gestion des administrations, d’une culture de moyens et de procédures à une culture d’objectifs et de responsabilité. Il ne s’agit pas d’une simple amélioration de la procédure budgétaire, mais plutôt d’un changement total de perspective. En effet, avant l’avènement de la réforme, « le Gouvernement demandait au Parlement des autorisations de dépenser sans justifier les objectifs de la dépense. Aujourd’hui, le Gouvernement sollicite des autorisations de dépenses sur la base de programmes, c’est-à-dire, de politiques publiques, auxquels sont associés des objectifs et des indicateurs qui permettront, après exécution, d’en mesurer le degré de réalisation »[10]. L’Assemblée nationale ne se prononcera plus uniquement sur les crédits mais également sur les stratégies ministérielles et la finalité de leur autorisation.

C’est pourquoi, nous allons tenter de montrer que le programme budgétaire est désormais la clé de voûte du système budgétaire nigérien (I) avant de mettre l’accent sur les acteurs, chevilles ouvrières du programme, qui constituent l’élément principal d’une approche managériale (II).

  1. Le Programme, la clé de voûte du droit budgétaire nigérien

Un vent nouveau souffle désormais sur l’utilisation des crédits budgétaires au Niger.

A la faveur de la transposition de la Directive n° 06/2009, il est apparu nécessaire d’introduire, en matière budgétaire, la notion de programme. Comme l’a écrit Michel VIRALLY, le recours à l’instrument que constitue le programme devient pratiquement nécessaire dès le moment où une institution éprouve le besoin de planifier son action dans le temps, c’est-à-dire de se fixer des objectifs précis et de déterminer par quels moyens et de quelle façon les atteindre[11]. Lorsqu’on passe d’un mode de budgétisation en lignes, fondé sur des moyens (inputs), à un système budgétaire informé par les résultats (outputs), on parle d’un budget-programme. Dans ce contexte, le budget-programme vise à mettre en avant, non seulement les moyens liés à l’activité des pouvoirs publics, mais également à justifier la répartition des allocations en fonction d’objectifs prédéfinis.

La pratique du budget-programme doit induire à la fois un dispositif de programmation pluriannuelle servant de socle à budgétisation (A) et une nouvelle architecture budgétaire centrée sur les politiques publiques (B)

  1. La programmation pluriannuelle, socle de la budgétisation :

La programmation qui permet de placer le budget dans une perspective pluriannuelle est au cœur du système de gestion tracé par la LOLF de 2012. Cette programmation entendue au double sens de cadrage des programmes de dépenses et planification des actions à moyen terme, devient une tache cruciale encadrée par des documents présentant l’évolution à moyen terme des dotations de la loi de finances et leurs impacts sur l’équilibre général des finances publiques. Visés aux articles 52 et 53 de la LOLF, ces documents s’intègrent dans la formulation de la loi de finances dont ils sont des annexes obligatoires.  Si l’annualité reste le cadre d’exécution des recettes et des dépenses de l’État, la pluri annualité est repensée à travers de nouveaux documents de cadrage qui induisent, pour reprendre l’expression de A.DIOUKHANE, une construction à deux étages avec à la base, le document de programmation budgétaire et économique pluriannuel (DPBEP) et au niveau sectoriel, les documents de programmation pluriannuelle des dépenses (DPPD).

Ainsi, aux termes des dispositions de l’article 52  de la LOLF, le projet de loi de finances de l’année est élaboré par référence à un document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle (DPBEP) lequel couvre une période minimale de trois ans[12]. Ce document doit permettre de situer le projet de loi de finances, dans une perspective pluriannuelle et de préciser, à partir de la programmation budgétaire de l’année n+1, la trajectoire des finances publiques pour les années suivantes (n+2 et n+3). Dans cette fonction de cadrage des finances publiques à moyen terme, le DPBEP s’identifie au Tableau des opérations financières de l’Etat (TOFE) prévisionnel. Le format du TOFE pourra, en effet, servir de référence, sous réserve de certains réajustements de forme, pour en simplifier la lecture afin de prendre en compte les différences de périmètre qui existent entre le DPBEP et le TOFE. Sur la base d’hypothèses économiques précises, le DPBEP évalue le niveau global des recettes attendues de l’Etat, décomposées par grandes catégories d’impôts et de taxes et les dépenses budgétaires réparties par grandes catégories de dépenses. Il présente également l’évolution de l’ensemble des ressources, des charges et de la dette pour chaque catégorie d’organismes publics visés à l’article 55 de la LOLF. Enfin, il fixe les objectifs d’équilibre budgétaire et financier sur le moyen terme, en application des dispositions du Pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité (PCSCS) de l’UEMOA[13].

En tant que support de programmation des finances publiques, le DPBEP doit être cohérent avec le projet de loi de finances : la première année du DPBEP correspond à l’exercice visé par le projet de loi de finances qu’il accompagne. De plus, contrairement aux traditionnels documents de cadrage dépourvus de portée juridique, le DPBEP encadre de manière plus contraignante la gestion budgétaire. En effet, il constitue le point de départ de la procédure budgétaire annuelle. Formellement adopté en Conseil des Ministres, ce document sert de base aux discussions du Débat d’orientation budgétaire (DOB) qui doit se tenir obligatoirement à la fin du second trimestre de l’année[14]. Le débat d’orientation budgétaire est un exercice de transparence budgétaire qui permet au Gouvernement de faire le point sur la situation et les perspectives économiques et de préciser la stratégie des finances publiques.

En application des dispositions de l’article 52 de la LOLF, le Niger a adopté en Conseil des Ministres du 24 mai 2017, le décret portant adoption du Document de Programmation Budgétaire et Economique Pluriannuelle (DPBEP 2018-2020) et la Cartographie des Programmes 2018-2020.

Le deuxième niveau du système de programmation budgétaire pluriannuelle est constitué par les documents de programmation élaborés par Ministère, budget annexe et compte spécial du Trésor. Constituant le support de présentation des crédits par programmes, le DPPD fournit des informations sur les objectifs poursuivis et les indicateurs de performance. A ce titre, il se présente comme un document consolidant les différents projets annuels de performance (PAP) d’un même Ministère.

Les PAP comportent notamment, selon les termes de l’article 46 de la LOLF, une présentation de chacune des actions et de chacun des projets prévus par le programme, des coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats obtenus et attendus pour les années à venir mesurés par des indicateurs de performance. L’article 53 de la LOLF dispose que les DPPD doivent être cohérents avec le document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle visé à l’article 52. Ainsi, les informations contenues, dans les deux documents, doivent être concordants. Ceci impose une actualisation permanente de ces documents jusqu’au moment du dépôt du projet de loi de finances afin de garantir l’homogénéité des informations. Le  DPPD s’adosse à la Lettre de Politique sectorielle (LPS) qui est un document  d’orientation politique analysant la situation du secteur et donnant les perspectives d’évolution de celui-ci tout en précisant les mesures à mettre en œuvre en référence au contexte socio-économique actuel . Le cadrage budgétaire permet de garantir une allocation optimale des ressources dans le cadre des programmes.

  1. Le programme, pierre angulaire d’une nouvelle architecture budgétaire :

Les crédits ouverts par les lois de finances, pour couvrir chacune des charges budgétaires de l’Etat, seront présentés suivant leur destination, c’est à dire, selon l’activité d’intérêt général prise en charge. L’axe des finalités des politiques publiques est jugé plus structurant, en raison des informations qu’il fournit sur les objectifs et les résultats qui devront être associés au budget.

Pour ce faire, la LOLF de 2012 supprime la distinction opérée par la LOLF de 2003 des crédits ouverts par les lois de finances entre les crédits relatifs aux «services votés»[15] et les crédits relatifs aux «mesures nouvelles»[16]. Elle fait du programme, la clé de voûte de l’architecture budgétaire. Au plan conceptuel, le programme peut être défini comme un regroupement de crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions représentatifs d’une politique publique clairement définie dans une perspective de moyen terme et qui relèvent d’un même Ministère. Pour Francis QUEROL, le programme peut être analysé comme la traduction financière d’une intervention ministérielle individualisée dotée de crédits par la loi de finances[17]. Il regroupe des activités ayant des finalités communes, quelles que soient leur nature économique et leur source de financement. L’ensemble des programmes, complété par les dotations, constitue le budget général de l’Etat. Autrement dit, le programme est un ensemble cohérent de ressources et d’actions orientées vers la réalisation d’une politique publique dans une perspective de moyen terme[18].

La politique publique est le concept essentiel permettant de formuler le programme. Celle-ci peut être définie comme un ensemble d’actions conduites, par les institutions publiques ou par le biais de financements publics, afin de faire évoluer une situation donnée. A travers elle, l’Administration transforme des ressources en produits pouvant être des biens ou des services lesquels induisent des résultats socioéconomiques, c’est-à-dire une transformation de l’environnement économique et social. A chaque programme, il doit pouvoir être associé un ou des objectifs de politique publique. Le choix des objectifs doit également prendre en compte le « point de vue » des bénéficiaires de l’action publique. En effet, les objectifs peuvent ne pas être les mêmes selon qu’on se place du point de vue de l’usager du service public, des citoyens en général ou du contribuable assujetti au paiement de l’impôt.

A ce sujet, l’objectif peut être spécifié en fonction du public ciblé par la politique publique c’est-à-dire l’usager, le contribuable ou le citoyen. On peut ainsi distinguer trois dimensions pour la détermination des objectifs :

  • l’efficacité socio-économique ;
  • la qualité du service ;
  • l’efficience de la gestion.

Ces trois axes doivent converger pour former ce que Jean Jacques FRANCOIS a nommé le «triangle magique de la performance»[19] qui permet de concilier les attentes des usagers, des contribuables et des citoyens.

A l’évidence, cette réforme, qui marque le passage d’une nomenclature articulée autour des dépenses publiques (budget de moyens) à une présentation des crédits par programmes (budget de performance), participe à l’approfondissement de la démocratie. Avec elle, le Parlement ne se prononce plus uniquement sur le montant des crédits demandés par l’Exécutif, mais analyse, au cours de la procédure budgétaire, les stratégies ministérielles et les objectifs des politiques publiques[20].

En principe, le périmètre des programmes ne doit pas nécessairement correspondre aux contours des découpages administratifs existants. Comme l’a relevé l’ancien Ministre français, Laurent FABIUS, lors des travaux de mise en œuvre des programmes, dans le cadre de la LOLF du 1er aout 2001, «la création des programmes ne se réduit pas à un problème de nomenclature, elle suppose de satisfaire au préalable à des exigences élevées de structuration de l’information et de l’organisation administrative auxquelles le Parlement doit être associé en amont»[21]. Cela signifie qu’une réflexion approfondie s’impose avant l’élaboration définitive de la maquette des programmes. C’est pourquoi, les autorités de l’UEMOA recommandent une collaboration étroite entre les différents acteurs de la procédure budgétaire en vue de faciliter la conception des programmes.

Il faut préciser qu’en vertu des dispositions de l’article 14 de la LOLF, la structure des programmes doit notamment permettre la désignation d’un responsable de programme et l’exercice effectif de sa fonction de suivi des dépenses, d’établissement d’indicateurs de performance et d’évaluation des résultats.

Les actions ou sous-programmes complètent la segmentation des politiques publiques en programmes afin de rendre parfaitement lisibles les interventions de l’Etat. A ce titre, elles constituent une déclinaison des programmes et permettent d’identifier à leur sein les crédits ayant la même finalité. Mais les crédits des actions sont alloués à titre indicatif, les responsables de programme pouvant les réaffecter[22].

  1. Une approche managériale dans la gestion des programmes

Dans cette partie, nous entendons aborder la gestion du programme sous un angle plus vaste où les acteurs obéissent à des exigences et assument des responsabilités. En effet, la réussite de ce processus budgétaire nécessite une certaine maitrise de tous les éléments qui participent à la nouvelle gouvernance budgétaire.

L’Etat doit se doter d’outils de gestion, de techniques et de méthodes adaptées pour appréhender les multiples enjeux qu’implique impérativement la gestion performante. Il est donc nécessaire de faire le lien entre les impératifs du programme et le renouveau du management public. Cependant, le management dont il s’agit ici est relatif aux exigences, aux qualités, aux atouts que nous devons obligatoirement comprendre ou avoir pour réussir ce passage aux budgets de résultats. Il est question de gestion mais de gestion intelligente qui fait appel à des impératifs que devront maitriser l’administration et les agents, acteurs de la surveillance multilatérale afin que le changement de véhicule parvienne à entrainer un changement de cargaison pour reprendre une idée chère à Jean Pierre Camby.

Pour ce faire, il urge de responsabiliser les différents intervenants du programme et de procéder à un nécessaire réajustement de l’administration (A) avant de faire accompagner ce processus par un dispositif approprié de contrôle (B).

  1. Une responsabilisation des intervenants

Le programme peut être analysé comme la traduction financière d’une intervention ministérielle individualisée dotée de crédits par la loi de finances[23]. Etant ministérielle, la gestion du programme incombe en premier lieu au responsable de la structure ministérielle.

Rappelons que selon les dispositions de l’article 68 de la LOLF, le Ministre des Finances n’est plus l’ordonnateur principal et unique des crédits budgétaires. Il partage cette prérogative avec ses autres collègues ministres qui, avant la réforme étaient des simples administrateurs des crédits. Quant aux responsables de niveau inférieur et en particulier les directeurs régionaux, ils n’avaient guère de moyens à leur disposition. C’est pourquoi, dans le cadre de cette réflexion, nous allons tenter de montrer qu’il y a désormais une responsabilisation par échelle (1) qui implique plusieurs acteurs dans le maillon de la chaine, mais il faut souligner que l’efficacité de cette mesure nécessite une approche moderne de l’administration (2).

  1. Une responsabilisation par échelle

Parler de responsabilisation revient à identifier les personnes concernées. Dans la réforme il y’a autant d’acteurs que de mesures nouvelles suscitées. Nous allons cependant concentrer notre réflexion autour de deux acteurs, cordon singulier et intervenant privilégié. Il s’agit des ministres dépensiers et des responsables de programmes.

Concernant la première échelle de responsabilité, il faut noter que désormais, les ministres et les présidents des institutions constitutionnelles deviennent ordonnateurs principaux des crédits des programmes et des budgets annexes de leurs ministères ou de leurs institutions.

Jusque-là administrateurs des crédits, les ministres deviennent des éléments incontournables de la nouvelle gestion car dotés des pouvoirs leur permettant d’utiliser des actions regroupées en programmes dans le cadre de leurs politiques publiques. Etant ainsi à la tête de la première estrade du vote des crédits avant leur ventilation, les ministres jouent un rôle capital dans leur gestion. De ce fait, chaque ministère devra préciser ses missions, fixer des objectifs à atteindre pour satisfaire un besoin. Il devra recenser et évaluer toutes alternatives (stratégies et moyens utilisés actuellement, solutions envisageables), choisir et organiser les moyens en vue d’atteindre l’objectif.

C’est à lui que revient la tâche de « budgétiser, c’est à dire, évaluer les coûts de chaque programme et allouer les ressources pour l’exécution de la tranche annuelle, définir les indicateurs pour mesurer les performances afin de rendre compte au peuple, en publiant les objectifs du gouvernement et les indicateurs de performance qui les accompagnent.[24]

En cours d’exécution de la loi de finances, des modifications peuvent s’imposer dans la répartition des crédits budgétaires entre programmes. A l’intérieur d’un même programme, les crédits sont redéployables sur décision de l’ordonnateur. Les crédits sont « fongibles » : leur affectation, dans le cadre d’un programme n’est pas prédéterminée de manière rigide mais simplement prévisionnelle, dans le respect de certaines limites.

Le principe de fongibilité donne aux gestionnaires une autonomie accrue pour la mise en œuvre des programmes dont ils ont la charge qui va de pair avec leurs nouvelles responsabilités en matière de performance[25].

Etant à la tête du ministère, cette responsabilité incombe au ministre dépensier d’abord qui, par des mécanismes étudiés, doit s’atteler à faire cette nouvelle répartition. C’est ainsi que l’article 22 de la LOLF prévoit les transferts et les virements de crédits comme alternatives à cette épreuve. Les transferts de crédits modifient la répartition des crédits budgétaires entre programmes de ministères distincts alors que les virements de crédits modifient la répartition des crédits budgétaires entre programmes d’un même ministère.

A l’intérieur d’un même programme, les ordonnateurs peuvent, en cours d’exécution, modifier la nature des crédits dans le respect de la fongibilité asymétrique.

Cependant, cette liberté, cette souplesse est conditionnée car le montant annuel cumulé des virements et transferts affectant un programme ne peut dépasser 10 % des crédits votés de ce programme, sauf nécessité impérieuse.

Cet ordonnateur principal peut aussi, dans le cadre de ses nouvelles fonctions de coordonnateur des programmes, déléguer, d’une part sa signature à des collaborateurs chargés de l’exécution de certaines dépenses centrales, d’autre part ,ses compétences à des ordonnateurs secondaires, parmi lesquels figureront tout particulièrement les responsables de programme.

Cette concession de l’ordonnancement implique évidemment une surveillance du ministre en personne qui a un droit de regard malgré la souplesse dont bénéficie le responsable de programme dans l’utilisation des crédits.

Les ministres sont donc d’une importance capitale dans l’utilisation des crédits. C’est pourquoi, l’article 74 infine de la LOLF dispose que l’Assemblée nationale « peut entendre les ministres ». Ces derniers, dans leurs ministères respectifs, doivent insuffler la dynamique qui rythme la gestion des programmes qu’ils confient à des responsables de programmes.

A propos de la deuxième échelle de responsabilité, notons que la stratégie de chaque programme et les objectifs qui en découlent sont définis sous le joug du ministre dépensier, en association avec chaque responsable de programme.

Le responsable de programme est la clef de voûte de la chaine de gestion. Il est « le maillon essentiel de la mise en œuvre des politiques publiques, en ce qu’il constitue le relais entre l’autorité politique (ministre dépensier) et les agents chargés de la mise en œuvre sur le terrain »[26]. Autrement dit, il est à la charnière de ces deux niveaux de responsabilité. Il concourt à l’élaboration des choix stratégiques, sous l’autorité du ministre compétent et il est responsable de leur mise en œuvre opérationnelle.

Il participe à l’élaboration des objectifs stratégiques du programme dont il a la charge. Il est responsable de sa mise en œuvre opérationnelle et s’engage sur la réalisation des objectifs associés. Il ventile les crédits entre les actions du programme et les acteurs qui participent à sa mise en œuvre.

Selon l’article 14 de la LOLF, il est nommé par ou sur proposition du ministre sectoriel dont il relève. Il détermine les objectifs spécifiques, affecte les moyens et contrôle les résultats des services chargés de la mise en œuvre du programme. Il s’assure du respect des dispositifs de contrôle interne et de contrôle de gestion. Il est ordonnateur délégué des crédits de son programme lorsque ce pouvoir lui a été conféré par le ministre et précisé dans l’acte de nomination.

Le responsable de programme a trois missions principales :

D’abord, il a diverses fonctions dans la phase d’élaboration de la stratégie et du budget du programme. Sachant que nous sommes dans le cadre d’une nomination par une autorité ministérielle, le responsable de programme s’engage sur les résultats de son programme dont les orientations, les choix d’activité et budgétaires ont été dictés par lui. C’est lui qui doit souffler la cadence, le rythme dans la trajectoire à emprunter. Pour cela, il fixe les objectifs et les résultats attendus, il assure la programmation de l’activité et procède à la répartition des crédits qui lui ont été alloués. Ce travail se fait de concert avec les responsables des affaires financières (DAF) et des ressources humaines ou du personnel (DRH) du ministère.

Pour Boubacar Demba Ba[27], la question que l’on peut se poser ici est relative aux rapports entre le responsable de programme et ses responsables de fonctions-supports tels que le DAF et DRH. Et suivant sa logique, le responsable de programme, assumant seul tous les résultats du programme en vertu du principe d’imputabilité, doit avoir une large autonomie dans la gestion des crédits et du personnel. Par conséquent, citant les deux parlementaires français Lambert et Migaud, nous disons avec eux que ces deux agents du ministère (DAF et DRH) assument alors un « rôle d’expertise, d’évaluation et de conseil, devenant de véritable prestataires de service » pour le responsable de programme qui a en charge la répartition des crédits et des emplois.

Ensuite, le responsable de programme a une mission de pilotage dans la phase d’exécution du programme. Pour ce faire, un document méthodologique sur le pilotage opérationnel des programmes est diffusé et dans lequel sont déclinés les objectifs stratégiques du programme en objectifs opérationnels.

Le responsable de programme organise et conduit le dialogue de gestion nécessaire à l’élaboration de son budget et au suivi de la performance. La Direction du Budget en France indique que ce responsable « détermine le niveau pertinent de déconcentration du programme, en répartissant les moyens entre chacune des entités opérationnelles chargées de mettre en œuvre tout ou partie du programme et approuve les budgets opérationnels de programme ; il pilote les services et opérateurs chargés d’exécuter la politique »[28]. Il est chargé de la mise en œuvre du programme et du projet annuel de performance. « Il gère les crédits et les emplois conformément aux objectifs présentés et aux résultats recherchés et de façon compatible, dans la durée, avec les objectifs de maîtrise de la dépense publique ».[29]

Enfin, le responsable de programme doit faire le compte-rendu et assumer ses responsabilités. Pour cela, il assure et encourage la transparence, par une information et une explication sur les coûts, sur les objectifs et sur les résultats du programme. Il est garant de l’exécution du programme conformément aux objectifs fixés par le ministre et dans le cadre d’organisation défini. Il met en place un contrôle de gestion et un audit interne, le cas échéant, avec le soutien des fonctions transversales du ministère. Il prépare pour ce qui le concerne les rapports annuels de performances.

Le responsable de programme utilise la souplesse de gestion résultant de son budget global pour piloter la gestion de l’administration conformément aux objectifs retenus.

En vertu du principe d’imputabilité, le responsable de programme est seul responsable des crédits et des acteurs qui lui permettent d’honorer son « contrat » avec le ministre de tutelle.

Il est donc normal que les « cocontractants » soient au courant de toutes les exigences et s’engagent à les respecter.

Pour une efficacité, voire, une effectivité de la transition entre le budget de moyen et celui de résultat, l’Etat du Niger devra moderniser son administration.

  1. Une nécessaire modernisation de l’Administration

          L’exécution de programmes exige des structures administratives mieux adaptées à la nouvelle logique de mise en œuvre de l’action de l’Etat[30].C’est pourquoi, la formation des membres de l’administration doit être une préoccupation permanente.

 Une bonne réforme se juge par rapport à son effectivité. Et puisque le passage au budget de résultat est une entreprise collective, il faudrait que les structures administratives à tous les niveaux soient suffisamment mises au courant de cette nouvelle manière de gérer, de dépenser et rendre des comptes.

Le budget-programme introduit une approche horizontale de gestion qui appelle une concertation entre les acteurs. C’est pourquoi, il est indispensable de repenser l’administration publique nigérienne pour instaurer le culte du dynamisme compétitif en son sein.

A propos de la réadaptation de l’Administration publique, il faut dire que le risque d’échec est énorme si l’on plaque la nouvelle gestion sur l’administration avec ses vieux réflexes budgétivores ; une administration dans laquelle « le bon ministre est celui qui réussit à négocier un gros budget pour son ministère sans qu’on tienne compte des activités et des objectifs du ministère »[31]. C’est la raison pour laquelle nous pensons que l’administration publique doit réformer sa culture, ses modes de fonctionnement et ses méthodes de travail.

L’efficacité dans l’action publique réside dans la capacité des acteurs intervenant à chaque niveau de la chaîne de gestion et de décisions, à s’approprier les exigences liées à leurs rôles et responsabilités ainsi que les réflexes à acquérir pour l’objectivité et la célérité dans la mise en œuvre de cette action[32]

 Si au préalable, les fonctionnaires de l’Etat ne maitrisent pas les impératifs dans la phase de constitution ou de production des politiques publiques, ils risquent de prioriser tout. Or, le changement introduit par la réforme consiste en une sélection rigoureuse des priorités pour chaque étape. C’est sur cette base que l’on pourra indiquer les choix des gouvernants pour chaque année.

Le nouveau droit budgétaire nigérien fait appel à une autre approche de l’administration qui rompt avec les vielles pratiques où la consommation forcenée de crédits était de mise au détriment de la qualité. Le programme nécessite une ingéniosité et un savoir-faire qui font des acteurs de véritables gestionnaires à la recherche de la performance.

Conscient que « l’administration est le point cardinal de toutes les politiques de développement. Celui duquel partent toutes les dynamiques et celui vers lequel évidemment elles aboutissent » elle doit donc s’adapter pour être une Administration de développement, afin de mieux assumer son rôle de locomotive, vecteur de compétitivité et de performance ». Cette recherche de la performance passe par une administration de qualité capable de porter les innovations majeures comme la souplesse des procédures et l’orientation qu’il faut donner aux actions unités de programmes. C’est cette culture d’un genre nouveau qui fera de notre administration un élément dynamique et compétitif.

Au sujet du culte d’un dynamisme compétitif, il est important de faire comprendre à l’administration que le programme se définit par son objectif et non par les moyens ou les institutions qui contribuent à son effectivité.

La pertinence des éléments administratifs permettra d’atteindre des résultats satisfaisants. L’efficacité, voire, l’efficience du programme est la clef de succès pour obtenir un impact fort des politiques publiques. Il faut rechercher une cohérence logique des objectifs des programmes ministériels par rapport à la finalité des politiques publiques dont ils constituent le carburant. C’est pour cela que l’expérience des Etats qui ont compris depuis longtemps le sens à donner à leur gouvernance est importante.

L’administration doit rompre avec la culture des résultats immédiats. Aujourd’hui la pluri annualité est une réponse à cette pratique classique qui n’a cessé de plomber nos finances publiques.

Le culte d’une dynamique compétitive passe par le choix des moyens adaptés et la sensibilisation des parties prenantes qui doivent être suffisamment consultées ou impliquées dès la conception des programmes et dans toutes les phases de la procédure budgétaire. La complexité des opérations et les incessantes demandes des citoyens impliquent une nouvelle manière d’aborder les questions et d’y apporter les solutions idoines.

L’administration est une structure qui doit faire face à des défis permanents et ponctuels. « La bonne marche de l’ensemble dépend de sa capacité à mobiliser rapidement les ressources nécessaires aux défis à relever »[33]. L’esprit qui doit prévaloir est celui d’un compétiteur qui se veut efficace et performant. Le responsable de programme est un élément essentiel de cette gestion. Il signe un contrat de performance, rend compte et c’est le résultat de sa gestion qui doit déterminer la suite à donner à sa carrière. Pour éviter une longue et difficile acclimatation de ses organes, oh combien important, de nouveaux paradigmes institutionnels, budgétaires et financières ainsi que l’information et la formation doivent être faites en harmonie avec les impératifs du programme. Le changement doit se sentir et l’administration devra être celle du résultat mais un résultat à la dimension de l’engouement voire de l’espérance placée dans le programme, comme nouvel outil de gestion et de performance.

 Le Niger doit épouser cette manière de faire s’il veut réussir cette réforme. Une chose est de prôner un changement, mais une autre est de se donner les moyens nécessaires pour sa réussite. L’organisation et la méthode qu’appelle le programme sont autant importantes que le programme en soi. Nous gagnerons à formater l’esprit de l’administration, champion de la consommation des crédits, en la transformant en une administration de résultats.

Le programme offre cette possibilité car sa réussite dépend de sa réception et de sa compréhension par les acteurs, membres de l’administration.

Le programme, objet de notre étude, porte un effort, une envie de changement qui naturellement devra faire appel à une diversité de contrôles.

  1. Le maintien de la diversité de contrôles du programme

Pour apprécier le résultat d’un effort quel qu’il soit, il faut nécessairement évaluer les moyens utilisés pour sa mise en œuvre. Ces moyens à la fois humains et financiers s’apprécient par rapport à leur efficacité, leur efficience voire leur économie.

La gestion par le résultat appelle une nouvelle méthode, une nouvelle façon de contrôler l’action des gestionnaires de crédits budgétaires. Il faut alors mettre en place une thérapie limitant les envies des gestionnaires, offertes par la souplesse, pour éviter les abus.

Si « le mode ancien consiste à contrôler les dépenses poste par poste pour parvenir au contrôle du total, le mode nouveau consiste à contrôler le total et à laisser aux ministères ou aux unités opérationnelles la responsabilité des postes ».[34] Ce mode est celui de la budgétisation par programme, opposé à la budgétisation par nature de dépense.

Avant de revenir sur le contrôle du programme et ses acteurs, mettons l’accent sur ce que l’on appelle le contrôle de gestion. Ce dernier est un « système de pilotage mis en œuvre par le responsable d’une unité ou d’un programme en vue d’améliorer le rapport entre les moyens engagés, l’activité développée et les résultats obtenus.»[35]. Il s’agit donc d’un outil d’aide à la prise de décision qui évalue l’efficience et l’efficacité de la mise en œuvre.

Beaucoup d’acteurs participent au contrôle de l’exécution de la loi de finances en général et du programme en particulier.

Nous pouvons tenter de regrouper ses interventions en contrôles interne et de gestion du programme (1) et en contrôles externes (2).

  1. Le contrôle interne

Le responsable de programme, élément fondamental de la réforme, est soumis à un contrôle qualifié de souple mais non moins contraignant à la lecture des procédures usitées.

La LOLF n’insiste pas sur le contrôle d’où le recours au décret portant règlement général de la comptabilité publique en ses articles 88 et suivants qui traitent, notamment des attributions des contrôleurs financiers[36].

Il s’agit d’un corps de contrôle qui relève du Ministère des Finances et placé auprès des ordonnateurs.  Les contrôleurs financiers exercent des contrôles a priori et a posteriori sur les opérations budgétaires de l’Etat.

A priori, le contrôle porte sur tous les actes portant engagement de dépenses publiques, notamment les marchés publics, contrats, arrêtés, mesures ou décisions émanant d’un ordonnateur. Tous ces actes sont soumis au visa préalable du contrôleur financier. Ils sont examinés au regard de l’imputation de la dépense, de la disponibilité des crédits, de l’application des dispositions d’ordre financier, de leur conformité avec les autorisations parlementaires et surtout des conséquences que les mesures proposées peuvent avoir sur les finances publiques. Ce dernier contrôle qui frise l’appréciation de l’opportunité de la dépense met le contrôleur financier dans une posture à la fois stratégique et embarrassante dans l’exécution de la dépense publique.

A posteriori, il est chargé d’évaluer les résultats et les performances des programmes, au regard des objectifs fixés, des moyens utilisés et de l’organisation des services des ordonnateurs[37].

Le responsable de programme, subordonné de son ordonnateur principal en l’occurrence le ministre de tutelle, se voit donc contrôler dans toutes les phases de sa gestion par son supérieur mais surtout par le contrôleur financier qui devient son compagnon obligatoire dans le processus budgétaire. Ainsi, le programme, ensemble d’actions, est méticuleusement conduit sous le regard avisé de ce représentant du ministre chargé des finances.

La gestion est certes souple mais exige une certaine rigueur dont le contrôleur financier insuffle le rythme. Le passage au budget de résultat implique donc une obligation de résultat au niveau de chaque étape dans le processus de consommation ou d’utilisation des crédits.

Le contrôleur financier donne obligatoirement son visa à tout mandat de paiement avant sa présentation à la signature de l’Ordonnateur.

Les ordonnances ou mandats de paiement et les délégations de crédits non revêtus du visa du contrôleur financier ou de son délégué sont « nuls et de nul effet ». Son importance dans la nouvelle gestion est encore visible lorsqu’il s’assure que les ordonnances et les mandats se rapportent à un engagement de dépenses qu’il a déjà visé. Ici, le responsable de crédit se voit dans l’obligation d’apporter la preuve de l’authenticité des dépenses qu’il engage. Sans cette preuve, le programme sera difficilement justifié. Il a donc un rôle fondamental dans le choix du responsable de programme car il peut refuser son visa en amont comme en aval. Son métier est si vaste qu’il a même un droit de regard sur le rythme de consommation des crédits conformément au plafond d’engagement du programme. En outre, dans l’exercice de ses missions de contrôle, le Contrôleur financier dispose des pouvoirs d’enquête appropriés. A ce titre, il peut demander la communication de toutes pièces propres à justifier les engagements de dépenses et à étayer sa décision.

A côté du ce contrôle, nous avons un contrôle externe du programme.

  1. Le contrôle externe

L’extériorité du contrôle qui est effectué sur le programme peut être l’œuvre du Parlement ou de la Cour des Comptes.

A propos du contrôle parlementaire, il faut rappeler que le programme est devenu l’unité de vote et de spécialisation des crédits budgétaires. Or, le vote du projet de loi de finances est un pouvoir exclusif du parlement et le crédit est en soi une autorisation de dépenser accordée lui aussi par le parlement. Le programme devient alors un objet important qui doit attirer l’attention des parlementaires. En tous les cas, l’information des parlementaires et leur implication dans le processus budgétaire sont des axes majeurs de la réforme du droit des finances publiques. Pourtant, la représentation nationale semble dessaisie du pouvoir dans la gestion des programmes[38] car, comme rappelé, la ventilation des crédits ministériels est une compétence exclusive du pouvoir réglementaire.

Mais, les parlementaires doivent être conscients de l’importance de leur mission de contrôle de l’action du Gouvernement, destinateur exclusif des deniers publics[39]. « La fonction de contrôle est par conséquent une fonction cruciale dans le processus de mise en place de la budgétisation par programme. Le périmètre du contrôle doit ainsi être défini pour en clarifier l’objectif et l’organisation »[40].

Avec la fonction d’évaluation des politiques publiques reconnue aux parlementaires, le programme ne pourrait échapper à leur contrôle.

La loi de règlement, qui est la loi de constatation de la dernière loi de finances exécutée, est accompagnée d’annexes comme les rapports annuels de performance[41] des administrations et l’état de réalisation de tous les projets d’investissement public par administration.

Le rapport trimestriel d’exécution que le Gouvernement doit transmettre au Parlement, à titre d’information sur les rapports d’exécution du budget et l’application du texte de la loi de finances montre le rôle indirect que le parlement joue dans la gestion des programmes budgétaires.

Les ministres, qui sont les supérieurs hiérarchiques des responsables de programme, en rendent compte aux députés et font dès lors un étalage de la gestion des programmes crées au sein de leur structure. Les députés sont informés de l’état de la mise en œuvre de la loi de finances et des modifications opérées en cours de gestion.

Il est ajouté à l’article 74 de la LOLF que « Sans préjudice des pouvoirs généraux de contrôle de l’Assemblée nationale, la Commission des finances et du budget veille au cours de la gestion annuelle, à la bonne exécution des lois de finances ». Cette disposition consacre un élargissement des pouvoirs de contrôle de l’Assemblée nationale au cours de l’exécution de la loi des finances. Celle-ci, par sa Commission des finances, est désormais destinataire, de façon automatique, d’informations relatives à la gestion infra-annuelle et à l’exécution de la loi de finances alors que sous l’emprise de l’ancienne gestion, ces informations ne pouvaient être transmises que sur demande des parlementaires[42].

Ces informations relatives à l’exécution prennent la forme d’un rapport trimestriel qui présente l’exécution du budget et la mise en œuvre de la loi de finances.

L’Assemblée nationale a également la possibilité de conduire des investigations sur place et d’auditionner des ministres. Sur cette base, elle pourra demander des informations sur la formulation et la conduite des programmes ainsi que les axes prioritaires poursuivis.

Le Gouvernement est aujourd’hui tenu d’expliquer et de justifier l’utilisation de l’intégralité des crédits qu’il sollicite. Chaque franc utilisé doit être détaillé à travers une analyse du coût des politiques publiques[43].

L’efficacité du contrôle parlementaire aura alors forcément un impact fort sur la réussite des programmes ministériels. La disponibilité de l’information financière étant érigée en règle, les parlementaires doivent avoir tous les renseignements ayant trait aux crédits et à leur utilisation. A ce titre, ils constituent « le gendarme des deniers publics qui sont alloués aux administrations publiques sous forme de dotations budgétaires pour la mise en œuvre des programmes »[44]. Cela permet également à la représentation nationale, dans ses nouvelles fonctions, de surveiller scrupuleusement les ministres et leurs agents chargés de la destinée des programmes.

Enfin, nous constatons avec Sylvie TROSA que le programme est une évolution de toute première importance. « Ce qui distingue l’administration de programmes de l’administration traditionnelle, c’est qu’elle est une administration de projets, dont la pérennité n’est pas acquise par sa seule existence mais par l’évaluation de ses résultats »[45].

Cette tâche incombe en grande partie à l’Assemblée nationale qui doit avoir les ressources nécessaires, aussi bien humaines que financières. Surtout que « le parlementaire, détenteur du pouvoir législatif, est l’œil, l’oreille et la voix du peuple dont il est le représentant ». Pour Jean Louis Debré « la réforme ne s’arrête pas au périmètre de l’action de l’Etat. Elle interpelle et implique aussi directement le parlement dans ses pratiques et dans ses habitudes. Avec un rôle revalorisé, des pouvoirs de contrôle de la dépense publique et d’évaluation des politiques publiques ».[46]

Le contrôle de la Cour des comptes et sur lequel nous reviendrons plus tard s’inscrit dans la même logique.

Conclusion

A la veille de l’entrée en vigueur effective de la LOLF en France, J. L. Debré soulignait que « La définition des missions et des programmes et le choix des indicateurs de performance ne mettront pas un point final à la réforme. Sa réussite dépendra surtout de la compréhension et de l’appropriation par l’administration et par la fonction publique de la réforme et de ses enjeux »[47]. Elle nécessite également une certaine stabilité gouvernementale et une administration publique mue par les seules considérations d’intérêt général.

La LOLF appelée aussi la constitution financière mérite une attention particulière de la part des décideurs et de tous les citoyens. L’introduction des instruments budgétaires et comptables autour de la notion centrale de programme est une étape d’un long processus qui atteindra sa maturation dans les années à venir. L’implication et la responsabilisation des acteurs du programme aidera à rendre plus opérationnelle la gestion même aux niveaux les plus bas de la chaine.

Les acteurs « doivent être dûment formés et dotés de moyens adéquats pour assumer leur responsabilité financière ; un système exigeant en matière de tenue des comptes, d’établissement de rapports et d’audit devrait renforcer le principe de la responsabilité »[48].

 

ISSOUFOU ADAMOU

Docteur en droit Public

Enseignant-chercheur FSJP/UCAD/Dakar

[email protected] /[email protected]

[1] L’on s’intéressera dans le cadre de cette réflexion à la directive n°06/2009/CM/UEMOA relative aux lois de finances.

[2] N. MEDE, Finances publiques, Espace UEMOA/UMOA, CREDILA/L’HARMATTAN 2016, p. 136

[3] RAZAFINDRAVONONA (Jean), Comment passer de la gestion des finances publiques axée sur les moyens à la gestion budgétaire axée sur la performance ?, AFCOP, Nairobi du 23 au 25 mai 2011.

[4] Sandrine Mesplé-Somps, Réforme budgétaire et gestion par les objectifs dans les pays à faible revenu : BURKINA FASO ET MALI, DIAL, UR CIPRÉ de l’IRD,. 10

[5] DIOUKHANE (A), Les Finances Publiques dans l’UEMOA. Le Budget du Sénégal, Paris, éd. L’Harmattan, 2015, p. 39.

[6] GUEYE (Thiamba), L’incidence de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) sur les finances publiques de ses Etats membres, Thèse, 2011, p. 103.

[7] Sur le problème de définition du programme budgétaire ainsi que les cinq angles de sa définition, voir, Nicaise MEDE, op. cit, pp. 148-151

[8]Guide didactique de la directive N° 06/2009/CM/UEMOA DU 26 Juin 2009 portant lois de finances au sein de l’UEMOA p. 13.

[9] La nouvelle « Constitution financière » est fondée sur le principe d’une budgétisation non plus par nature de dépenses, mais orientée vers les résultats à partir d’objectifs définis selon le Professeur Vandendriessche dans son cours. On peut également citer Philip LOIC, « Droit constitutionnel financier et fiscal. La nouvelle loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances », Revue française de droit constitutionnel, 1/2002 (n°49), pp. 199-212.

[10] Malthis, GESTION ET FINANCES PUBLIQUES EN AFRIQUE FRANCOPHONE, version 2012.

[11] M. Virally, « La notion de programme. Un instrument de la coopération technique multilatérale », AFDI, 1968, pp. 533.

[12] Art.52 LOLF

[13] Art.52 LOLF

[14] Art.57 LOLF.

[15] Les services votés représentent le minimum de dotations que le gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par l’assemblée nationale.

[16] On peut définir les mesures nouvelles comme les dépenses dont le principe n’avait pas été retenu dans la précédente loi de finance. Pour les dépenses de personnel, les mesures nouvelles s’entendent de la création de nouveaux postes budgétaires. Pour l’évaluation du montant des mesures nouvelles, celui-ci s’obtient en déduisant du montant total des recettes arrêté, le montant des services votés. La fourchette ainsi obtenue constitue la marge de manœuvre du Gouvernement pour financer les dépenses qui traduisent ses choix politiques.

[17] F. Querol, Finances publiques, Ellipses, 2e éd, 2009, p.26.

[18] Art. 12 al.3, directive n°06 portant lois de finances au sein de l’UEMOA.

[19] J.-J. François, Des services publics performants, c’est possible !, Paris, First, 2004, p.123.

[20] Commission de l’UEMOA, Guide didactique Directive n°06/2009/CM/UEMOA portant lois de finances au sein de l’UEMOA., p.31.

[21] Intervention devant la commission spéciale de l’Assemblée nationale française chargée d’examiner la proposition de loi organique relative aux lois de finances, 9 janvier 2001.

[22] Cela signifie qu’au moment de l’approbation du budget, la répartition des crédits entre les différentes actions n’est pas établie de manière rigide. Par contre, cette répartition en action est reprise de façon précise dans les documents d’exécution (rapports annuels de performance).Ainsi, la répartition, indicative au moment de la prévision, est définie avec précision pour le contrôle ex-post. In fine, elle fera l’objet d’une restitution précise dans les RAP une fois le budget exécuté. Le rôle moteur du programme ne doit pas occulter l’examen des autres modalités de présentation du budget.

[23] QUEROL( F), op.cit.p. 27.

[24] Sandrine Mesplé-Somps, op.cit., p. 7.

[25] Guide didactique de la directive N° 06/2009/CM/UEMOA, op.cit., page 116.

[26] Ba Boubacar Demba, Finances Publiques et Gestion par La Performance dans les Pays Membres de l’UEMOA, Etude du cas du Sénégal, L’Harmattan 2015 p. 168.

[27] Ibid, p.  170.

[28]http://www.performance-publique.budget.gouv.fr/cadre-gestion-publique/gestion-budgetaire/responsables-programme-responsables-budgets-operationnels-programme-acteurs-terrain-nouvelle-gestion-publique#.WDLucfnJzIU

[29] Guide didactique de la directive n° 06/2009/CM/UEMOA,  p. 14.

[30] SASSO (Pagnou), « les nouvelles directives de l’UEMOA sur les finances publiques et la gestion publique financières dans les Etats membres de l’UEMOA »,RFFP,  01 Novembre 2015, N° 132, p. 323.

[31] N. MEDE, op. cit, p. 136

[32] Guide d’exécution des finances publiques du Bénin (NOVEMBRE 2014) MEFPD p. 3.

[33] BERLAND (Nicols), Mesurer et piloter la performance, e-book management, 2009 p. 10.

[34] Malthis, op.cit., p. 15.

[35] Guide didactique de la directive N° 06/2009/CM/UEMOA, op.cit., p. 140.

[36] Nous avons arbitrairement choisi de n’insister que sur les contrôleurs financiers.

[37] Article 91 du décret RGCP 2013.

[38]  L’art. 59 de la LOLF dispose que : « l’Assemblée nationale ne peut proposer ni la création ni la suppression d’un programme… » .

[39] MONKAM soutient à cet effet que « Le parlement joue un rôle central dans la modernisation de l’administration publique par l’introduction de la budgétisation axée sur les résultats et la performance. Il est appelé à exercer un contrôle à priori et un contrôle à postériori. Ce rôle doit avoir un fondement institutionnel pour donner une coudée franche aux parlementaires. La contribution du Parlement à l’instauration de la gouvernance économique est tout aussi importante que celle de la gouvernance démocratique »

[40] MONKAM (M.J), Examen de budget par l’approche axée sur la performance et les résultats, Conférence parlementaire panafricaine sur le renforcement des capacités, Rabat, 21 mai 2013 p. 10.

[41] Les rapports annuels de performance constituent les instruments clefs pour apprécier la qualité de l’action publique. Annexés au projet de loi de règlement, ils permettent d’évaluer l’atteinte des objectifs initialement fixés dans les projets annuels de performance.

[42] Art. 73, Directive n°05/97/CM/UEMOA.

[43] Guide didactique de la directive N° 06/2009/CM/UEMOA, op.cit., p 11

[44] MONKAM (M.J), op.cit., p. 11.

[45] TROSA (S), op.cit., p. 19.

[46] DEBRE (Jean louis), « dossier spécial : La LOLF à 1 an des échéances : quel chemin reste-t-il à parcourir ? » RFFP N° 88 Novembre 2004, p. 110.

[47] Debré (Jean louis), op. cit., p. 110.

[48]www.europarl.europa.eu/experts/pdf/chap4fr « cadre du contrôle »