Photo Gustave Deglilahe

DJELIBA BADJE : UN MONUMENT VIVANT DE L’ORALITE S’ETEINT

Le Lundi 24Avril, au moment où les Nigériens célèbrent la fête de la Concorde ponctuée par des activités socioculturelles autour du cousinage à plaisanterie, un des plus grands monuments de la mémoire s’éteint à l’âge de 77 ans.

Dernier grand griot généalogiste Zarma- songhay, Djibo Badjé connu sous le pseudonyme de Djéliba tire sa révérence après 70 ans de carrière. Né en 1941 à Liboré Tonko- bangou au bord du Fleuve Niger, c’est à sept ans qu’il entre à l’école de griots de son père Badjé Banya. Il poursuivit ses études en traditions orales et en musique au Mali auprès d’autres grands griots et devient un maitre incontournable de l’art et de la pédagogie de la retransmission du patrimoine immatériel.

 Au Niger même, il est surtout connu pour les légendes célébrant les hauts faits guerriers des cultures mandingue et peulh dont l’emblématique « Gorba Dicko » et la reine de la beauté « Lombo Django ». Griot respecté et adoré par toutes les couches de la société, il est considéré comme un érudit au savoir immense dans plusieurs domaines dont l’histoire et la culture  zarma-songhay. Griot généalogiste, il connaît l’histoire des grandes familles ayant marqué la vie socioculturelle et politique de l’Ouest Nigérien. Virtuose du molo, un instrument à trois cordes, qu’il manie avec dextérité pour accompagner ses récits, Djéliba Badjé est aussi reconnu pour sa générosité en matière du partage du savoir. En effet, il a consacré l’essentiel de sa vie à recevoir des étudiants, des chercheurs des quatre coins du monde, ce qui lui a permis de tisser de relations dans les milieux universitaires d’Afrique, d’Europe et d’Amérique. Sandra Bornand du CRNS, spécialiste du monde zarma –songhay lui a consacré plusieurs études dont une thèse, « Le discours du griot généalogiste chez les zarma du Niger.», (Lausanne, 2005)  faisant autorité dans le domaine de la littérature orale. Djéliba parcourait aussi le monde entier pour enseigner son art dans des universités : Lausanne en Suisse,   Nouvelle Californie aux USA… Il était constamment invité aux colloques internationaux sur l’oralité. Djéliba a joué un rôle de premier plan dans la vie associative au Niger en tant que premier président de l’Association des griots du Niger. Il laisse un répertoire à la prospérité très riche composé de récits esthétiquement beau, d’une portée culturelle et philosophique évidente. Les plus connus des récits qu’il aime raconter selon les contextes sont :

–           Gorba Dikko,

–           Fatimata Bidaani,

–           Boubou Ardo Galo,

–           Sambo Soga,

–           Oumaru Foutiou,

–           Awli Jawanndo,

–           Amadou Toudou,

–           Soumayla Gakoy,

–           Bawdi,

–           Lobbo Django. Ect.

Cette œuvre a suscité un intérêt particulier dans le monde de la recherche. En effet, il  était jusqu’à sa mort une source d’informations sûres dans laquelle se ressourçaient les griots ; qu’exploitaient des chercheurs venus des quatre coins du monde. Il est encore trop tôt de donner un nombre exact des travaux scientifiques, les interviews sur des grandes chaines de radio comme RFI, Radio et télévision Suisse Romande ;  les films documentaires consacrés à l’œuvre de Djéliba Badjé dans le monde à ce jour compte tenu de leur nombre et les lieux de réalisation. Si les chercheurs et les média ont pu immortaliser cette œuvre monumentale par l’écrit, le son et l’image, concernant  sa succession, le pire est là.  Sa place ne sera comblée car parmi la trentaine de ses progénitures, ses frères et cousin aucun n’a fait le choix de suivre les traces de l’illustre disparu pour des raisons difficiles à justifier. En effet un seul joue du molo. Espérons qu’il prendra le trône de djassaré dounka !

Par cette disparition, le Niger, l’Afrique et l’humanité toute entière viennent de perdre un des derniers griots traditionnels portant l’histoire ancienne et moderne dans sa bouche.

Saley Boubé Bali