Décryptage : Pourquoi il faut nommer les recteurs des universités publiques

Le Conseil des Ministres du vendredi 1er mars 2019 a adopté le projet de loi modifiant l’ordonnance n° 2010-77 du 09 décembre 2010, portant régime général des Etablissements publics à caractère scientifique, culturel et technique. Désormais les Recteurs et les Vice Recteurs des Universités Publiques seront nommés par Décret pris en Conseil des ministres. Ainsi en a décidé le Gouvernement même si cela n’est pas du gout du Syndicat National des Enseignants Chercheurs du Supérieur (SNECS). Décryptage.

Il faudrait rappeler que le principe d’élection des recteurs et vice recteurs des universités publiques est un  acquis pour le SNECS conformément aux dispositions de l’ordonnance n° 2010-77 du 09 décembre 2010 qui consacre l’élection des Recteurs et Vice Recteurs comme mode de gouvernance des Universités Publiques du Niger.

La décision prise en Conseil des ministres et remettant en cause un tel acquis a poussé le SNECS à reconduire pour la 3ème fois son mot d’ordre de grève. Un bras de fer qui s’installe, et, si on n’y prend garde qui risque d’avoir des conséquences fâcheuses sur le déroulement de l’année académique au grand dam des étudiants qui en subissent.

L’argumentaire du gouvernement…

Pour le Gouvernement, cette mesure s’inscrit dans le cadre des réformes globales qu’il a engagées dans le secteur de l’éducation notamment dans le sous-secteur de l’enseignement supérieur. A en croire le Gouvernement, le maintien de ce mode de désignation, à savoir l’élection des recteurs, est « apparu peu efficace » dans l’atteinte des objectifs assignés aux Universités Publiques du fait que « les responsables élus ne disposent pas toujours de l’autorité nécessaire dans la gouvernance de leurs entités parce que pris en otage par leur électorat ». Mieux, les conclusions du Conseil des Ministres précisent que, « cet état de fait ne permet pas au Ministère de tutelle d’orienter ces institutions, conformément aux objectifs assignés par l’Etat, qui assure pourtant la quasi-totalité du financement de ces Universités ».

A ce niveau, le gouvernement note que parmi les pays membres de l’UEMOA, de la CEDEAO et même du CAMES, « seul le Niger continue à appliquer le système de l’élection des Recteurs et Vice Recteurs ». C’est par souci donc d’améliorer la gouvernance dans les Universités Publiques et de permettre à l’Etat d’exercer la plénitude de son pouvoir de tutelle, que le gouvernement a jugé nécessaire de procéder désormais à « la nomination des Recteurs et Vice Recteurs, par décret pris en Conseil des Ministres adopté en Conseil des Ministres, sur proposition du Ministre de tutelle, sans passer par des élections ». Le Communiqué du Conseil des ministres a précisé que ‘’le présent projet de loi sera transmis à l’Assemblée Nationale pour adoption’’.

Le SNECS dans son bon droit…

Le Syndicat des enseignants chercheurs du supérieur s’estime en droit de s’accrocher aux dispositions de l’ordonnance n° 2010-77 du 09 décembre 2010, portant régime général des Etablissements publics à caractère scientifique, culturel et technique. Son Secrétaire Général, M. Nabala Adaré a confié à la presse que le projet de loi du gouvernement n’a pas encore force de loi. Il demande, par conséquent, aux députés de bien réfléchir avant de voter ce projet de loi à eux soumis par le gouvernement. En effet, selon le SG du SNECS, il s’agit du choix démocratique pour ses camarades de ceux qui sont censés diriger les universités publiques. Le  SNECS reproche également au gouvernement de ne pas être disposé au dialogue en optant pour sa décision unilatérale qui serait un pis-aller aux yeux des enseignants chercheurs. C’est dire que la décision du Conseil des ministres ne saurait être effective avant la modification  et l’adoption de la nouvelle loi. Pour le moment le SNECS continue son débrayage dans le but de contraindre le gouvernement à reconsidérer sa position. Interrogés par nos confrères des télévisions privées, des étudiants qui s’estiment être à la merci de ce bras de fer gouvernement/SNECS ne demandent pas autre chose à ces deux protagonistes que de trouver un terrain d’entente. L’on se souvient que l’année dernière a été compromise à cause d’une autre épreuve de force opposant enseignants chercheurs et étudiants après une altercation à l’Université de Niamey entre un enseignant chercheur et la commission des affaires sociales et d’ordre (CASO). Ce débat malsain entre les deux principaux acteurs de la vie universitaire a choqué plus d’un citoyen. Et voilà cette année encore un autre problème en train de perturber le déroulement de l’année dans les universités publiques.

Qu’en est-il des autres universités publiques de la sous-région ?

Face à cette question très sensible engageant l’avenir de notre pays, il importe de savoir et comprendre  les pratiques des autres universités pour que dans une optique dialogique les intérêts de notre pays puissent prévaloir sur les intérêts corporatistes ou particuliers. Notre premier réflexe a consisté à vérifier la version du pouvoir qui consiste à dire que « parmi les pays membres de l’UEMOA, de la CEDEAO et même du CAMES, « seul le Niger continue à appliquer le système de l’élection des Recteurs et Vice Recteurs ». En effet, à défaut d’avoir la réponse exhaustive, il s’est avéré que dans beaucoup de pays et non des moindres, les recteurs des universités publiques ont toujours été nommés par décret du président de la République. C’est donc la règle générale dans la sous-région. De ce point de vue le gouvernement a de quoi tenir en invoquant sa volonté de se conformer aux normes communautaires.

Ainsi, le Niger ne se fait que s’aligner sur la position des Etats membres du CAMES désormais orientés vers la mise en œuvre cohérente de la politique de l’enseignement supérieur dont les grandes lignes sont définies au niveau supranational. La modification s’inscrit parfaitement dans cette logique quand on sait qu’au-delà des tâches administratives internes aux universités, les recteurs participent incontestablement à la mise en œuvre de la politique de l’enseignement supérieur. Cet argument justifie à lui seul la nécessité, pour le gouvernement, d’avoir un droit de regard sur les modalités de désignation des responsables du déroulement pratique de sa vision de l’enseignement supérieur.

 Au Sénégal par exemple, les recteurs des universités publiques sont nommés par décret du président de la république sur proposition du ministre de l’enseignement supérieur parmi les professeurs titulaires.  Mieux, de source digne de foi, dans les universités de ce pays, le Recteur  a toujours été un proche du chef de l’Etat’’. Au regard de l’image de cette Université en Afrique et dans le monde en termes de résultats probants, il y a lieu de se poser mille et une questions sur la pertinence de l’obsession du SNECS par rapport à la décision du gouvernement. Pourtant en termes d’avantages contrairement à ce qu’on pourrait penser, sur certains aspects nos enseignants chercheurs sont mieux lotis que leurs collègues de la sous-région notamment ceux du Sénégal. Par exemple, les primes de recherche sont payées à hauteur de 150 000f par semestre soit 300 000f l’année au Sénégal et ce, quel que soit le grade de l’enseignement alors qu’au Niger les enseignants chercheurs ont au minimum 500 000f par trimestre soit 2 000 000f par an. Au Niger, chaque article scientifique publié donne droit à 100 000f alors qu’au Sénégal la publication d’un article ne donne droit à aucun paiement. Aussi, pour chaque mémoire encadré au Niger, nos enseignants chercheurs sont payés alors qu’au Sénégal l’encadrement des mémoires fait partie des services de l’enseignant chercheur. On peut multiplier les exemples.

Et selon nos informations, tous ces avantages ou presque ont été acquis par le SNECS sous le régime actuel. C’est dire qu’il importe pour le SNECS comme pour le gouvernement de privilégier le dialogue en tenant compte des bonnes pratiques.

Le SNECS met en avant le principe sacro-saint de la gestion démocratique des Universités en conférant à ces entités le libre choix de leurs dirigeants. C’est là un argument de taille pour la simple raison qu’il est établi que la tendance est à la démocratisation de la gestion au niveau étatique comme associatif. Quelle est la rationalité ou la meilleure pratique entre l’élection des Recteurs et leur nomination par le gouvernement ? C’est à cette question que les uns et les autres (gouvernement et SNECS) doivent répondre pour convaincre l’opinion publique.

Le fait qu’au niveau communautaire les recteurs soient nommés n’est pas en soi une garantie d’efficacité mais le plus important c’est de savoir en quoi les autres pays tirent plus d’avantages que nous où les recteurs et leurs adjoints sont élus en tandem.

Pour ne pas plonger dans des spéculations stériles, c’est bien que nos enseignants chercheurs affichent une posture proactive en passant au peigne fin leur thèse et celle du gouvernement en mettant en avant l’intérêt supérieur de la nation. Et nous croyons savoir que la loi du Sénégal sur les Universités publiques contient des dispositions assez pertinentes pour préserver l’essentiel à savoir l’intérêt général. Dans ce pays, ils ont un Conseil d’administration dont la composition est assez ouverte  et un Conseil académique.

L’Article 9 de la loi sénégalaise régissant les Universités publiques stipule que : «  Le président et le vice-président du conseil d’administration sont nommés par décret sur proposition du Ministre chargé de l’Enseignement supérieur. »

S’agissant du recteur l’article 16 dit que : « chaque université est dirigée par un recteur choisi parmi les professeurs titulaires des universités de nationalité sénégalaise. Il est nommé par décret sur proposition du Ministre chargé de l’Enseignement supérieur pour un mandat de quatre (04) ans, renouvelable une fois. Toutefois, il peut être mis fin à ses fonctions pour faute grave. »

Nous disons tout simplement, il faut dépassionner le débat. Le problème posé est une question d’intérêt national. Les enseignants chercheurs, en tant qu’élite par excellence du pays doivent apporter des contre arguments rationnels pour un débat contradictoire. Il faudrait surtout que les enseignants chercheurs prouvent que leur argument est meilleur… au lieu de s’accrocher sur la logique d’acquis à préserver coûte que coûte.

Elh. M. Souleymane