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Décryptage/Les Partis politiques au Niger : entre jeu d’alliances et obstruction à la bonne gouvernance

Le Niger compte une centaine de partis politiques, 107 selon une source. C’est un truisme de dire que les partis politiques au Niger constituent une partie du problème de la mal gouvernance du pays. Les alliances au pouvoir se servent allègrement au détriment du peuple. Il suffit que les ‘’intérêts politiques’’ d’un parti membre d’une alliance soient écornés pour que celui-ci tente de provoquer une crise politique dans le pays. Cet article passe au peigne fin les mauvaises pratiques des partis politiques au Niger.

1989, le Mur de Berlin, symbole de la Guerre Froide, tombait sous les coups de burins des populations allemandes. Le Rideau de Fer qui divisait le monde en Deux Blocs sombra avec lui, provoquant des secousses qui ébranlèrent plus d’un pays. Une à une, les dictatures, aussi féroces soient-elles, tombèrent. Prennent leur place, des régimes respectueux des libertés et des droits humains.

N’étant pas laissées en reste, les populations nigériennes, à travers les syndicats des travailleurs et des scolaires, battirent aussi le pavé.

Le 9 février 1989, au cours d’une ultime manifestation, 3 élèves et étudiants tombèrent sous les balles des forces de l’ordre. Le choc fut grand au sein d’une population réputée être pacifique. Désemparé, le pouvoir en place, dirigé par le Général Ali Seybou, ouvrit le dialogue avec ce qui, à l’époque, était appelé le CCLD ou Comité de Coordination des Luttes Démocratiques.

Et, au Niger, la démocratie fut.

En effet, le Général Ali Seybou, Président de la République du Niger, élu à la tête du pays sous la bannière du MNSD ou Mouvement National pour la Société de Développement, parti unique de l’époque, autorisa un multipartisme intégral aux nigériens en plus d’une Conférence Nationale Souveraine dont l’objectif avoué est de refonder la gouvernance du pays.

Face au choix de régime sous l’empire duquel le Niger sera gouverné, les forces vives d’alors optèrent pour un régime semi-présidentiel. En ceci, ce fut une Alliance des Forces du Changement (AFC), composée de quatre partis politiques, qui porta au pouvoir Mahamane Ousmane en 1993.

Laouali Aboubacar, actuellement acteur de la société civile nigérienne et Secrétaire Général d’Ovul ou Observatoire de la Vulnérabilité, est aussi acteur et témoin de l’histoire démocratique au Niger témoigne : « Dès les premières heures de la démocratie pluraliste, le Niger a choisi le multipartisme intégral. Et qui dit multipartisme intégral, dit création de nombreux partis politiques sans aucune contrainte. Et, au lendemain de la Conférence Nationale, une dizaine de partis politiques existaient déjà et prirent en main la gestion de la Transition Politique à la tête de laquelle se trouvait le Premier Ministre Cheffou Amadou. Aujourd’hui, en rapport avec le régime semi-présidentiel pour lequel les nigériens ont toujours opté depuis cette date,  nous sommes à plus de cent partis politiques pour une population de moins de 20 millions d’habitants. Ce qui laisse transparaître qu’au Niger, la conquête du pouvoir ne peut se réaliser que sur la base d’une alliance. »

Mais, un tel choix, aussi démocratique soit-il, n’est pas sans contraintes. C’est ce que relève Laouali Aboubacar. «La pléthore de partis politiques pose de vrais problèmes de gouvernance. Une fois qu’un homme politique accède au pouvoir, apparaissent des problèmes de partage des postes avec les partis qui l’ont soutenu. Le Niger devient, alors, un gâteau à partager. Ce qui fait qu’on perd de vue la question de l’efficacité. On ne place plus l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, mais, le choix se fait en termes de représentativité d’un parti quelque soit la médiocrité des hommes qui l’animent. »

De ce qui précède,  au Niger, l’intérêt général est-il l’idéal pour lequel les partis politiques se mettent en compétition pour accéder au pouvoir ? Sirajo Issa, Président Fondateur du Mouvement des Jeunes pour l’Emergence du Niger (MOJEN), est Coordonnateur de l’Ong Urgence Panafricaniste fondée par Kémi Seba, de l’Ong Foundi Fa’aba et du Front de la société Civile Panafricaine qui regroupe un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest souligne : « Aujourd’hui, nous constatons qu’il y a de nombreux partis politiques qui se résument à quelques paperasses contenues dans un sac à main, des partis politiques sans siège, des partis politiques claniques, des partis politiques plus ou moins ethniques et des partis politiques régionalistes. Ce qui est contraire à la Constitution. La majeure partie de ces partis politiques sont sans idéologie. Personne ne sait s’ils sont de Gauche, de Droite ou du Centre. Vu sous cet angle, le seul principe qui guide ces partis quant aux alliances qu’ils contractent, c’est la quête des postes qui leur donnent accès aux biens publics. »

En outre, dans un rapport publié avant les élections de 2016, la Cour des Comptes annonçait qu’aucun parti politique au Niger ne répond aux critères qui le définissent comme tel. Ce qui signifie, « la majorité des politiques ne respecte pas la Constitution et la Charte des Partis Politiques. Le Ministère de l’Intérieur doit veiller au respect des clauses contenues dans la Charte par les partis politiques », proteste Sirajo Sirajo.

D’ailleurs, « la majeure partie des problèmes que nous avons au Niger tournent autour de l’application des textes. La loi est impersonnelle, dit-on. Généralement,  au cours de l’élaboration des textes, ceux-ci sont taillés en faveur d’un bord politique, ou contre tel ou tel parti ou homme politique. Ce qui crée des protestations voire même des crises politiques. Cependant, l’entente est toute cordiale entre les hommes politiques quand il s’agit de leurs intérêts. Des intérêts qu’ils sauvegardent souvent au détriment du peuple et du pays en tant que tel », continue-t-il.

Face à ce jeu trouble des partis politiques, comment ces derniers peuvent-ils servir de réponse aux aspirations du peuple qu’ils appellent à la rescousse en cas de compétitions électorales ? A tous les coups, le peuple, au nom de qui se commettent tous les abus, reste le parent pauvre de la démocratie. En son nom, à trois reprises la démocratie fut remise en cause suite à des putschs militaires. Et, c’est à la faveur des crises politiques, orchestrées en son nom par des partis et les hommes qui les dirigent, qu’à trois reprises le Niger connut des reculades qui le plongèrent un peu plus en arrière de tous les pays du monde.

D’où, dans les annales de l’histoire politique du Niger de la période démocratique, on cite les noms du Général Ibrahim Baré Mainassara, du Commandant Daouda Mallam Wanké et du Général Salou Djibo.

Cela est, à n’en point douter, une conséquence des dérives des partis politiques au Niger. En effet, par un jeu d’alliance, des partis politiques mettent en difficulté des régimes démocratiques et font appellent au peuple pour instaurer la chienlit. La longue tradition de coups d’état aidant, accompagné d’un imaginaire ancré au sein des partis et hommes politiques nigériens que la conquête du pouvoir ne peut valablement s’opérer sans une transition militaire, le terrain est vite balisé à une junte militaire.

Une junte militaire qui, après coup, organise des élections chaque fois après une gestion scabreuse des deniers publics. C’est du moins ce que pense Ali Harouna, courtier en assurances : « Nous sommes, aujourd’hui, à la 7ème République. La 4ème,  la 5ème et la 7ème elle-même, sont toutes nées à la faveur d’un coup d’état. Et toutes les trois ont plombé l’espoir d’un procès en accordant une amnistie aux auteurs, co-auteurs et complices des coups d’état qui ont favorisé leur avènement. N’est-ce pas là, la preuve que les militaires étaient en intelligence avec le ou les partis qui accédèrent au pouvoir juste après eux ? »

Par ailleurs, Mahamadou Garba, Professeur de Mathématiques, de physique et de Chimie au Collège Mariama à Niamey, souligne : « tous les partis politiques sont les mêmes. Arrivés au pouvoir, ils oublient les peuples qui les ont élus. » Zeinabou, sa sœur, une dame à l’allure de paysanne est assise à côté. Sans nous jeter le moindre regard, elle se précipite de dire : « Dans nos villages, les politiciens promettent des routes, des puits, des forages et de écoles. De nombreuses années passent, mais rien de ce qu’ils promettent ne voit le jour. Mensonge ! Mensonge ! » Après une chape de silence, Mahamadou Garba, visiblement écœuré, se remet à parler : « En prenant goût au plaisir que confère l’accès aux ressources publiques, ils oublient qu’ils sont de passage et pensent pouvoir instaurer une oligarchie. Le peuple ne peut pas accepter cela ! En résumé, tous les troubles qui apparaissent au Niger, naissent suite à une mauvaise gouvernance des ressources publiques et de déficit de démocratie. » Mais, après un sourire tout à fait franc, il redresse quelque peu ses propos : « En tout état de cause, une fois qu’un parti ou groupement de partis politiques parvient au pouvoir, l’opposition politique s’organise autant qu’elle peut pour poser des actes de nuisance à ceux qui dirigent afin que la gouvernance devienne chaotique. Un tel comportement est, à mes yeux contre productif, parce que les populations souffrent du manque de ressources à elles promise pendant les campagnes électorales par les politiciens et le pays peine à se relever. » C’est ce qu’explique Modibo Sako, chef d’entreprise, propriétaire du Mango, un restaurant au quartier Yantala de Niamey sur la route de Tillabéry où se croisent expatriés et grandes personnalités de la place, en ces termes : « les partis et hommes politiques nigériens n’ont aucun égard vis-à vis du peuple qui souffre. Les actions de développement sont le dernier de leur souci. L’opposition, à coup de manifestations et de déclarations les unes plus incendiaires que les autres, essaie d’empêcher le régime en place de gouverner. Le régime en place, quant à lui, a toutes les difficultés pour mettre en œuvre son programme face à de nombreux sabotages. Tous ses efforts pour le développement du pays sont presque anéantis par la recherche de solutions aux problèmes sociopolitiques créés de toute pièce. Des problèmes sociopolitiques créés de toute pièce pour qu’il y ait un semblant de crise qui donnera peut-être raison à un quelconque groupe de militaires pour prendre le pouvoir. C’est ça l’esprit, je vous jure ! »  Face à cet état de faits, comment sortir le Niger de la place peut enviable qu’il occupe ? Modibo Sako pense avoir trouvé la solution : « Il faut revoir le mode de création des partis politiques et mener de vrais enquêtes de moralité sur nos hommes politiques avant de prononcer leur éligibilité ou nomination à tous les postes politiques. Ce qui se fait actuellement comporte beaucoup de favoritisme. Chose qui est à l’origine de tous les dérapages que nous constatons dans la gouvernance du pays. Le peuple, ignorant qu’il est, se laisse emporter par les verbiages des leaders politiques. Et, grâce à la protection des militants de leurs formations politiques, lesdits leaders commettent tous les abus. De là, le peuple se fait complice du sous développement et de la dernière place qu’occupe le pays sur l’échiquier économique international. Chose dont, à tort, il se plaint chaque jour. »

Autre piste qu’empruntent les formations politiques et qui remet en cause le développement et la paix sociale de notre pays est la menace de la cohabitation. Les nigérien gardent en mémoire, non sans amertume, la cohabitation née de l’éclatement de l’AFC. En effet, de cette cohabitation, est née une crise politique ténébreuse qui conduisit le pays sous les bottes des militaires qui renversèrent le Président Mahamane Ousmane. Face à la menace d’une  cohabitation porteuse de menaces sur la quiétude du pays, des alliances en tout genre voient le jour.

Et c’est au régime en place de maintenir la cohésion au sein de cette alliance et faire en sorte que celle-ci soit assez solide avec toutes les acrobaties que cela requiert.

Ali Harouna, le courtier en assurance pense que « le régime actuel a le mieux compris que, pour gouverner au Niger, souvent, il faut une méthode particulière comportant des solutions à l’attitude toute particulière des hommes politiques qui sont tout aussi particuliers : la main tendue en permanence aux députés des formations politiques adverses et la porte ouverte aux partis qui naissent de la division de celles-ci afin d’avoir toujours la majorité de son côté. » Cette compréhension d’Ali Harouna sur la vie politique actuelle au Niger peut être considérée consécutive à l’analyse suivante de Mahamadou Garba, le Professeur du Collège Mariama : « Les partis politiques sont souvent victimes de leurs propres contradictions. Il est malheureux de constater que nombreux sont les partis qui ne tirent leur existence au nom d’une conviction réelle. Ils souffrent, en même temps, de manque de leadership. La preuve, lorsque le Président Issoufou proposa de mettre en place un gouvernement d’union nationale, et que leurs leaders prirent sur eux la lourde responsabilité de refuser sa main tendue à cet effet sans consulter leur base, mal leur en a pris, car cela fut le point de départ de la scission de ces partis. »  

 Bassirou Baki  (Le Républicain N° 2176 du jeudi 23 Mai 2018)