Maman Sidikou, le patron de la MONUSCO sortant parle de la situation de la RDC…

Le diplomate nigérien Maman Sidikou arrivé en fin mandat depuis le 30 janvier 2018 vient d’être remplacé par l’Algérienne Leila Zerrougui à la tête de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO). Dans l’entretien qui suit, il brosse l’état des lieux de la situation de la RDC.

Niger Inter : Vous êtes à la fin de votre mandat à la MONUSCO. Quel sentiment vous anime sur la situation actuelle de la République démocratique du Congo ?

Maman Sambo Sidikou : La situation en République démocratique du Congo est extrêmement préoccupante comme nous l’avons encore constaté peu de temps avant mon départ du pays avec les deux manifestations pacifiques des chrétiens empêchées par la police et l’armée dans une violence totalement disproportionnée et inadmissible. C’est l’occasion ici de présenter une nouvelle fois mes sincères condoléances aux familles endeuillées par ces actes criminels. Ma sympathie va aussi à l’Église catholique et à l’ensemble des croyants touchés par ces morts et par la profanation des églises qui a été constatée un peu partout dans la capitale durant les dimanches tragiques du 31 décembre 2017 et du 21 janvier 2018. Ce grand pays qu’est la RDC est à la croisée des chemins, fort de son énorme potentiel multiforme, lieu de convergences ou d’expressions de divergences entre plusieurs intérêts locaux, régionaux et internationaux.

Nous avons ainsi à la tête de la MONUSCO œuvré avant tout pour « éviter le pire au pays », comme, par exemple, un retour aux terribles conflits de la précédente décennie. Nous avons aussi redoublé d’efforts pour permettre de parvenir à une issue heureuse au processus devant offrir à ce pays une première alternance démocratique à sa tête dans les délais les plus brefs possibles.

Tout ce que nous menions comme actions et prenions comme initiatives ne pouvait être médiatisé. Je ne suis pas un partisan de l’exposition médiatique à outrance, qui est d’ailleurs souvent improductive ou pouvant s’apparenter à une quête de popularité personnelle. Dans cette période éminemment sensible, j’ai davantage privilégié l’action dans la discrétion.

Je dois dire ici que je suis particulièrement fier de mes équipes tant civiles que militaires, nous avons encore vu récemment comment nos équipes se sont mobilisées pour tenter de limiter les abus, allant jusqu’à s’interposer parfois entre les forces de l’ordre déchainées et la population manifestant pacifiquement devant les églises.  Malgré l’énorme travail qui reste à faire par l’ONU dans ce pays et le défi que constitue cette année 2018, je pars de la République Démocratique du Congo avec le sentiment du travail accompli, surtout en considérant que j’ai été quasi-constamment en mode de « gestion de crise ».

Niger Inter : Dans votre intervention au Conseil de Sécurité de l’ONU en octobre dernier vous disiez que ‘’Dans ce contexte d’incertitude politique, la situation sécuritaire s’est davantage détériorée dans plusieurs régions de la République démocratique du Congo’’. Avec le dernier développement de la situation dans ce pays, ne craignez-vous pas que la RDC bascule dans l’anarchie ?

Maman Sambo Sidikou : La situation est très délicate voire dangereuse à plusieurs égards. Toutes les institutions démocratiques du pays sont hors mandat avec une légitimité par défaut. Seule la tenue des élections permettra le retour à la légitimité issue du pouvoir souverain exprimé à travers les urnes.

C’est dire qu’un tel contexte peut laisser entrevoir les pires scenarios. Cependant, je reste relativement optimiste car je sais qu’il existe au sein de l’élite politique, socioéconomique et spirituelle congolaise, des hommes et des femmes ayant le sens des responsabilités, je dirais même le sens de l’histoire. J’espère vivement que ces personnes sauront préserver l’essentiel dans l’intérêt de la RDC et de son peuple mais aussi de toute l’Afrique.

Niger Inter : Dans la même intervention au Conseil de sécurité vous avez souligné la nécessité d’une réelle implication des organisations africaines et régionales en appui aux efforts de la MONUSCO. Si la crise persiste en RDC, n’est-ce pas aussi parce qu’il y a un manque de fermeté au niveau africain face au régime de Kabila qui a perdu toute légitimité ?

 

Maman Sambo Sidikou : Je pense en effet qu’il faut une meilleure synergie d’actions entre les différents acteurs internationaux impliqués dans la résolution de la crise congolaise actuelle. Tant aux niveaux régional, continental qu’international, il faudrait plus de cohérence, plus de pression, plus d’implication pour espérer obtenir des résultats à la hauteur des enjeux.

Une République démocratique du Congo totalement instable, c’est le cœur de l’Afrique qui sombrera dans le chaos avec des effets collatéraux multiples et terribles sur une bonne partie de notre continent…

Cet avertissement, que nous avons rappelé à plusieurs reprises à nos différents interlocuteurs et autres instances régionales et continentales, reste d’actualité et le sera avec une acuité encore plus grande durant les prochains mois.

Je crois que de plus en plus de responsables dans la sous-région et au niveau continental ont pris la pleine mesure du danger qui guette notre continent si nous n’agissons pas davantage pour accompagner la RDC vers l’aboutissement heureux du processus en cours devant mener le pays vers des élections démocratiques à brève échéance.

Niger Inter : Face à l’impasse dans laquelle se plonge de plus en plus la RDC, quel est votre message à l’endroit de tous les acteurs dans ce pays ?

Maman Sambo Sidikou : Comme je l’ai dit précédemment, le sens des responsabilités, le sens de l’histoire. L’Afrique, le monde, regardent la RDC avec appréhension mais aussi espoir car ce grand et beau pays représente tant pour le progrès possible de toute l’Afrique. Le peuple congolais a trop souffert et les dernières violences face à des manifestants pacifiques, dans des lieux de culte de surcroît, sont inexplicables, inexcusables et choquent toute conscience humaine.

Mon message est donc simple et avec émotion je dis : soyez au rendez-vous de l’histoire chers frères et sœurs de la RDC et offrez au monde le meilleur du génie congolais pour résoudre la crise qui persiste et travailler pour plus de stabilité notamment en organisant des élections démocratiques dans les plus brefs délais.

Niger Inter : En tant que diplomate quelle réflexion vous inspire la situation de la RDC notamment par rapport au processus électoral en Afrique ?

 

Maman Sambo Sidikou : Les élections ne sont pas tout. Il faut œuvrer à l’enracinement de la culture démocratique à tous les niveaux, notamment au Congo au niveau des forces de sécurité. Le processus démocratique doit se faire selon un consensus propre à chaque peuple, à chaque pays.

Les valeurs universelles des droits de l’homme, de démocratie et d’un état de droit sont incontournables et elles sont sources de progrès pour l’individu et toute société humaine. Cependant, leur pratique doit s’adapter à chaque contexte. C’est essentiel si l’on ne veut pas avoir des greffes qui ne tiennent pas et, finalement, des caricatures de démocratie qui ne font pas progresser nos pays… Bien au contraire souvent et malheureusement ! La RDC s’en sortira, il y aura probablement encore des épreuves difficiles mais, je reste optimiste, un éternel afro-optimiste, maintenant un peu « congolais-optimiste » aussi…

Réalisée par Elh. M. Souleymane