La Presse au Niger : La foison de titres rime-t-elle avec la qualité ?

Le 3 mai de chaque année est dédiée  3 mai de chaque année est dédiéà la Journée mondiale de la liberté de la presse par l’Assemblée générale des Nations Unies depuis 1993, suivant la recommandation adoptée lors de la vingt-sixième session de la Conférence générale de l’UNESCO en 1991. Ce fut également une réponse à l’appel de journalistes africains qui, en 1991, ont proclamé la Déclaration de Windhoek sur le pluralisme et l’indépendance des médias. A cette occasion, notre reporter a recueilli des opinions des citoyens sur la presse écrite et audiovisuelle au Niger. Issus de plusieurs milieux et corps de métiers, ils ont dit ce qu’ils pensent des médias nigériens. Un feedback assez critique.

 A la faveur de la chute du Mur de Berlin en 1989, le vent de la démocratie a soufflé au Niger tout comme dans de nombreux autres pays d’Afrique, d’Europe, d’Asie et d’Amérique latine. Cette chute a, aussi, mis fin à la Guerre Froide quoique celle-ci a vite ressurgit sur les champs de bataille du Proche Orient, en Syrie et au Yémen. L’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques (URSS) s’étant effondrée entrainant avec elle ses pays satellites d’Europe de l’Est, la guerre éclata en Yougoslavie,  le dictateur Nicolae Ceausescu fut mis à mort en Roumanie et des soubresauts se firent jour partout au nom de la soif de libertés et de démocratie. Longtemps étouffés sous des dictatures les unes plus féroces que les autres, les peuples du monde se soulevèrent et découvrirent petit-à petit que les diverses classes qui dirigent ne sont que des tigres en papier sans le soutien ou la protection des nations occidentales ou de l’Union Soviétique. En pure perte, bien de régimes mirent leurs machines de maintien de l’ordre en action et s’ensuivit une répression implacable avec des morts à la clef. Le sang qui coula les fit vaciller de telle sorte qu’ils ne purent que faire amende honorable face aux revendications ainsi posées par les peuples. Le Niger n’échappa pas à la règle car des évènements tragiques eurent lieu sur le pont Kennedy en Février 1989. Avec des morts sous le bras, le Président nigérien de l’époque, Ali Seybou, ne put que se plier face aux désirs du peuple qui manifestait. Ainsi, une Conférence Nationale Souveraine se fit organiser et ouvrit la voie au multipartisme intégral avec ce que cela comporte comme valeurs révolutionnaires : respect des droits de l’homme et  libertés d’expression, d’association ou de choix des dirigeants.

 De proche en proche, naquirent de nombreux partis politiques et des organisations de défense des droits de l’homme. Le milieu de la presse, quant à lui, s’élargit avec l’érection des journaux et des stations de radio et de télévision qui se créèrent à foison. Ce qui, de fait, constitue une consécration de la liberté d’expression.

Et, vite, les médias virent arriver un autre type de journaliste qui, lui, n’a nullement pas de vocation et maitrise peu les questions de déontologie. Un journaliste qui n’a aucune formation en matière de journalisme et qui n’est là que pour échapper au chômage et à la précarité.

Ainsi, « les journalistes sont comme les contractuels de l’enseignement. Généralement, ceux qui n’ont pas la formation mais qui choisissent ce métier n’ont rien à se mettre sous la dent dans le secteur pour lequel ils ont été formés à l’école. Moi, par exemple, je suis détenteur d’une Licence en Sociologie, mais, j’enseigne le Français, l’Histoire et la Géographie », nous confie Boureima Boubacar, un enseignant contractuel au C.E.S (Complexe d’Enseignement Secondaire) du quartier Aéroport. « Une année, on m’a même demandé d’enseigner l’Anglais, j’ai refusé ! » se rappelle-t-il. Et Boubacar Boureima de s’interroger : « quand allons-nous sortir d’une telle aberration dans le secteur de l’emploi ? »

Une telle aberration, visiblement, fait l’affaire des promoteurs des médias de la place. En effet, on a comme l’impression que ces derniers, connaissant bien les conditions de vie des journalistes, participent clairement à leur paupérisation en leur fixant un ridicule pécule. Et à présent, cette tendance continue de plus belle et ne manque pas d’avoir des beaux jours devant elle.

« Dans le milieu de la presse privée, les promoteurs des médias trainent les pas pour signer la Convention Collective. Une Convention Collective qui permettra aux journalistes d’avoir une vie descente. C’est du moins, ce que d’aucuns racontent, » s’indigne Oumarou Boubacar, employé d’une entreprise spécialisée dans l’assainissement urbain et détenteur d’un D.E.A (Diplôme d’Etude Approfondie) en Economie et Gestion des Entreprises.

Visiblement, la paupérisation du métier de journaliste ouvre la voie à tous les abus. Entendu que le Président de la République du Niger, Issoufou Mahamadou a signé la Montagne de la Table qui garantit la dépénalisation des délits commis par voie de presse, les journalistes se donnent à cœur joie de croquer à belles dents des personnalités publiques et même des citoyens anonymes. C’est ce que déplore Aliou Oumarou, Président du Conseil National de la Jeunesse en ces termes : « au Niger, nous avons beaucoup de professionnels dans la presse écrite, à la radio comme à la télévision, qui font très bien leur travail, tout comme nous avons des gens qui n’ont aucune formation de base dans le métier de journaliste, qui pensent que rentrer dans la vie privée d’une personnalité et la publier c’est ça du journalisme. Nous avons constaté que beaucoup d’articles de journaux ne sont pas faits dans les règles de l’éthique et de la déontologie de la presse. Moi j’ai eu la chance, en tant que défenseur des droits de l’homme d’apprendre à vérifier toute information avant de la publier. Ceci est un préalable pour tout journaliste qui se veut être un professionnel. Ce n’est pas le cas, de nos jours, chez nos jeunes journalistes surtout. Ceux-ci doivent se dire que certaines informations peuvent mettre le feu au pays. Et, entrer dans la vie privée de certaines personnalités sans preuve peut faire beaucoup de dégâts et briser la vie de leur famille ou de leur communauté. »

Le comportement de certains journalistes dans le traitement de l’information ne peut se soustraire de leur manque de formation. « Il y a trop d’amateurisme dans le contenu des journaux de la presse écrite. Je ne dis pas que les rédacteurs en chef ou les directeurs de publication manquent de professionnalisme, mais c’est leur base qui a des problèmes. » Cet amateurisme dont parle le Président du Conseil National de la Jeunesse, le Docteur Tayabou Kamayé, que nous avons joint par téléphone, s’en plaint. Il travaille pour M.S.F (Médecins Sans Frontières) à Maradi. « Le contenu des journaux de la presse écrite est superficiel, de peu d’importance et n’est pas instructif. Il n’y a rien que des titres pompeux », s’indigne-t-il.

Pour Aliou Oumarou, « ceci peut bel et bien être corrigé par un renforcement des capacités des jeunes journalistes. Il revient à la Maison de la Presse et au Conseil Supérieur de la Communication de s’occuper d’un tel travail. »

Les dérapages vus et constatés dans les journaux sont entretenus à dessein. « Leur objectif est de vendre leur publication. Celle-ci doit être à sensation (commérages, intrigues politiques ou conjugales), car c’est ce qui intéresse la majorité des lecteurs, et, les hommes des médias l’ont bien compris », observe Tayabou Kamayé.

De telles pratiques ne peuvent être du seul fait d’un manque de formation. Les directeurs de publication et les rédacteurs en chef, ne sont-ils pas des professionnels ? A ce que nous sachions, tout passe dans leurs mains avant d’être publié. Où sont passés les organes de régulation du métier de journaliste ?

D’ailleurs, ce n’est pas un secret, une nette bipolarisation s’est installée dans le milieu de la presse au Niger. A lire certains journaux, à écouter certaines radios et à regarder certains traitements spéciaux de l’information sur certaines télévisions, très vite on comprend de quel bord politique sont-ils proches. Rares sont les organes de presse qui sont neutres. « Il se chuchote que certains journalistes auraient des mentors. Cela peut se remarquer par certains biens qu’ils possèdent. Ce qu’ils ne peuvent, aucunement, posséder par le seul exercice de leur métier sans l’aide d’une main invisible », essaie d’expliquer Moussa Mahamane Goga, un mécanicien de gros engins, entre deux coups de tournevis. Il est vêtu d’un uniforme bleu des mécaniciens, avec des tâches d’huile partout. « Je suis les débats qui se font sur les télévisions de la place. J’écoute aussi les commentaires, les reportages et les revues de presse hebdomadaires. Ce sont toujours les mêmes journalistes des mêmes télévisions qui profèrent des critiques négatives sur l’action gouvernementale, essaient de ternir l’image du Président de la République et ses efforts pour développer le pays. En face d’eux, ceux qui le soutiennent avec son gouvernement. Même la présentation des revues de presse manque de neutralité. De ça, j’en suis convaincu», souligne-t-il.

Mallam Mamane Barka, quant à lui, est artiste de grande renommée au Niger. Il fut enseignant de son état avant que la fièvre musicale ne l’exfiltre du système éducatif nigérien. Il exprime tout son désaveu des programmes radiotélévisés : « Dans tout l’espace africain, je ne connais aucun organe de presse qui diffuse autant d’œuvres artistiques étrangères comme les télévisions et les radios nigériennes. Les moments de diffusion des œuvres culturelles nigériennes sont insignifiants. Moi, je suis un artiste et je voyage beaucoup. Ne dit-on pas que même si nous avons tout perdu dans la vie, la seule chose qui nous reste est toujours la culture ? De grâce, journalistes et animateurs radios doivent mettre l’accent, dans les émissions qu’ils présentent, sur la culture nigérienne. A-t-on jamais vu un pays se développer en mettant à l’écart sa culture ? Tous ces pays qui avancent, sont avancés grâce au seul choix qu’ils ont fait, celui d’accorder une place primordiale à leur culture dans toutes leurs activités. »

Mallam Mamane Barka s’insurge contre l’influence négative de certains programmes télévisés : « il y a trop de débats et tous les thèmes débattus tournent autour de la politique. La politique, toujours la politique ! Nous n’avons pas que ça à faire ! Si, au moins, lors des débats, les invités contrôlent leurs expressions ! Ces débats rendent de plus en plus nos enfants insolents et irrespectueux. Dans aucuns pays au monde je n’ai vu l’insulte et le mensonge transformés en exercices favoris des citoyens. »

Cette situation ici évoquée par notre artiste n’a pas échappée à Amina Harouna Hassane. Elle est infirmière dans une clinique privée de la place. Elle dit, sans cacher son inquiétude : « le comportement des invités au cours des débats que présentent nos télévisions s’est répercuté sur les réseaux sociaux. Toutes les pages sont envahies de propos malsains. Aucun respects vis-à vis des autorités ni des personnes âgées. »

Amina Harouna Hassane constate, non sans amertume, de nombreuses autres lacunes dans la conduite des programmes télévisés : « les télévisions privées ne respectent pas du tout les téléspectateurs. Elles peuvent commencer à diffuser un documentaire ou un film mais ne vous permettent jamais de voir sa fin, elles coupent sans prévenir et ne vous disent jamais quand est-ce qu’elles vont le rediffuser dans son intégralité. Je pense aussi que les revues de presse doivent être dites dans toutes les langues du Niger non pas seulement en Français, Haoussa et Djerma. Avant tout, nous sommes tous des nigériens. »

Bassirou Baki