Décryptage: La ZLECAf, une passion africaine

Les lampions se sont déjà éteints dans les travées du palais des congrès de Niamey, à l’issue du XIIè sommet de l’union africaine sur l’accord de libre-échange que les grandes ambitions pour le continent se dessinent dans un afro-optimisme de bon aloi. La capitale nigérienne aura vibré durant 5 jours durant, au rythme de l’Afrique qui innove, qui agit résolument vers sa transformation sociale, laissant cette image d’apathie, à la traîne dans les échanges mondiaux. Africa is back !

Le sommet aura été une rencontre des possibles à mettre à l’actif du peuple nigérien qui s’est mobilisé pour accueillir, offrir toutes les commodités aux visiteurs de l’Afrique dans toute sa diversité, des eSwatinais aux Erythréens en passant des Egyptiens aux Namibiens. L’honneur échoit aussi au président Issoufou Mahamadou, champion de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) de piloter ce projet imaginé (mais jamais mis en œuvre) par les pères-fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et leurs successeurs.

 Faut-il saluer l’organisation parfaite imaginée au millimètre près, une touche authentique qui aura laissé des souvenirs impérissables, de l’avis de nombreux participants. Les rounds des négociations commencées depuis 2012 ont connu, en effet, leur épilogue ce 8 juillet au palais des congrès de Niamey devant une trentaine de chefs d’Etat, validant la signature des 54 pays sur les 55 que compte officiellement l’Afrique. Il aura fallu la dextérité et le tact diplomatique du président nigérien Issoufou Mahamadou pour amener à la « table des signatures » des pays d’abord réticents, se demandant « que gagner dans cette entreprise », douchés sans doute par les projets sans lendemains en Afrique.

Néanmoins il y a toujours les « oui, mais » même au Niger, ces Cassandres qui pourfendent à demi-mots ce genre de raouts que n’importe quel pays aurait l’heur d’accueillir. Ils auraient aimé, dans le déchainement des passions que ces investissements quoique souvent privés (hôtels, rénovation aéroportuaire…) aillent ailleurs, dans d’autres secteurs. C’est un discours que l’on peut entendre en d’autres temps –o tempora, o mores-, mais la théorie de capillarité (ou de ruissellement) veut que des facteurs induits d’une telle rencontre peuvent générer aussi des investissements dans les domaines de la promotion sociale (santé, de l’éducation…) ; en clair, l’un ne pouvant pas naturellement empêcher l’autre. Faut-il rappeler que la construction de quelques ensembles infrastructurels (hôtel Gaweye, Onarem, palais des congrès), avaient donné aux semblables admonestations, au début des années 80.

La zone de libre-échange constitue ce marché commun qui est le préalable d’une intégration sociale et économique. Voilà la première action concrète de l’OUA et de l’UA depuis 1963, imaginée et façonnée par les Africains dans le cadre de la feuille de route de « l’Agenda du développement 2063 ». Tout comme plan de Lagos était cette belle idée adoptée en avril 1980 sur la base d’un développement endogène ou autocentré cher à l’économiste tiers-mondiste Samir Amin ou Thomas Sankara : avec des relents panafricanistes « l’Afrique doit compter sur elle-même », la stratégie se voulait volontariste dans divers domaines (agriculture, industries, mobilisations des populations, transports et communications…). Mais la tornade néo-libérale et la mainmise du FMI et de la Banque mondiale dans les économies africaines ont dévoyé cette stratégie avec les plans d’ajustement structurels rendant le Plan de Lagos inopérant.

Aujourd’hui on note une faiblesse sidérante des échanges intra-africaines : avec moins de 16% les africains ont du mal à échanger leurs produits dans leur sphère géographique, pour différentes raisons douanières, ou soumis à un protectionnisme, ce qui fragilise nos pays et la viabilité de nos économies. Seulement 128 milliards échangés sur le continent contre plus de 900 milliards avec le reste du monde dont près de 50% d’hydrocarbures, principal produit d’exportation.

 Les propos de K. Nkrumah sonne-t-il comme un couperet ou une alternative pour qui « l’Afrique doit s’unir ou périr ». Ce « continent de l’avenir », paradoxalement très insuffisamment entré dans la mondialisation (3% du commerce mondial) doit absolument remonter la pente au risque de sombrer irrémédiablement. Le marché commun africain qui sera en vigueur en 2020 sera le premier marché mondial en terme de consommateurs : avec l’émergence d’une classe moyenne, d’une industrialisation protégée et l’abaissement des barrières douanières (par la perte de 90% de souveraineté), le développement intégral du continent pourra être assuré ; ainsi le violet de Galmi, la gomme arabique de Gaya, le souchet de Maradi, le niébé, le bétail sur pied et d’autres produits nationaux… peuvent gagner des marchés lointains et accroitre la soutenabilité du secteur primaire nigérien.

Mais la zone de libre-échange africaine doit se départir, pour réussir son pari dans le long terme, des recettes néo-libérales intégrales qui mettraient à mal les pays surtout dits faibles, mais de politiques plus protectrices : une dose de nationalisations, de subventions publiques, règlementations pour soutenir nos économies encore embryonnaires complétées par la fluidité frontalière, la lutte anti-corruption seraient le gage d’une meilleure intégration sociale puis économique.

La ZLECAf a l’avantage de compter un certain nombre de zones économiques régionales plus ou moins actives : la CEDEAO (Afrique de l’ouest), la COMESA (Afrique orientale et australe), la SADC (Afrique australe) ; la CEEAC (Afrique centrale), la CAE (Afrique de l’Est), l’UMA (Maghreb), la CENSAD (Sahel-Sahara) ou l’IGAD (Afrique de l’est) serviront d’instruments de relai du grand marché commun africain de 3 000 milliards de PIB.

La mondialisation des années 90 a accéléré le processus de regroupements économiques territorialisés, condition sine qua non d’échanges basés sur les négociations multilatérales, la règlementation et « l’équité » : l’UE (Europe), l’ASEAN (Asie du sud-est), le MERCOSUR (Amérique Latine), l’ALENA (Etats-Unis, Canada, Mexique) ou TAFTA (UE/Etats Unis)…sont aujourd’hui les outils du contrôle du commerce et de la richesse mondiale ; par exemple, l’accord transatlantique (en veilleuse)TAFTA qui lie l’Europe et les E. U englobera plus de 45% du PIB mondial. L’Afrique ne saurait rester à la traine au moment où les grands ensembles sont sur les sentiers de libre-échangisme comme en ce moment les négociations de l’UE avec le CETA canadien (malgré quelques réserves sur l’emploi et le climat). L’Afrique se doit de parler d’une voix face à ces grands ensembles (ou en bilatéral), protéger ses produits à l’exportation et règlementer les importations du coton américain ou des produits chinois (souvent plus concurrentiels) par exemple, sans porter atteinte aux plans d’industrialisation des pays : en somme, défendre les seuls intérêts de l’Afrique et être audible pour pouvoir prétendre aux rôles internationaux (OMC, Conseil de sécurité…).

Ainsi l’Afrique, qui est le plus grand marché en termes de consommateurs (bientôt 2 milliards d’habitants en 2050) peut être cette grande puissance économique et sociale si les protocoles de la ZLECAf sont correctement mis en œuvre. Et vite, comme le préconise le président Issoufou du Niger.

Aboubakar K. LALO

Aménagiste

(France)