Salim Mokaddem, professeur agrégé de philosophie à l’Université de Montpellier, chercheur au Gsrl/CNRS- Paris1/Sorbonne © Photo par Elite Médias

Rencontre : Le philosophe Salim Mokaddem parle de Mohamed Bazoum, de la gouvernance d’Issoufou Mahamadou et de la démocratie en Afrique

Salim Mokaddem ? Ce nom est bien connu d’une génération de cadres nigériens aujourd’hui en position de leadership pour leur avoir enseigné la philosophie au Lycée ou à l’Université de Niamey. Cette interview se veut un témoignage sur la personnalité de Mohamed Bazoum, un décryptage de la gouvernance de la 7ème République avec Issoufou Mahamadou aux commandes et aussi de la démocratie en Afrique. Loin des idées reçues, ce grand ami de Bazoum et du PNDS-Tarayya renseigne rigoureusement sur les valeurs qu’incarnent les leaders du parti rose.

 

Le Républicain :   Présentez-vous à nos lecteurs et internautes.

Salim Mokaddem : Je suis professeur agrégé de philosophie à l’Université de Montpellier, chercheur au Gsrl/CNRS- Paris1/Sorbonne, membre de la Société française de philosophie, de la Société Internationale de Sociologie des religions, enseignant-chercheur à la Faculté d’éducation (Inspé, ex-Espé, ex-Iufm) de l’Université de Montpellier (EA 3749) et membre du comité scientifique de la revue internationale brésilienne de philosophie : Dialektiké. J’ai été conseiller à la Présidence du Niger, et un membre actif du PNDS depuis sa fondation. Écrivain (livres sur Foucault, Platon, l’éthique médicale et de nombreux articles), conférencier et expert technique international en éducation, formations générales, professionnelles et techniques, j’enseigne actuellement la philosophie et la sociologie à la Faculté d’éducation de l’Université de Montpellier, et j’ai créé le cours d’éthique médicale à la Faculté de médecine de la même Université. Je suis par ailleurs professeur invité aux Universités de Joao Pessoa et de Natal (Université Fédérale du Parabens et Institut Fédéral du Rio Norte) au Brésil.

Le Niger est plus qu’un pays hôte, attachant, et d’accueil, pour moi : il est le pays de mon éveil intellectuel aux questions panafricaines, de mes amis et de mes engagements professionnels et éthiques, où l’essor de mon souci social et politique s’est incarné. Je fus en effet « civicard » à Maradi, puis enseignant coopérant à l’Université Abdou Moumouni Dioffo à Niamey et, enfin, Conseiller à la Présidence lors du premier quinquennat d’Issoufou Mahamadou. Pour faire bref, le Niger m’a amené à reconsidérer la nécessité de penser l’Afrique comme étant un élément important et majeur, directement et indirectement, dans le destin du monde. De plus, le Niger m’a fait comprendre le rôle de l’action pratique corrélée à l’activité théorique, dans la mesure où l’articulation des deux pratiques détermine la vérité et la cohérence de leur efficience. J’ai compris en effet que l’acte philosophique souverain consiste à ne pas céder sur les exigences pratiques de la pensée spéculative (lier logos et praxis dans un dire-vrai où le risque n’est pas évacué); ainsi, je fus contraint de me définir comme acteur et partie prenante à part entière dans le mouvement de construction d’une vraie émergence socio-économique et culturelle du Niger dans le processus de mondialisation. L’Afrique est en effet au cœur des préoccupations énergétiques mondiales, des luttes et des conflits de toutes sortes liés à la possession de ses matières premières et, bien sûr, à sa position géostratégique. Mais, aussi, l’Afrique est un enjeu mondial en tant qu’immense marché de consommation qu’il représente pour l’économie mondialisée puisque, par exemple, au Niger, tous les secteurs fondamentaux de l’économie et de la société sont à développer. D’ailleurs, le monde entier se donne rendez-vous au Niger, pour y développer des modèles de développement et y faire des affaires de toutes sortes (agriculture, élevage, télécommunications, hôtellerie, transports, industries extractives, bâtiments et travaux publics, etc.). Nous aurons le temps d’y revenir, si vous voulez que je développe de manière prospective cet aspect holistique de l’économie globalisée qui impacte directement le Niger.

Le Républicain : Vous êtes un ami de Mohamed Bazoum pour avoir, entre autres, enseigné la philosophie ensemble au Lycée dans les années 90. Aujourd’hui l’engagement politique de Bazoum Mohamed est à un tournant décisif depuis son investiture le 31 mars dernier comme candidat du PNDS à la présidentielle de 2021. Quelle est votre perception de la personnalité de cet homme ?

Salim Mokaddem : Bazoum est en effet un ami et un frère. C’est un homme remarquable à tout point de vue. Notre amitié, devenue fraternelle très vite, est basée à la fois sur un partage indéniable de valeurs communes et sur des affinités intellectuelles, affectives, éthiques qui cimentent depuis longtemps notre communauté de vues sur bien des points et qui confèrent à notre fraternité un style tout particulier fait de dialogues incessants et de partages d’idées et de pratiques sur les domaines qui nous rapprochent. Mon amitié pour lui s’est construite sur la reconnaissance de ses réelles qualités humaines, morales, intellectuelles et elle s’est instituée et poursuivie sur des valeurs partagées de sincérité, de respect mutuel, de dialogues argumentés et d’échanges constants portant sur des sujets de fond, pendant plus de trente années. Nos échanges portent sur des questions tant philosophiques, politiques, esthétiques, qu’éthiques, civilisationnelles et professionnelles. Nous avons par ailleurs en effet jadis enseigné dans le même Lycée – au moment de la construction et de l’édification du Parti – et nous nous posions alors les questions toujours actuelles de l’émancipation de l’Humanité, et singulièrement du Niger, à l’aune de nos connaissances et des problématiques aiguisées par une vision critique, au sens kantien du terme, du présent et de l’actualité qui lui donnaient alors sa consistance propre. Nous n’avions de cesse de diagonaliser l’histoire par la philosophie et de ramener toute question théorique à sa vérité pratique. La politique n’était pas une simple affaire d’opportunisme politicien mais bien le lieu d’un questionnement réel sur les enjeux de vérité de nos praxis dans le monde. Il s’agissait en effet pour nous de transformer le monde en le pensant, d’une part, dans sa matérialité historique et dialectique complexe, et, d’autre part, de mieux et de bien le comprendre afin d’orienter nos libertés dans l’action et la pratique théorique tout autant que dans la recherche d’une théorie de la praxis qui ne fût pas un théoricisme escapiste, abstrait du réel,  et encore moins un pragmatisme aveugle qui aurait risqué de nous égarer intellectuellement, politiquement, culturellement, en tâtonnant idéologiquement dans un froid matérialisme cynique, totalement désenchanté, et coupé des bases concrètes dans lesquelles les populations évoluent. Bazoum recherchait alors dans le syndicalisme les moyens de donner une conscience à un corps constitué qui était alors sous la dépendance d’un régime d’exception qui avait comme mot d’ordre, sans mauvais jeu de mots, l’obéissance et la soumission, sur le modèle des anciennes institutions militaires, fortement hiérarchisées, et réfractaires à tout esprit d’ouverture politique et de démocratisation par les compétences et les mérites. En vérité, c’était plutôt l’alibi d’un régime militaire autoritaire qui maintenait le Niger dans un sous-développement structurel et qui trouvait ainsi sa légitimité dans une pseudo théorie de l’histoire marquée, au mieux, par un regard archéo-colonial, véhiculé par les poncifs sur l’africanité ancestrale dénoncés par Paulin Houtoundji. Ces justificatifs politiques ou justifications idéologiques  s’appuyaient, plus ou moins heureusement, sur un complexe de discours peu cohérents reposant sur les hiérarchies des races et des cultures ; ces discours se réclamaient d’une philosophie positiviste et ethnocentrique de l’histoire des civilisations et étaient à l’époque déterminés par un néo-hégélianisme mal compris, Hegel étant réduit à une vulgate sur le développement étapiste de la raison dans l’histoire et à une vague logique de la temporalité sur le sens et le mouvement du Concept dans le temps. Inutile de préciser que ce « progressisme » justifiait les servages d’antan et les atteintes aux libertés au nom d’un Progrès et d’un Sens détenus par ceux qui étaient justement dans ce sens de l’histoire et qui détenaient les commandes du pouvoir. Nous étions alors, lui et moi, en parfaite convergence sur l’idée d’une politique innovante à construire, singulière et spécifique au contexte nigérien, et nous nous concertions souvent sur l’idée d’une démocratisation des esprits et des institutions à instaurer au Niger pour qu’il puisse entrer dans une phase d’émancipation réelle et authentique. Pour revenir à votre question portant sur la personnalité de Mohamed Bazoum, sachez que je suis très honoré d’être son ami du fait de ses qualités réelles de franc-parler, du sens aiguë de son humanité, de la conscience de ses devoirs de citoyen, d’enseignant, de syndicaliste, de politique, et de la conscience de la grande responsabilité d’autrui qui caractérise son être-au-monde. Dès les premiers échanges que j’ai eus avec lui, j’ai su qu’il était doué d’un esprit vif, engagé, courageux, probe et qu’il faisait preuve d’un jugement réfléchi et instruit. Il a toujours eu le sens du collectif et de l’organisation ; c’est un homme généreux, vraiment soucieux de son prochain et qui fait toujours preuve d’une délicate attention, toujours singulière, pour autrui, quel qu’il soit. Il n’a pas du tout le culte de la personnalité. Il sait en effet se remettre en question et faire preuve d’une humilité à toute épreuve. On peut dire, sans flagornerie aucune – car il n’y a vraiment nulle concession entre nous !- qu’il représente ce que Michel Foucault appelle le parrhésiaste, c’est-à-dire l’esprit autonome et courageux qui dit vrai quelles que soient les circonstances et les enjeux car il préférera toujours dire et pratiquer la vérité plutôt que de tourner les choses en sa faveur ou bien tordre la réalité pour faire en sorte qu’elle lui soit favorable et conforme à ses intérêts. Il est en effet doué d’un sens irréprochable de la justice et de l’équité. De plus, c’est un esprit rationnel, instruit au sens des philosophes des Lumières, animé d’une bonne volonté et avec un sens de l’à propos intellectuel éminemment réaliste. Bazoum est ainsi capable d’une remarquable écoute critique, aussi bien vis-à-vis de ses proches que vis-à-vis des autres, même, et surtout pourrais-je dire !, s’ils ne pensent pas comme lui. Ajoutons à cela, chez lui, un sens méthodique de la synthèse dans la discussion et un art rhétorique de la formulation qui sait souvent allier concision et précision, deux éminentes qualités pour un politicien et un philosophe.

Mohamed Bazoum a également une personnalité exceptionnelle car il est aussi très fidèle en amitié : ses engagements sont constants et il est profondément attaché aux valeurs de justice et de démocratie réelles. Je pourrais donner mille exemples de sa touchante et forte personnalité, modeste et entière, mais on pourrait malencontreusement croire que je tombe dans l’hagiographie alors que je ne fais preuve avec lui, ici, que d’une objectivité et d’un souci de vérité qui nous ont tout deux toujours préservés de toute forme de séduction et de toute flatterie délétère à notre profonde relation. Nous sommes, lui et moi, très loin de la flagornerie mielleuse confondue trop souvent avec la vraie générosité de cœur. Notre amitié est à ce prix éthique : nous cultivons l’humilité exigeante et le respect total pour nos amis et nos valeurs.

Le Républicain : De loin d’aucuns perçoivent Bazoum comme quelqu’un d’austère voire dur. Vous qui le connaissez bien que dites-vous sur des allégations de ce genre ?

Salim Mokaddem : Je dis que ces allégations sont infondées. Et, comme l’écrit Spinoza, quand Pierre me parle de Paul, j’en apprends plus sur Pierre que sur Paul. Car il ne faut surtout pas confondre l’esprit de sérieux de Bazoum avec les traits expressifs purement doxiques que renvoient les stéréotypes et les apparences, souvent liées par ailleurs à un jugement incomplet sur les gens, le monde et soi-même. On mesure le sérieux d’une personne à ses actes et non à des considérations superficielles émanant de perceptions incomplètes, souvent subjectives, et quelque peu aléatoires. L’apparence d’une personne et la connaissance de quelqu’un à partir d’une impression vague ou basée sur un ressenti plus ou moins flou – dont, par ailleurs, la logique profonde échappe souvent à celle ou celui qui « formule » ainsi cette prévention hâtive du jugement d’opinion – ne peuvent être assimilées à une solide connaissance vraie, fondée sur des éléments tant objectifs que subjectifs et rationnellement établis. Bazoum est un homme très responsable et très juste qui sait être généreux quand il le faut, et autoritaire quand la situation l’exige. Ce n’est ni un être veule, ni un homme sans cœur, bien au contraire! Beaucoup d’entre nous peuvent témoigner de sa chaleureuse amitié et de son engagement total au service des intérêts du Niger et du bien collectif. Encore une fois, Bazoum n’est pas un homme dur mais un homme juste, pondéré, et sérieux, ce qui n’est pas la même chose. Tout est une question de point de vue éthique. Comme l’exprime de manière parabolique Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, pour le charbon, le diamant est toujours trop dur. Et inversement, pour le diamant, le charbon est trop faible, lâche, friable et inconsistant. Mais, pour le géologue, le minéralogiste et le savant, ils sont de la même famille. Encore une fois, il faut comprendre et savoir ce qui est ce qu’on pense avant de juger. Platon dans la République dit que les enfants préfèreront toujours le confiseur au médecin, contre leur santé et le principe de réalité, tant la flatterie va dans le sens de leurs préjugés. Mais, il est vrai qu’on ne connaît pas vraiment le réel si on en reste, quant à sa compréhension, à des impressions ou à des opinions superficielles infondées, et donc nécessairement incomplètes car tronquées de leur vraies déterminations ontologiques et historiques.

Le Républicain :    Aristote recommande qu’entre la vérité et l’amitié de choisir la vérité alors pensez-vous que Bazoum Mohamed a les qualités du prince au sens d’homme d’Etat ?

Salim Mokaddem : Bazoum aime autant la vérité que ses amis. Ces derniers sont des amis de cœur et d’esprit. Du coup, Bazoum n’a pas à choisir entre sa mère et la justice, comme Camus qui était malheureusement pris dans les affres d’une conscience déchirée entre sa liberté de conscience humaniste et ses intérêts affectifs,  biaisés par son existence clivée de pied-noir algérien, tout à la fois épris de libertés politiques démocratiques et attaché à une terre natale marquée par l’invasion coloniale brutale et génocidaire (cf. le dernier livre de Karima Lazali, Le trauma colonial, éd. La Découverte, Paris, 2019, ou les travaux de Frantz Fanon). Puisque ses amis et ses valeurs sont, pour Bazoum, tout à fait réciprocables dans le corps de sa vie et le cours de ses engagements, il n’est ni une conscience déchirée ni une belle âme idéaliste ou sceptique. Bazoum est en ce sens un réel homme d’Etat et il l’a déjà prouvé très concrètement dans l’exercice de tous ses mandats précédents et lors de la gestion des dossiers et des questions souveraines qu’il  eût à traiter au cours de sa brillante carrière professionnelle. Bazoum est un homme d’expériences, aguerri par l’adversité et les responsabilités qui furent et sont toujours les siennes actuellement. Il a pour ma part, pour répondre à votre question, au vu de son expérience et de ses compétences reconnues par le Chef de l’Etat et par celles et ceux qui l’ont approché de près, toutes les qualités requises pour être un remarquable et éminent Président de la République du Niger. Son jugement est rarement hypothétique ou conditionné par des considérations égocentriques quand il s’agit de délibérer dans le monde moral et politique. L’exercice de l’amitié est une vertu qui suppose la pratique responsable et authentique d’un souci de soi comme de l’autre et du monde dans l’espace où la vérité est un acte continu de reconnaissance réelle transfigurant les rapports concrets au monde moral et politique. En ce sens, la pratique de la vérité est un souci de soi, non narcissique ou formel. Et l’amitié ne peut être séparée des effets qu’elle s’attache à produire dans l’exercice des vertus qui l’accompagne. La vérité et l’amitié ne sont pas indissociables sauf à nier la première et à instrumentaliser la seconde. Il y a une dignité éthique dans l’amitié qui suppose en effet un exercice quotidien des vertus de véridicité et d’amour du vrai, rendant alors le sujet éthique capable de reconnaître et la vérité et le sujet digne d’amitié. La politique est une vertu éthopoïétique de reconnaissance de cette dialectique du rapport à soi, comme étant dans ce monde aussi bien un rapport à l’autre. Carl Schmitt en définissant dans Le Concept du politique la politique comme une théologie visant à définir le Bien et le Mal, l’ami et l’ennemi, dans une lutte à mort, n’a pas compris ce qu’est la politique où il n’y a pas d’ennemis mais des adversaires, ce qui est différent, visant à rendre meilleur l’espace social où s’effectuent contradictoirement, dans la joute logocratique, les volontés de gouvernance. Bazoum n’opposera donc jamais l’amitié et la vérité car on choisit ses amis en fonction des vertus et des valeurs qu’ils révèlent en nous et qu’ils nous obligent à pratiquer pour nous rendre meilleur qu’on ne l’est. Il y a là une dialectique de la reconnaissance que, comme philosophe, je perçois comme étant indissociable d’une politique singulière et active de l’amitié authentique. Ainsi, opposer amitié et vérité serait séparer à tort l’action politique de la morale, ce qui peut être possible dans une tyrannie où le despote considère le peuple comme ses sujets, usant d’un populisme trompeur. Dans un État démocratique, le peuple est souverain et la loi est une expression du droit et non pas une logique autonome coupée des réalités populaires. Ce qui suppose un citoyen éclairé ; d’où le rôle majeur des médias, de l’éducation, de la communication, pour éviter la médiocratie et les tromperies de masse réduisant le peuple au people afin d’usurper indûment des électeurs privés de l’exercice démocratique de la participation à la construction active d’une société sans haine ni honte de soi. Quelque part, faire de la politique, c’est éduquer le peuple et être par lui éduqué, dans le sens où il y a des interactions constantes entre des horizons de sens et de valeurs qu’il faut faire cohabiter et dialoguer, surtout quand ils sont antithétiques.

Le Républicain : Dans la République de Platon, il y a ce vœu que les philosophes deviennent rois ou bien que les rois soient philosophes. Selon vous quel pourrait être l’impact de Bazoum président pour le Niger comme philosophe politique ?

Salim Mokaddem : Je ne peux que vous répondre ceci : Bazoum ne prend jamais aucune décision au hasard ou à la légère. Il réfléchit plus d’une fois avant d’agir. Il prend des avis multiples et variés et prend le temps de la bonne décision. L’objectivité de position, pour parler comme Amartya Sen, l’oblige à prendre des avis multiples et croisés avant de décider. Il sait ce que veut dire gouverner et réfléchir au bien commun ; aussi, son humilité et son sens des responsabilités l’empêcheront toujours de sous-estimer les questions les plus importantes et fondamentales pour l’État et pour la société civile. Penser et agir sont liés indissociablement dans ses convictions et il en tient compte tout particulièrement dans sa façon de diriger les affaires concernant le bien public et la République. Un homme d’Etat ne peut qu’être à ce jour réfléchi et instruit du monde dans lequel nous sommes. La complexité de celui-ci et les niveaux d’expertise qu’il suppose pour être au mieux saisi dans son effectivité font que la direction d’un État nécessite une vision philosophique de la politique et une maîtrise technique des structures, des process, des logiques spécifiques et techniques de l’action politique. À choisir, c’est ce que nous rappelle Platon, il vaut mieux un philosophe averti, sage et humble, vertueux et sérieux, aux affaires plutôt qu’un technocrate dogmatique sans autre perspective que l’assimilation cynique de l’Etat à une affaire d’épicerie ou qui serait réduit de manière grossière à des arcanes de comptabilité bancaire. L’Etat n’est ni un commerce multilatéral ni une technostructure de déterminités rationnelles. C’est d’abord et avant tout, dans un espace républicain, l’expression du peuple souverain. Car l’appareil d’Etat ne doit jamais être confondu avec l’Etat lui-même, expression systématique d’une Idée ou d’une rationalisation singulière du réel en vue de réaliser au mieux une certaine vision du monde. Le calcul économique ne peut donc tenir lieu d’unique pensée politique. Sinon, l’action politique serait toujours vaine et exprimerait alors, dans sa pratique, en vérité et in fine, la raison du plus fort, et provoquerait inévitablement une dé-démocratisation regrettable.

Bazoum a des idées positives pour l’avenir de son pays en matière énergétique, éducative, sanitaire, agricole, pastorale, et dans tous les secteurs souverains de l’État. Son esprit est toujours orienté vers le mieux-être des populations.

Il l’affirmera en temps opportun dans son programme politique et lors de la prochaine campagne électorale. En ce sens, Mohamed Bazoum travaille depuis très longtemps pour que l’histoire politique du Niger ne l’oublie pas quand, dans quelques mois, précisément au moment des futures échéances électorales, déterminantes pour l’avenir du pays, les électrices et les électeurs du Niger devront répondre à la question du choix de société qu’elles et qu’ils veulent pour le pays : Bazoum et son Parti ont, eux, déjà pris leur responsabilité. De même que l’actuel Président Issoufou Mahamadou qui, en désignant Mohamed Bazoum comme son unique dauphin légitime, sait que celui-là consolidera les acquis de la Renaissance et poursuivra ainsi les objectifs assignés par le Président et son Parti, à savoir le choix d’une société refusant le chaos social, l’inertie, et la résignation paresseuse qui en est le corollaire. Il faut un certain courage et une vision éclairée pour à la fois se gouverner et gouverner les autres. L’attitude éthique détermine alors une politique de l’acte responsable.

Le Républicain : Le président Issoufou Mahamadou a fait le pari de quitter le pouvoir en 2021, ce qui constitue une ligne de démarcation par rapport à la pratique de certains chefs d’Etat africains en fin de mandat. Quelle est votre lecture de cette vision du chef de l’Etat du Niger ?

Salim Mokaddem : Le Président Issoufou Mahamadou est un vrai démocrate et un président visionnaire aux vertus humanistes et panafricaines sincères. J’ai un grand respect pour le Président Issoufou Mahamadou qui a toujours fait ce qu’il a dit et a toujours tenu ce qu’il annonçait. Le programme de la Renaissance en est un parfait exemple. Outre ses réalisations et son bilan extraordinaire, incontestable, en matière de développement social, économique, urbain et rural, il a su créer les conditions d’un réel État de droit et a instauré des institutions authentiquement républicaines et respectueuses des droits de l’homme et des aspirations sociales et économiques du peuple nigérien. Le Président du Niger est définitivement entré dans l’histoire de l’Afrique à plusieurs titres : une gouvernance exemplaire, un leadership reconnu internationalement, un projet économique et politique remarquable et des réalisations et des infrastructures utiles, modernes, nécessaires à la vie de tous les jours pour le peuple nigérien. Ses ambitions culturelles pour le Niger et l’Afrique sont indéniables et incontestées. Il jouit d’une excellente réputation internationale et il a bâti humblement le cadre concret d’une réelle émergence du Niger. Malgré une situation incertaine aux frontières et un environnement austère, économiquement parlant, il a maintenu un cap d’investissements productifs et de réalisations de développements sociaux qu’envient beaucoup de pays de la sous-région. Il est par ailleurs reconnu comme étant un sage et un interlocuteur non négligeable pour affronter les problèmes actuels (crise climatique, conflits sociaux, crise migratoire, terrorisme fanatique, banditisme, Zlecaf, etc.). Sa vision de la gouvernance est à la fois pédagogique et didactique autant qu’axiologique et pragmatique. Gouverner, c’est en effet toujours prendre des décisions difficiles, au mieux, avec les moyens et les déterminations qui conditionnent le présent dans lequel l’action se situe et, au pire, en choisissant de poser les actes décisifs du futur vers lequel on veut inscrire et installer des actions politiques pour le bien de tous et de chacun, sans tomber dans le népotisme, les partis pris et les favoritismes de bon ou de mauvais aloi. Il faut, quelquefois, agir et penser contre soi, et savoir se déprendre de soi pour affronter les dures réalités du monde. Rares sont les esprits capables de juger contre soi, et d’avoir un souci du vrai qui ne doit en rien aux caprices narcissiques de l’ego. Le Président Issoufou Mahamadou est un réel démocrate, soucieux des institutions républicaines et d’une transition conforme à son mandat et à l’esprit qui le guide depuis son accession à la magistrature suprême de la 7ème République. Le Niger, l’Afrique, ont besoin de telles personnalités à la fois exemplaires et didactiques pour renforcer les gouvernances démocratiques et affermir l’Etat républicain sur le continent.

Le Républicain : Quelle est votre appréciation de la pratique de la démocratie en Afrique ?

Salim Mokaddem : Le soleil des indépendances a très vite été terni par la face nocturne, sinon lunaire, de la Guerre Froide et des doctrines d’alignements politiques forcés. Les politiques d’ajustements structurels et d’assignations idéologiques et économiques furent alors liées à des géopolitiques de dominations néocolonialistes. Après la chute du mur de Berlin, la décrispation issue de la Glasnost, le discours de la Baule en 1990, il y eut des effets d’ouvertures démocratiques en Afrique. Cependant, du fait des resserrements budgétaires et des impératifs économiques et financiers des pays du Nord, l’obligation d’ouvrir les marchés bancaires et des biens au secteur privé dans un monde globalisé a très vite contraint les États africains à se conformer à des critères drastiques de convergence normée, imposés par les bailleurs de fonds et les partenaires techniques et financiers. S’ils voulaient bénéficier de prêts bancaires, les Etats africains devaient se soumettre aux conditionnalités de l’accès aux aides au développement. Bien sûr, ce n’était pas un acte caritatif et humaniste, tout juste humanitaire, qui motivait ces politiques d’austérité et cette nouvelle gouvernance. Il s’agissait plutôt de justifier la décroissance par le recours byzantin, voir léonin, à une moralisation de la vie politique et l’alibi un peu hypocrite de la bonne gouvernance démocratique. En effet, les mêmes technocrates qui, hier encore, préconisaient l’Etat fort et autoritaire contre les peuples et qui instauraient par des coups d’Etat militaires une démocratie à géométrie variable, selon les intérêts post coloniaux du moment, se sont alors subitement convertis aux vertus et aux impératifs de la moralité politique et à ceux de la religion laïque des droits de l’homme. Comme si le panafricanisme, les politiques de N’Kruma, d’Olympio, et d’autres, n’étaient pas en leur temps des humanismes portant des vraies valeurs d’émancipation. Les fervents partisans de la démocratie d’hier qu’on avait violemment réprimés sinon tués et muselés, jadis conspués et honnis, devenaient soudainement des thuriféraires de l’idéologie hyper libérale. Il s’agissait de faire croire au monde entier aux vertus formelles de la démocratie occidentale, accordée généreusement par l’ancien patron, libéral, à ses nouveaux vassaux libérés formellement mais aliénés réellement par des plans d’ajustement structurel et des coupes sombres dans les budgets d’Etat dits improductifs. Rappelons tout de même que si le Niger est entré, avec la Conférence Nationale, dans un processus de normalisation démocratique, il y eut avant et après la Conférence nationale, des coups d’Etat et des tentatives de transgression constitutionnelle avant l’élection de 2011. Vous savez qu’il existe encore des pays africains où de nombreux chefs d’État installent des dynasties et des régimes d’exception contraires aux principes des constitutions démocratiques, d’alternance, de codes électoraux justes et rationnels basés sur une reconnaissance des principes démocratiques. Au Niger, la Ceni garantit des élections libres et démocratiques ; la Cour constitutionnelle, les organisations internationales, l’ONU et la société civile reconnaissent pleinement la légitimité de la composition de la Ceni et de ses objectifs. On peut comprendre que des partis politiques contestent cette légitimité s’ils n’acceptent pas le jeu démocratique tel qu’il est et doit être. On ne peut pas forcer les esprits à devenir républicains s’ils ne reconnaissent pas les valeurs du droit républicain. Mais, dans son ensemble, le peuple nigérien, plus sage et modéré qu’on ne le clame, désire une vie juste et il manifeste majoritairement le vœu d’une démocratie en acte et en expansion.

De fait, c’est aussi un effet du cercle vertueux de la mondialisation par la gouvernance libérale, car les idées de respect de séparations des pouvoirs, des droits humains imprescriptibles, de la démocratie réelle et d’une société portée par le progrès et l’éducation permanente au civisme citoyen, à l’économie et à un développement durable, aux droits sociaux (santé, protection sanitaire et judiciaire, instruction) deviennent la norme d’une exigence universelle de liberté des individus et des peuples.

Le Républicain : Une certaine opinion pense que la démocratie ne rime pas avec le développement en Afrique. Les pays africains qui avancent ne sont pas forcément les plus démocratiquement gérés. Le prototype c’est le Rwanda de Paul Kagame. Que pensez-vous de cette assertion ?

Salim Mokaddem : C’est plutôt une assertion dogmatique infondée car l’Afrique du sud, le Ghana, l’Éthiopie etc., sont bien des démocraties à l’économie avancée et plus qu’émergente. À l’heure où l’on parle de salaire universel, de développement durable, d’écologie, et de respect de la nature, il serait grotesque et peu raisonnable de penser que l’Afrique est en dehors de l’histoire et infrarationnelle. Cela relève vraiment d’un cryptoracisme pathologique et d’une grossièreté intellectuelle patente marquée par une certaine mauvaise foi ou bien, pire encore, d’une ignorance bavarde.

Au contraire, les catégories nouvelles de l’économie du développement et de la croissance ont montré les rôles cruciaux du capital humain et de la démocratie réelle dans l’essor des sociétés du bien-être. La démocratie est d’essence libérale et le socialisme suppose l’éducation du genre humain. La Chine se réclame d’une dictature démocratique et les « démocratures » savent très bien qu’il n’y a pas de contradictions entre développement social, économique et démocratique. De même les autoritarismes populistes s’arc-boutent toujours sur des économies récessives et des décroissances liées à une gestion anarchique des fonds publics. L’expérience du Rwanda s’ancre dans un génocide : il est évident que le régime de Kagame est préférable à la guerre civile génocidaire! Demandez aux populations ce qu’elles préfèrent : un régime de paix civile ordonnée ou un état de barbarie et de guerre d’extermination? La réponse est de bon sens. L’Afrique a besoin de libertés et de droits qui ne sont pas à confondre avec les caprices du désir ou la loi du plus fort. Toute société est normative et basée sur un contrat social et juridique. La démocratie en Afrique permet la transparence des actes politiques et leur validation par le vote ; la condition positive d’une démocratie de progrès est que l’éducation accompagne les droits et les libertés pour que chaque citoyen en comprenne le sens, les fonctions et les fins. Une société éclairée, instruite, éduquée est incompatible avec une société tyrannique de maîtres et d’esclaves. Il est désormais temps d’inclure l’Afrique dans le concert des États de droit. Lui refuser ses droits fondamentaux, c’est vouloir une régression anthropologique et un chaos dangereux pour le monde et donc pour l’Afrique. Nous sommes définitivement installés dans l’ère anthropocène ; la globalisation passe par le refus des séparations racistes entre peuples civilisés et sociétés archaïques. Il n’y a pas de damnés de la Terre qui ne soient les produits de visions négatives de l’histoire et de politiques iniques de dictatures morbides et dangereuses pour la paix du monde. Les africains ont autant droit à une vie décente que les européens ou les nord-américains. Consommer n’est pas un privilège pour un pays pauvre ; produire des objets de consommation et des services n’est vraiment pas un luxe pour le Niger mais participe du droit fondamental de s’émanciper dans la liberté et le bonheur selon des critères de développement humain reconnus par la Déclaration universelle des droits de la personne humaine et la Charte en vigueur de l’ONU.

Le Niger a par ailleurs fait preuve dans son histoire passée et récente de sa réelle capacité à vivre une authentique citoyenneté, pleine et entière, libre et démocratique.

Le Républicain : Quel commentaire faites-vous sur le Niger que vous connaissez dans les années 80 et le Niger d’aujourd’hui ?

Salim Mokaddem : Le rôle de la 7ème République et des deux quinquennats d’Issoufou Mahamadou ont été cruciaux pour faire du Niger un pays émergent. Le Niger abrite des potentialités énormes tant au niveau de ses ressources matérielles qu’humaines. Le capital humain est remarquable s’il est bien développé et géré. De plus, l’avenir s’annonce extrêmement prometteur à tout point de vue pour le pays. Développement croissant des énergies durables et fossiles, essor des constructions urbaines et périurbaines, demande de la société civile d’éducation générale et de formation professionnelle et technique, malgré des situations internes et externes difficiles et tragiques, notamment aux frontières du Niger, – tout cela est de très bon augure. Cela se manifeste par un taux de croissance élevé et des résultats macro, méso et microéconomiques plus que positifs à cette heure. De plus, la découverte de nouveaux gisements pétrolifères, l’exploitation à venir du riche sous-sol nigérien, l’éducation des jeunes à l’esprit innovant et imaginatif, garantissent un avenir plus que radieux au moment où des pays post-industriels subissent de plein fouet des récessions et des baisses de régime liées au surdéveloppement les obligeant à des politiques rigoristes de réduction des plans sociaux du fait de la financiarisation des économies du monde et de l’abolition trop rapidement effectuée des missions sociales des États républicains et démocratiques.  Car, il ne faut pas négliger le rôle historique joué par l’Etat-Providence pour tirer vers le haut la croissance mondiale après la deuxième guerre mondiale : l’Etat providence, est très justement regretté, actuellement, jusques et y compris dans des sociétés hyperlibérales, du fait des garanties d’ascenseur social qu’il jouait auparavant auprès des classes moyennes et populaires. En fait, le Niger a beaucoup de Capital humain à former et des ressources considérables à exploiter. Ces objectifs, et bien d’autres que je ne peux développer dans le cadre de cet entretien, sont un viatique pour une politique positive de l’amélioration des conditions de vie des populations et pour une action politique portant la volonté affirmée de faire du Niger un authentique pays émergent appelé à un avenir ouvrant l’horizon sur des perspectives réelles de progrès social, économique, dans un cadre démocratique autant que républicain.

Le Niger a donc encore son avenir devant lui et sa maturité économique et politique s’annonce logiquement en bonne voie de réalisation. C’est maintenant au peuple de savoir ce qu’il veut pour son avenir et aux différents candidats et partis de savoir comprendre les desiderata de celui-là et de le persuader de voter dans le sens qu’ils pensent être le meilleur pour lui. Nous ne pouvons donc souhaiter que le meilleur pour le Niger, et que le candidat qui remportera la future élection présidentielle soit le plus démocrate, expert, éthique et un réel émancipateur authentique. Parmi tous les candidats officiels légitimes, Bazoum me semble être celui qui a toutes ces qualités et des compétences avérées afin d’être à même de poursuivre et de parachever l’œuvre républicaine et sociale remarquablement amorcé par le Président Issoufou Mahamadou.

Interview réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane et Abdoul Aziz Moussa