Retour de Hama Amadou au pays : Les chances de reprise d’un dialogue politique sain

 L’actualité du mois de Novembre a été sans conteste marquée par le retour au pays du Président du MODEN FA Lumana Hama Amadou. Même s’il est rentré au pays dans des conditions douloureuses et de tristesse, avec le décès de sa maman, il ne demeure pas moins que le fait qu’il y reste, et décide finalement de faire face à sa condamnation par la justice dans l’affaire des bébés importés, et d’y purger le reste de sa peine,  constitue une porte de sortie honorable pour l’ensemble de la classe politique nigérienne de s’y accrocher et de faire douloureusement une paix des braves pour aplanir certaines contradictions et aller à des élections dans des conditions plus ou moins acceptables pour tous.

Si pour rien au monde le pouvoir, avec le Président Issoufou Mahamadou en tête, ne va accepter des élections bâclées et une victoire au rabais aux prochaines élections, l’opposition elle non plus ne peut aspirer à une alternance sans élections libres transparentes et démocratiques. Si le pouvoir ne doit en rien l’amener en bateau, elle non plus ne pourra le remplacer sans élections. Donc il y a au moins un consensus au niveau du déroulement des élections dans les échéances prévues et dans un climat de paix et de sécurité acceptables. C’est pourquoi chacun doit mettre un peu d’eau dans sa boule !

Même si l’accouchement se fait dans la douleur, il ne demeure pas moins qu’une mère, qui est la seule à savoir ce qu’elle a enduré pour donner le jour à un bébé, est aussi la première à lui sourire ! Histoire de dire que le bonheur et le renouveau passent souvent aussi par la douleur et le renoncement ! Ainsi, en dépit de la tristesse qui est à l’origine du retour de Hama Amadou au pays, cette occasion peut aussi être utilisée avec sagesse et détermination pour que chacun renonce un peu à ce à quoi il tient, pour une paix des braves, si chère au peuple nigérien.

Il n’avait certes aucun autre moyen d’échapper aux mailles de la justice, à partir du moment où il a été condamné et que toutes les voies de recours avaient été épuisées ! Au plan de l’ordonnancement juridique national, toutes les voies de recours sont épuisées, depuis la première instance jusqu’à la cassation. La tentative de trouver une issue avec la cour communautaire elle-même n’a pas prospéré. Donc, au plan du droit, il n’y a plus aucune issue pour Hama Amadou. La seule issue qui lui reste est la négociation politique !

Or, tout le temps qu’il est resté en France, en Allemagne, en Belgique et en Turquie, avec des séjours dans certaines capitales africaines, tout le monde savait que c’était lui qui tirait les ficelles du dialogue politique. De la crispation de la position de Mahamane Ousmane, à la position irrédentiste de Amadou Djibo dit Max, en passant par le chantage, puis le départ de Ladan Tchiana de l’alliance au pouvoir MRN, puis la surenchère toutes ces années des militants du MODEN Lumana, les menaces et positions mi-figue, mi-raisin du MPN Kiishin Kassa, qui souffle le chaud et le froid, vient au dialogue aujourd’hui et s’en va demain, tout le monde savait que c’était Hama Amadou qui était à la manœuvre. Même certaines levées de boucliers de la société civile et d’une certaine presse étaient suspendues à ses intérêts, pour ne pas dire à ses humeurs.

Il faisait personnellement le dilatoire en attendant le verdict de la CEDEAO. Maintenant que celui-ci est tombé et qu’il n y a aucune porte de sortie, il a résolument décidé de faire face à son destin. Ce qui par ailleurs est un acte de courage, qui aurait pu néanmoins venir bien plus tôt !

Mais l’heure ne doit plus être aux récriminations et aux procès d’intention ! A partir du moment où lui-même a décidé d’enterrer la hache de fuite, depuis son retour ce 18 Novembre 2019, et que ses partisans sont en apparence résolument tournés vers une paix des braves, pourquoi alors ne pas donner la chance au dialogue politique et tenter chacun de son côté faire un petit pas vers une paix durable dans le pays ? Surtout que le défi sécuritaire auquel est confronté le pays le commande bien !

Après avoir donc erré, comme victime de ce que Cyprien Ekwensi, l’auteur de La brousse ardente, appelle le Sokugo (ou la maladie de l’errance, qui a conduit le héros Mai Tsuntasyé à errer de village en village, de rivière en rivière, parcourir monts et vallées, en suivant le déplacement de la tourterelle qui portait un gris-gris attaché à sa patte, le Président du MODEN FA Lumana, comme les autres leaders politiques de sa génération et ceux qui sont plus âgés, doit en fait accepter que le renouvellement générationnel dans son parti est la seule issue pour lui.

Pour un homme politique de son gabarit, le fait de ne pas être candidat n’est pas une fatalité. Avec un parti comme le sien, doué d’une extraordinaire capacité à fidéliser les militants, il doit se résoudre à laisser quelqu’un d’autre que lui se présenter sous le label du parti. Et plus vite il le fera, mieux çà vaudra pour lui, pour le parti et le candidat désigné.

Tout en évitant les départs massifs des militants liés à l’expectative dans laquelle se trouve actuellement son éventuelle candidature, cette désignation pourrait être une anticipation intelligente de quelque chose qui est inévitable y compris dans les autres partis. Comme cela, le MODEN FA Lumana aura pris une grande longueur d’avance sur les autres partis, qui vont tous garder des candidats sexagénaires. Aux élections de 2026, si Dieu nous prête longue vie, le candidat du MODEN FA Lumana se présentera pour la deuxième fois, ce qui n’est pas rien en politique !

Mais s’il s’obstine, la seule chose qu’il faut distinctivement observer aujourd’hui est que s’il y a une seule chose qui fait un consensus fort au sein de la classe politique aujourd’hui, c’est la mort politique de Hama Amadou. Que les autres politiciens, adversaires ou alliés le disent ou non, tout le monde aimerait bien profiter de cette mort politique de Hama.

Pour les plus grands partis de la majorité au pouvoir, ce sera un adversaire bien implanté dans la capitale en moins ! Qui plus est, un retrait de Hama de la scène politique, du fait de la dispersion des voix et de l’émiettement qu’il va produire, permettra une moisson plus facile des voix par tous les partis, tous bords confondus !

Pour les partis moyens, le retrait de Hama de la course aux présidentielles permettra sans nul doute un report évident  de voix, soit à travers un mot d’ordre clair, soit à travers le phénomène inévitable de déperdition de voix. A défaut d’un mot d’ordre clair de voter pour tel ou tel parti, les militants seront obligés chacun de faire son choix plus librement.

 Et les plus grands bénéficiaires sont au sein de son propre parti ! Puisque sa chute va favoriser inévitablement l’émergence d’une nouvelle légitimité à laquelle les militants devront désormais apprendre à s’identifier, chacun de ses lieutenants pense naturellement que c’est à lui que reviendrait l’insigne honneur de remplacer le grand gourou.

Sa renonciation à la présidentielle, au profit de quelqu’un d’autre, tout en favorisant l’unité et la cohésion du parti Lumana, lui garantit, avec un petit effort,  de rester chef de file de l’opposition à l’issue des prochaines élections. Ce qui n’est pas rien, avec le lot d’avantages qu’il procure !

Alors, pourquoi ne pas jouer çà et encourager le retour sur la table de négociation de toute l’opposition ? N’est-ce pas mieux que de continuer à caresser le rêve de candidater, sachant bien que la Cour Constitutionnelle ne validera pas la candidature de Hama, quel que soit le cas de figure. Et la plupart de gens qui le fréquentent ne lui disent pas la vérité !

Sur les quatre hypothèses envisageables, à savoir la remise gracieuse de peine, notamment à l’occasion du 18 Décembre prochain, qui est la seule fête nationale qui reste d’ici la fin de sa peine et le processus de validation des candidatures, puis la grâce présidentielle, l’amnistie et la réhabilitation,  seule la dernière permet à Hama Amadou de conserver son casier judiciaire vierge. Pour les trois premières, la peine est certes remise totalement ou partiellement. La grâce présidentielle est possible. Elle procède d’une remise à un condamné de tout ou partie de la peine à laquelle il est condamné. Relevant du pouvoir discrétionnaire exclusif du Président de la République, que lui donne la Constitution, elle est prise par un simple décret, que le Président peut signer à tout moment, selon son bon vouloir. Il y a ensuite la remise gracieuse de peine qui n’est pas une mesure individuelle. Elle est collégiale et est prise à l’occasion de grands événements nationaux. Elle peut viser une fourchette de prisonniers, dont il fait partie. Troisièmement, il y a l’amnistie qui est quant à elle votée à l’Assemblée nationale par les députés. Elle se fait sur dossier présenté au ministre de la justice garde des sceaux, qui après étude le transmet à l’Assemblée Nationale. L’intéressé fait alors l’ojet d’une enquête de moralité sur tous les lieux de résidence où il y a vécu depuis qu’il a quitté le pays jusqu’à son retour. Le dossier est ensuite transmis à l’Assemblée, pour y être voté, après consultation. Alors, à moins d’un accord avec la majorité MRN, qui a la majorité à l’Assemblée, il est difficile de faire passer toute mesure politique de ce genre. Mais pour l’intérêt de la paix et de la stabilité, de la lutte contre l’insécurité, le contexte est aujourd’hui favorable à Hama. La dernière hypothèse est la réhabilitation. Elle intervient dans les cas d’erreur judiciaire, ou de découverte de preuves supplémentaires ou d’éléments nouveaux susceptibles de prouver l’innocence d’un prévenu, même plusieurs années après sa condamnation. Elle annule la totalité de la peine, et ni la poursuite, ni la condamnation ne peuvent être inscrits au casier judiciaire. C’est la seule hypothèse qui peut sauver la candidature de Hama, à condition de prouver que le délit pour lequel il est poursuivi n’a pas été commis. Et comme il n’est pas seul dans ce dossier, c’est plutôt délicat de prouver que lui seul n’a pas commis le délit, c’étaient plutôt les autres.

Mais dans tous les cas, seule la poursuite du dialogue politique au sein du Conseil National du Dialogue Politique (CNDP) permet de sauver ce qui peut l’être du sort de Hama Amadou. Politiquement du moins !

Ibrahim Manzo