Invité : Dr. Saidou Abdoul Karim, Enseignant-chercheur en Science politique à l’Université Ouaga 2

 « Si l’opposition boycotte le CNDP, qu’est-ce qui reste comme alternative si ce n’est la rue ? Et la rue est source de crise,  dans un contexte où les attentes des Nigériens sont ailleurs que dans les conflits politiques ».

 

Saidou Abdoul karim est natif de Maradi au Niger où il a fait ses études primaires et secondaires. Ensuite, il a fait des études supérieures à Ahmadu Bello University du Nigeria où il a obtenu en 2005 une maitrise en Science politique, puis à l’Université Ouaga 2 du Burkina où il a obtenu un DEA en Science politique en 2009, puis le Doctorat en 2014. Il a soutenu sa thèse sur la gestion post conflit au Niger, notamment sur le processus de réinsertion des ex-rebelles touaregs et toubous.  Depuis 2015, il est Enseignant-chercheur à l’Université Ouaga 2 au Burkina. Mais, il faut rappeler qu’en 2009, il a travaillé comme chargé de programme à l’Institut pour la Gouvernance et le Développement (IGD), institut dans lequel il  coordonne le Program for Young politcians in Africa (PYPA).

MUTATIONS : Présentez-nous le PYPA, ses objectifs, ses missions ?

Saidou Abdoul Karim : Le PYPA est un programme de renforcement des capacités des jeunes militant dans les partis politiques que nous mettons en œuvre depuis 2012. Nous avons commencé par le Niger, le Burkina Faso, le Bénin et le Mali, et depuis 2016, il est élargi à la Cote d’Ivoire, au Togo et au Sénégal. Au Niger, nous avons formé trois promotions qui sont organisées aujourd’hui dans le cadre du réseau jeunesse et politique. Ils sont issus des partis de tous les bords. Le premier coordonnateur était Mory Rafan Camara du Parti Moden FA Lumana Africa, et l’actuel coordonnateur est Dr Rachid Awal Issa du RDP-Jama’a. Ce réseau est un modèle de dialogue entre les jeunes de différents partis et doit être soutenu par les leaders politiques.

Parlons du Niger à présent, où depuis plusieurs mois l’opposition politique réunie au sein du Front pour la restauration et la défense de la démocratie et la République (FRDDR), boycotte systématiquement les réunions du Conseil national de dialogue politique. Comment expliquer cette politique de la chaise vide qu’observe l’opposition politique lorsqu’on sait que le CNDP est une émanation de l’ensemble de la classe politique nigérienne?

Je pense que ce boycott de l’opposition est un indicateur de la polarisation croissante du système politique nigérien. Lorsque des partis boycottent le CNDP, cela veut dire que la tension politique est grave et qu’elle peut dégénérer en crise ouverte. C’est un paradoxe, puisque la stabilité des institutions républicaines contraste avec l’instabilité de l’arène politique. J’observe que la restauration de la démocratie depuis l’échec du projet Tazarthé du régime Tandja a permis de revenir à la normalité constitutionnelle, mais sur le terrain politique, depuis la rupture entre le PNDS et le Lumana, le climat politique est devenu très tendu.

Le CNDP est pourtant un instrument de dialogue politique inédit dans la sous-région. Il est vraiment utile dans la construction démocratique puisque c’est là où la classe politique s’accorde sur les règles du jeu politique. Si vous regardez les textes de la CEDEAO et de l’Union Africaine, ils mettent l’accent sur le consensus et le dialogue sur les règles du jeu démocratique. Je pense aussi que le dialogue fait partie de notre sociologie politique traditionnelle, c’est que nous appelons en haoussa « chawara » ou la palabre qui est un outil de recherche du consensus et de la paix sociale. C’est donc pour cela qu’il semble important de réhabiliter le CNDP. Si l’opposition boycotte le CNDP, qu’est-ce qui reste comme alternative si ce n’est la rue ? Et la rue est source de crise,  dans un contexte où les attentes des Nigériens sont ailleurs que dans les conflits politiques.

Je pense qu’il est nécessaire pour bien aborder les élections générales prochaines d’engager une médiation nationale pour amener les deux parties au dialogue. Au Burkina en 2014, il  y a une médiation auto-saisie menée par l’ancien président Jean Baptiste Ouédraogo. Pourquoi au Niger, un groupe de médiateurs composé de personnalités morales ne pourrait pas s’auto-saisir et engager une médiation ? Je pense qu’il existe au Niger des personnalités morales crédibles et respectées qui pourraient engager une telle médiation. Il ne faut pas attendre que la crise dégénère et qu’on soit obligés d’accepter des médiations internationales. Pour moi, cette médiation doit écouter les deux parties, et comprendre pourquoi il y a le blocage, et ensuite proposer des alternatives. Si le pouvoir et l’opposition se réclament du peuple, ils devraient parvenir à s’accorder et transcender les intérêts partisans.

Le FRDDR déclare conditionner sa participation aux réunions du CNDP à la création « d’un cadre  inclusif chargé de faire l’état des lieux de la démocratie en présence des témoins neutres et crédibles (nigériens comme étrangers et qui remettra les conclusions de ses travaux à un dispositif de suivi garantissant leur mise en œuvre effective ».  Quelle analyse vous inspire un tel argument ?

Je pense que cette proposition s’inscrit dans ce que je disais tantôt à propos de la médiation nationale. Pourquoi pas ? Je suis d’accord que les Nigériens puissent se parler sur l’avenir du pays. Mais je préfère que ce processus soit national. Cela dit, il faudra à l’avenir éviter de multiplier les cadres de dialogue, le CNDP est lui-même un cadre de dialogue et normalement il devrait servir à réduire les tensions. Mais si pour le faire fonctionner, on a encore besoin d’un autre cadre, je me demande quel sera son avenir. Bref, je suis pour une médiation nationale, mais vraiment à titre exceptionnel, pour relancer le dialogue politique.

Certains observateurs de la scène politique nigérienne pensent que cette exigence n’est qu’une mascarade qui ne vise  qu’à donner une tribune à cette opposition dont l’objectif principal sera de demander que l’on torde le cou à notre justice et notre constitution pour le seul avantage d’un homme aujourd’hui en exil, en l’occurrence Hama  Amadou, président du Moden FA Lumana Africa et candidat malheureux à la présidentielle de 2016. Qu’en pensez-vous ?

On parle de dialogue politique, et aucun sujet ne doit pas être tabou. Quoi qu’on dise, l’affaire Hama Amadou a un double statut : elle est judiciaire et politique à la fois. Pour comprendre son statut politique, il suffit de se poser cette question : est-ce que si Hama Amadou était resté allié au PNDS, l’affaire des bébés allait prospérer en justice ? Je pense que  non. Je pose une autre question : est-ce qu’il n’existe pas dans l’élite au pouvoir des personnes susceptibles d’être poursuivies pour telle ou telle infraction et qui ne sont pas inquiétées ?

Je pense que oui. La justice est dite indépendante dans les pays africains, mais on sait que l’exécutif continue de jouer un rôle important dans son fonctionnement. La justice est perçue comme un instrument de règlement de compte politique, et c’est cela que combattent les syndicats de magistrats je crois. Vous avez les mêmes problèmes au Burkina avec les affaires Djibril Bassolé et Diendéré, ou au Sénégal avec l’affaire Karim Wade et l’affaire du maire de Dakar Kalifa Sall. Ce n’est pas honnête de dire que l’affaire Hama Amadou est exclusivement une affaire judiciaire. Cela dit, pour moi il ne faut pas exclure de la discussion aucun sujet si l’on veut aller à l’apaisement. Je pense que tous les partis qui boycottent le CNDP soit des instruments de Hama Amadou. Et au-delà de Hama Amadou, il s’agit de discuter des affaires du pays. La question qui est posée est de savoir si nos hommes politiques sont prêts à s’élever à la dignité d’hommes d’Etat et cesser d’être de simples politiciens.

La politique, c’est quoi ? C’est une mise en concurrence des idées politiques. Ce qu’on attend des politiciens lors des élections, c’est qu’ils mettent sur la place leurs idées et que le peuple choisisse les meilleurs. Mais chez nous, les élections sont souvent des moments de conflits, d’attaques personnelles, de manipulations ethno-régionalistes, etc. Il faut une rupture fondamentale dans notre démocratie, et les partis politiques sont des acteurs clés de cette rupture.

Sinon comment comprendre cet entêtement de l’opposition qui est allé jusqu’à bouder la mise en place des membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ? Quelles conséquences pour le refus de l’opposition de siéger à la CENI ?

Ce que le Niger risque, c’est un contentieux électoral aux élections prochaines. J’observe qu’il y a un déficit de confiance entre les deux camps. En attendant de résorber cette crise, je ne suis pas sûr que l’opposition sorte gagnante de cette politique de la chaise vide. Les expériences en la matière en Afrique ne sont pas très concluantes. Souvenez-vous, lorsque l’opposition sénégalaise avait boycotté les législatives et avait permis au président Wade de diriger de manière unilatérale. Le boycott peut porter lorsque l’opposition dispose d’une capacité de mobilisation lui permettant de créer un rapport de force en sa faveur, y compris en mobilisant des soutiens extérieurs. La question est de savoir si l’opposition nigérienne est capable de créer ce rapport de force. J’en doute fort. Et je pense qu’elle sera perdante car le pouvoir en place organisera et gagnera les élections, et aura le soutien de la communauté internationale. Le Niger n’est pas dans une situation d’illégalité qui pourrait amener la communauté internationale à rejeter les élections. La place du président Issoufou dans la géopolitique régionale est aujourd’hui si déterminante qu’aucun pays occidental ne soutiendra l’opposition. Vous savez, la bataille diplomatique est une variable dans la lutte politique nationale, et sur ce terrain-là, le pouvoir en place dispose d’une grande avance. Pour éviter un tel pourrissement de la situation, j’insiste sur l’idée d’engager une médiation nationale, car en réalité, personne ne sortira vainqueur d’une élection boycottée par l’opposition. A mon humble avis, il faut rapidement lancer une médiation nationale pour éviter d’aller à des élections dans un climat de crise.

Parlons sécurité à présent avec les attaques récurrentes de terroristes qui frappent aussi bien au Niger, au Mali…Ce, malgré la mise en place du G5 Sahel et l’engagement des partenaires du Nord à mettre la main à la poche pour aider nos Etats à endiguer le phénomène. Que faut-il au G5 Sahel pour arriver réellement à bout du terrorisme au Sahel ?

Je suis sceptique sur le G5 Sahel. Je pense que le G5 Sahel n’est qu’un instrument de la France pour maintenir son hégémonie sur nos pays. Il faut parler du G6 Sahel plutôt que du G5 Sahel, puisque la France est le principal décideur. Sinon comment expliquer que la CEDEAO et l’Union africaine soient écartés de ce projet de forte multinationale ? Le seul argument que l’on brandit contre la CEDEAO, c’est de dire que les autres pays tels que le Ghana ne se sentent pas concernés par la crise du Sahel, alors si c’est comme cela, je me demande ce que font nos pays à la CEDEAO. Si le Ghana ou le Sénégal attendent d’être attaqués pour se joindre à la lutte anti-terroriste, cela veut dire qu’il n’y a plus de solidarité. Un autre argument qu’on brandit est de dire que la CEDEAO n’a pas les moyens, or, on a vu quand on voulait chasser Yaya Jammeh comment le Sénégal et le Nigéria ont mobilisé leurs arsenaux militaires en quelques jours seulement ! Ce qui me fait dire que c’est une question de volonté et non de moyens. Je pense que ces arguments ne sont pas valables. S’il y a une force à mettre en place, elle doit être sous l’égide soit de la CEDEAO, soit de l’UA. Si c’est sous l’égide de la France, elle n’ira nulle part. Vous pensez que les Français vont envoyer leurs enfants mourir au Sahel parce qu’ils nous aiment ? Non ! Sortons de cette illusion !

Le Niger, le Mali et le Burkina sont membres de la CEDEAO et cette organisation dispose d’une architecture de sécurité. Le problème de fond est que la France ne peut pas contrôler tous les pays de la CEDEAO, dont le Nigéria et le Ghana. Le G5 Sahel n’est pas une option viable, c’est une aventure sans lendemain, car si une organisation doit dépendre de l’extérieur pour son fonctionnement, elle reste un instrument des puissances qui la financent. Vous savez, moi je suis profondément attaché au modèle du développement endogène que défendait Thomas Sankara. Sankara disait que « l’aide que nous voulons, c’est l’aide qui aide à nous passer de l’aide ». Or, l’aide de la France sert à nous maintenir dans la servitude et la dépendance. On attend le président Macron à Ouaga en novembre et c’est ce message que nous allons lui délivrer. Ce message c’est quoi ? C’est que l’Afrique ne veut plus être un département français. Elle veut sa propre monnaie, son armée, ses politiques économiques, etc.

Propos recueillis par Gorel Harouna (Mutations)